Le Bordage : une forteresse pour temple

     Le château du Bordage, en Ercé-près-Liffré, au nord de Rennes, était une des pièces maîtresses du calvinisme breton. Cette châtellenie d’ancienneté est un lieu de prêches depuis la Réformation jusqu’à la Révocation. Le protestantisme y est attesté pendant plus d’un siècle, à l’exception de brèves interruptions dues aux guerres civiles. La forteresse servit de refuge aux pasteurs de Rennes dès les années 1560 et abrita à certaines époques une Église complète selon la discipline réformée, avec ministre, temple et consistoire.

La façade sud du grand logis du château du Bordage, fortement remanié depuis le XVIIe siècle

La façade sud du grand logis du château du Bordage, fortement remanié depuis le XVIIe siècle

     Cette assemblée, formée de nobles de la région, de leurs serviteurs et officiers, bénéficiait de la protection et des subsides des maîtres du lieu, la puissante famille des Montbourcher[1]. Ces derniers étaient passés très tôt à la Réforme et leurs descendants n’abjurèrent que sous la plus vive contrainte en 1685. Le marquis et les siens avaient été arrêtés et emprisonnés alors qu’ils étaient en route vers le Refuge, sur la frontière des Flandres. Mais plusieurs procédures judiciaires conservées aux Archives d’Ille-et-Vilaine attestent de la persistance d’actes de protestantisme à Ercé au début du XVIIIe siècle.

     Le château du Bordage avait été édifié au XIVe siècle sur l’emplacement d’une ancienne motte féodale qui formait la base d’un donjon. Il constituait l’angle d’une vase enceinte fortifiée de forme carrée, entourée de douves, de près de 100 mètres de côté.

Tour aux chiens Chateau du Bordage

La « tour aux chiens » et quelques vestiges de la ceinture fortifiée médiévale du château du Bordage

     L’ensemble, édifié sur un site sans relief naturel, ne constituait pas une place forte quasi imprenable comme pouvait l’être Vitré. C’était plutôt la mise en défense, sur le modèle du château philippien, d’une puissante propriété seigneuriale. Le Bordage pouvait offrir un refuge aux Huguenots de Rennes dans les périodes troublées mais ne pouvait défier des armées dotées d’artillerie. Il fut pris et repris pendant les Guerres de la Ligue.

     Le château du Bordage est une propriété privée qui a appartenu au folkloriste Paul Sébillot au début du siècle dernier[2]. Il ne se visite pas, ce qui est fort dommage, car il abrite plusieurs traces de son passé protestant.

     L’essentiel des fortifications a été démoli, surtout après la Révolution. Le grand logis central a été reconstruit et agrandi. Seules sont conservés les ruines d’une tour d’angle et une partie du mur d’enceinte de l’est.

Plan du château du Bordage

Plan du château du Bordage réalisé par Paul Sébillot. Le nord se trouve en bas du dessin, inversé par rapport aux représentations habituelles. Nous avons coloré en rouge les lieux les plus marqués par la présence protestante : le jardin avec le cimetière (à gauche), le logis et la galerie, la tour de l’est. Le grand cercle correspond au donjon et ses douves.

     Il existait un cimetière huguenot dans les jardins à l’est. Les érudits du XIXe siècle pouvaient encore y observer des dizaines de pierres tombales[3]. Deux traditions orales différentes situent le lieu d’exercice protestant, l’une dans des dépendances qui correspondent au grand logis d’aujourd’hui, l’autre dans la « tour de l’orient », démolie en 1852. Les deux traditions ne sont pas contradictoires. Les prêches se seraient tenus dans la tour au XVIe siècle, tandis qu’un temple aurait été édifié plus tard sous la sauvegarde de l’Édit de Nantes.

Jean-Yves Carluer

[1] Chantal Reydellet-Guttinger a analysé un registre de l’Église, conservé aux Archives d’Ille-et-Vilaine : « Note sur un registre de l’Église protestante du Bordage, 1675-1680 », Cahiers du Centre de Généalogie Protestante, N° 15-16, pp 599-610.

[2] Paul Sébillot a consacré au domaine une étude : Ercé-près-Liffré et le Château du Bordage, Lafolye, 1895, ainsi que dans la Revue Historique de l’Ouest, tome X, 1894.

[3] Paul Banéat, Le département d’Ille-et-Vilaine. Histoire, archéologie, monuments, Rennes 1927, t. 1, p. 559.