Des lendemains de radicalisation
Les conséquences les plus marquantes du massacre parisien chez les Huguenots de Bretagne ne se manifestent pas seulement par la destruction des communautés, les abjurations ou les fuites des protestants locaux. Après tout, ces tribulations ne durèrent pas. Mais il fallut pour cela attendre près de quatre années après la tragique nuit d’août 1572. Un nouvel édit, signé à Beaulieu, dans le Val de Loire, établissait même une tolérance inédite pour les Réformés. Les Églises se reconstituèrent donc, notamment sous l’impulsion du pasteur Guineau qui s’était caché quelque temps dans la région de Sion-Les-Mines où il avait bénéficié de la protection de René de la Chapelle.
Si la Cour avait finalement cédé, c’était que bien des choses avaient changé dans les mois qui suivirent la Saint-Barthélemy. Le roi Charles IX mourut et un parti de catholiques modérés put s’exprimer quelque peu, assez timidement d’abord puisqu’on le désigna sous le nom de « malcontents ». Les protestants, de leur côté organisaient une résistance militaire dont le symbole est le premier siège de La Rochelle. Les Réformés en sortirent victorieux. Le nouveau roi Henri III, à son retour de Pologne, voulut donc inaugurer son règne par un temps de concorde nationale.
Quelle fut la part des Réformés bretons dans ce contexte ?
Disons d’abord que l’on observe un éclatement de la fragile fraction huguenote de la province. Les protestants des villes semblent s’être évaporés, sauf dans des cités seigneuriales comme Vitré. C’est le résultat des persécutions et des exactions qui ont affaibli et chassé les artisans et bourgeois calvinistes. Ceux qui avaient fui dans les îles ou à La Rochelle ne se sentirent pas poussés à revenir sous l’ombre menaçante des clochers bretons et encore moins des cathédrales. Le protestantisme de la province revêtit définitivement son visage de représentants et d’agents de la noblesse.
Mais cette même noblesse était en peine mutation et en profond renouvellement à commencer par les puissantes maisons de Laval et de Rohan qui en formaient la tête. La première était réduite à un très jeune homme, Guy de Rieux, qui avait provisoirement trouvé refuge en Allemagne, la seconde passait par des deuils successifs, en particulier celui du débonnaire Henri Ier. C’est le dernier des frères, René, qui releva la maison et par la même occasion celle de Pont-L’Abbé en épousant la jeune veuve, la célèbre Catherine de Parthenay. Mais notre homme était trop occupé à chevaucher en Poitou. Les deux grand barons protestants finirent provisoirement par se mettre d’accord en se faisant représenter tous les deux aux États de Bretagne par le sage René d’Avaugour.
Les autres hauts justiciers protestants avaient noué dans la province une alliance étroite et durable avec le parti des « malcontents ». Une des principales figures de ce groupe de catholiques modérés était le beau-frère de Charles Gouyon de La Moussaye, Guy de Châteauneuf.
Le poids de ce groupe se mesure lors des États de Bretagne de 1576 lorsqu’il fallut désigner les délégués de la province aux États généraux du Royaume. En grattant un peu, on reconnaissait dans ce parti un certain nombre d’anciens huguenots qui avaient jugé plus prudent de revenir à Rome. Parmi les 6 députés de la noblesse de 1576, figurèrent un huguenot assumé, René Kergrois d’Avaugour, fort de ses deux procurations des grands barons protestants, Troïlus de Mezgouez, personnage ambigu sur le plan religieux, Jean de Coëtquen ou Marc de Rosmadec, seigneur de Pontcroix1. Ces deux derniers étaient des oncles de Claude du Chastel. Le sire de Coëtquen l’avait hébergée dans les jours qui suivirent la Saint-Barthélemy.
En face, le front anti-protestant s’était également renforcé, aussi bien dans la noblesse qu’au sein de la paysannerie. C’est d’ailleurs un débat toujours actuel chez les historiens : Quelle est l’ampleur et quelles sont les causes de la radicalisation anti-protestantes des masses rurales de la province ? A la suite de Michel Lagrée, des chercheurs comme Philippe Hamon, Bruno Restif, Hervé Le Goff ou Antoine Rivault se sont interrogés sur ce qui s’est révélé plus tard une donnée essentielle des Guerres de la Ligue. Le moteur en était-il simplement religieux, politique, ou plus largement social et anti nobiliaire ? Notons simplement que cette radicalisation émerge réellement à cette époque.
Si bien des catholiques se radicalisent, quelques protestants les imitent. C’est, pour eux, une option risquée en Bretagne, et seuls les plus intelligents ou les plus chanceux survivront à l’aventure. Fort heureusement ce choix est resté marginal.
Les premiers troubles militaires…
De 1572 à 1585, la Bretagne fut progressivement touchée par quelques opérations militaires. Ces dernières demeurèrent limitées et très ponctuelles, les hommes de guerre opérant leurs ravages ailleurs, en Normandie ou Poitou. Comme le remarque Alain Croix, « les guerres de Religion n’ont pas perturbé sérieusement l’économie provinciale » jusqu’en 1590.
Dès 1573, une expédition navale financée et appuyée par l’Angleterre, qui ne pouvait ravitailler La Rochelle, s’était détournée vers Belle-Ile et avait réussi à y débarquer en 1575. Gabriel de Montgommery qui commandait la flotte protestante avait dû rembarquer rapidement devant la réaction des forces de locales dirigée par Bouillé, et désormais les côtes bretonnes vivaient dans la hantise d’une autre action de ce genre.
L’année suivante, la place de Vitré fut surprise par un petit groupe de Huguenots commandés par Jean du Matz de Montmartin et du Brossay Saint-Gravé : un jour de noces, alors que les portes de la ville étaient ouvertes, la citadelle fut investie par quelques cavaliers bien décidés qui rançonnèrent le gouverneur et quelques bourgeois, après avoir saisi les armes et quelque argent. Il y eut une réaction des campagnes environnantes qui se soulevèrent. Le Parlement condamna les Huguenots, présentés comme « séditieux ennemis et perturbateurs du repos publicq« , et demanda au sieur de Méjusseaumme et au sénéchal de Rennes de « faire crier l’arrière-ban de cest evesché » pour reconquérir la ville, ce qui fut acquis en quelques jours. Du Matz de Montmartin et ses compagnons avaient jusque-là sagement évité de faire couler le sang. Ils se replièrent opportunément avant l’arrivée des troupes royales le 25 février 1574. De toute façon, la cité allait redevenir une place protestante peu après à la suite de l’Édit de Beaulieu.
Au début de l’année 1576, juste avant la paix de Beaulieu, Guy de Châteauneuf, partisan du duc d’Alençon et un des chefs des « malcontents », surprit avec son beau-frère Charles Gouyon de la Moussaye la garnison que le Lieutenant général, Bouillé, avait installée à Dol. Après avoir eux aussi rançonné les officiers royaux, ils se hâtèrent de décamper pour rejoindre l’armée d’Henri de Navarre.
Si ces premières aventures se terminaient bien, il allait en être fort différemment à Concarneau en 1577.
(A suivre…)
1Charles Lalande de Calan, Documents inédits relatifs aux États de Bretagne, de 1491 à 1589, Société des Bibliophiles bretons, Rennes, 1908, t. 1, p. 90.