Les missions galloises en Bretagne en 1913

 

Les missions galloises en Basse-Bretagne en 1913

   La Société centrale protestante d’évangélisation organisa à Paris, en avril 1913, un important congrès de l’évangélisation dont l’objectif était de faire le point sur les résultats et les méthodes de la diffusion de la foi évangélique en France. Ce congrès réunissait nombre de pasteurs, et ses actes sont une mine d’informations de première main.

Le pasteur Alfred Jenkins

Parmi les pasteurs présents se trouvaient deux bretons, d’origine galloise : Alfred-Llewelyn Jenkins, pasteur baptiste à Morlaix, continuateur de son père John Jenkins, et William-Jenkyn Jones, pasteur méthodiste à Quimper, continuateur de James Williams. La première partie de leur communication a été rédigée en commun (les deux missionnaires gallois étaient intimement liés), mais il manque dans les actes imprimés la fin de la dernière partie, consacrée à l’œuvre alors récente du pasteur Jones en pays bigouden.  Fort heureusement, celle-ci a fait l’objet d’un ouvrage ultérieur publié en 1928 par Samuel Bourguet aux Éditions Je sers : Un pionnier de l’évangélisation en Bretagne, William-Jenkyn Jones.

Le pasteur William-Jenkyn Jones

La communication des deux Gallois me semble extrêmement intéressante. Elle abonde en précieuses anecdotes, elle éclaire la stratégie des missions britanniques en Bretagne. Elle restitue l’apologétique des évangéliques gallois en Breiz-Izel :  ils entendent revenir à la Foi celtique primitive, qui aurait été subvertie par la romanisation catholique, mais que la Réforme protestante, active de l’autre côté de la Manche, a revitalisée. L’intervention du pasteur Jenkins de Morlaix permet également d’expliciter le choix d’une préférence rurale, même si le Gallois avait connu quelques succès dans le faubourg ouvrier de La Madeleine, à Morlaix. On sait aujourd’hui que ce choix s’est révélé une impasse à la suite de l’intense exode rural breton. Mais, à l’époque, c’était la logique la plus évidente.

    La communication de 1913 n’était pas illustrée. Les photos de cet article sont tirées, pour la plupart, de la collection personnelle de la famille Jenkins, à Plougasnou.

Jean-Yves Carluer

L’Évangélisation en Bretagne

     Vous nous avez fort cordialement invités, Monsieur Jones et moi, à venir à ce congrès et à vous donner quelques détails sur l’Œuvre d’Évangélisation que nous poursuivons, l’un et l’autre, en Basse-Bretagne.

    Ces deux œuvres datent de loin, et d’avant nous. Commencées l’une en 1834 et, l’autre, en 1842, elles ont continué, sans interruption, jusqu’à ce jour, et elles ont déjà, l’une 79 ans, l’autre 71 ans d’existence.

    Il ne s’agit pas, évidemment, d’entrer ici dans le détail d’une aussi longue période ; mais, comme il n’est pas facile d’apprécier une œuvre sans en prendre une vue d’ensemble, qui embrasse ses origines, ses débuts et ses développements, et, comme d’autre part, j’ai eu le privilège de connaître tous les ouvriers de la première heure, en Basse-Bretagne, il a été convenu, avec M. Jones, que je parlerais d’abord :

1° De l’origine et des débuts de l’évangélisation en Basse Bretagne ;

2° Que je vous dirais, ensuite, ce que j’ai pu faire moi-même;

3° Que je laisserais, ensuite, à M. Jones le soin de vous dire les résultats qu’il a obtenus dans son propre champ de travail.

I)  Quelle est l’origine de ces Œuvres ?

    L’œuvre d’évangélisation en Bretagne est née des liens de parenté entre les Bretons du continent et ceux de la Grande Bretagne.

   On a beaucoup discuté pour savoir ce que sont réellement les Bretons de la Basse Bretagne. L’hypothèse qui répond le mieux aux témoignages connus et aux faits, est celle que les hommes les plus autorisés en la matière, tels que MM. de La Borderie et Loth ont fait la leur, c’est que la population bretonne dérive, non des Gaulois de France, mais des anciennes tribus celtiques qui habitaient le centre de la Grande Bretagne avant l’invasion des Anglo-Saxons au Ve siècle.

    Obligés de reculer à mesure que les envahisseurs s’avançaient, ces tribus finirent par se trouver acculées à la mer et obligées de s’embarquer pour chercher un abri sur te continent.

    Pendant un siècle entier, de 450 à 550, la Manche vit passer ces fugitifs d’une rive à l’autre ; c’était tout un peuple qui émigrait ainsi et s’établit dans la Péninsule Armoricaine, au milieu d’une population clairsemée et incapable de leur opposer une résistance effective. Ils apportèrent avec eux leur langue celtique qui remplaça le latin rustique que cinq siècles de domination romaine avait imposé aux premiers Armoricains. Ils apportèrent, également, leur constitution particulière en tribus et en clans, leurs lois et leurs coutumes, ainsi que les institutions et les formes monastiques de leur ancienne Eglise celtique et remplacèrent par des noms bretons, importés de l’île, les noms de lieux gallo-romains de l’Armorique, appelant leur nouveau pays la Petite Bretagne en souvenir de la patrie absente.

    Le livre de la Vie des Saints» qui se lit encore aujourd’hui dans les fermes bretonnes, et qui contient celles des vieux Saints bretons tels que saint Pol, saint Corentin, saint Guenolé, saint Gildas, saint Brioc, saint Samsom, et d’autres venus de la Grande Bretagne, aux IVe et Ve siècles, a vaguement entretenu, chez nos Bretons, la tradition de cette immigration d’outre Manche, mais les Gallois n’avaient jamais oublié que les Bretons armoricains étaient sortis de l’île, et qu’ils étaient de même race celtique qu’eux-mêmes.

2) L’ancienne Église Celtique

    Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse et de dire ici quelques mots sur le caractère de l’Église Celtique. On donne ce nom d’Église Celtique à l’Église qui existait au Pays-de-Galles, en Irlande, en Écosse, dans le nord et le centre de l’Angleterre, avant l’invasion Saxonne.

    Quelles sont les origines de cette Église ? Quelles furent, exactement ses doctrines, ses coutumes et ses rites ? C’est là un sujet très controversé et sur lequel les documents sont trop peu explicites pour qu’on puisse préciser certains points, mais je ne veux retenir qu’un fait, qui est hors de toute contestation, c’est que cette Église était indépendante de l’Église de Rome, dont elle différait à plusieurs égards, et que loin d’atténuer ces différences elle les maintint avec d’autant plus d’opiniâtreté qu’elle y voyait le gage de son indépendance et qu’elle ne se conforma à l’unité catholique que sous la pression et la violence de ses ennemis.

    Le Grégoire de Tours de l’Angleterre, le Vénérable Bède, qui mourut en 735, raconte, dans son Histoire Ecclésiastique, plusieurs faits d’où ressort ce caractère d’indépendance de l’Église Celtique. Il a, dans son livre, une page, entre autres, qui mériterait d’être écrite en lettres d’or.

    Or, dit Bède, il se trouva qu’à leur entrée Augustin était assis et, comme il leur demandait de se conformer à l’unité catholique, quant à la date de la Pâque, la tonsure et certains autres rites, et de s’unir à lui pour la conversion des Anglo-saxons ; qu’à cette condition il passerait par-dessus le reste, les délégués de l’Église Celtique se mirent à faire des objections  et finirent par lui dire qu’ils ne voulaient, en aucune façon, de sa juridiction, et qu’ils étaient déterminés à garder les coutumes de leurs pères. « Eh bien, leur dit Augustin, si vous ne recevez pas la main de vos amis, vous recevrez l’épée de vos ennemis. »

    Il dit que lorsque Augustin et ses 40 moines, envoyés en 595 par le pape Grégoire le Grand pour convertir les Anglo-Saxons encore païens, arrivèrent en Angleterre, Augustin, qui avait l’ordre d’établir sa juridiction sur l’île tout entière, résolut d’inviter les chefs de l’Église Celtique à une conférence. Cette conférence eut lieu sur les bords de la Saverne quelque part dans la région où se trouve, actuellement, la ville de Bristol.

    Ne sachant à quoi se résoudre, les délégués de l’Église Celtique s’adressèrent à un pieux anachorète, renommé par sa sagesse, et lui demandèrent conseil. « Hé bien,  leur dit le pieux ermite, si cet homme vient à vous dans l’esprit de Jésus-Christ, écoutez-le, car c’est un homme de Dieu» — «  Mais comment le saurons-nous ? » reprirent les délégués. — « Arrangez-vous, leur dit le saint homme, de façon à ce qu’il arrive avant vous à la Conférence et si, à votre vue, il se lève et vous reçoit gracieusement, comme vous êtes en plus grand nombre, jugez que c’est un homme de Dieu ; mais s’il reste assis et s’il ne se lève pas en votre présence, ce n’est pas un homme de Dieu, car notre Seigneur était un homme doux et humble de cœur. »

    Au VIIe siècle, un ecclésiastique du parti catholique décrivait et parodiait de la manière suivante l’attitude de l’Église Celtique : « Les Bretons disent que Rome est dans l’erreur, que Jérusalem est dans l’erreur, qu’Antioche est dans l’erreur et qu’il n’y a que les Irlandais et les Bretons qui possèdent la vérité. » Je ne sais si jamais Breton a dit cela, sous cette forme ; mais aucun peuple, que je sache, n’a pris et ne saurait prendre une plus haute et noble devise que celle de l’Église Celtique du Pays de Galles : Ar Wirionez eneb ar bed : « La vérité contre le monde entier ». Puisse-t-elle lui rester fidèle, dans l’avenir, comme elle l’a été dans le passé.

    La sympathie du peuple gallois, pour la Petite Bretagne, restée latente pendant les longs siècles de leur séparation, fut singulièrement ravivée, au début du siècle dernier, par un incident qui, à cause de ses rapports avec l’œuvre d’évangélisation en Bretagne, mérite d’être rappelé.

La Bible en breton

    Un clergyman éminent du Pays de Galles, Thomas Price, mieux connu dans son pays, sous son nom bardique de Carnihanwc, avait eu, pendant les guerres du Premier Empire, l’occasion de visiter un grand nombre de prisonniers de guerre bretons, et de s’entretenir avec eux. Vivement intéressé par les points de ressemblance, si nombreux, entre sa propre langue et la leur, il fut étonné de découvrir aussi que ces Bretons n’avaient jamais vu, ni même entendu parler de la Bible dans leur langue, que le Nouveau Testament même leur était inconnu. Répandu par la voix des journaux, ce fait produisit une telle impression, dans ce Pays-de-Galles, qui vit, pour ainsi dire, de la Bible, et où la Société Biblique Britannique et Étrangère a pris naissance que,  sollicitée de tous les côtés, cette Société se décida à faire traduire la Bible entière en Breton. Ce travail fut confié à Le Gonidec, le savant grammairien et lexicographe breton, qui l’acheva après plusieurs années de travail. Le Nouveau Testament de Le Gonidec parut en 1827 ; c’est la première traduction qui ait été faite et imprimée en breton. Le clergé, qui a régné en maître absolu pendant tant de siècles en Basse-Bretagne, paraît ne s’être jamais préoccupé de donner au peuple une traduction des Saintes Écritures dans sa propre langue et c’est aux Églises du Pays-de-Galles qu’il doit ce grand bienfait. Il est bon de s’en souvenir.

    C’était, sans doute, quelque chose d’avoir fait traduire et imprimer en breton les Saintes Écritures ; mais le zèle des Églises alla plus loin ; elles savaient que le Livre resterait lettre morte si personne ne le prêchait. Il fallut donc envoyer des prédicateurs de l’Évangile en Basse-Bretagne pour annoncer la bonne nouvelle, et dire aux Bretons ce que l’Évangile avait fait pour le Pays-de-Galles. C’est ainsi que, presque simultanément, deux sociétés se formèrent au sein des Églises baptistes du Glamorganshire et des Eglises méthodistes de la Principauté, dans le but d’envoyer deux missionnaires en Bretagne ; ces deux missionnaires furent mon père, M. John Jenkins, qui vint en 1834, et M. James Williams qui le suivit en 1842.

    Ils avaient été précédés de deux ou trois années par un excellent pasteur de l’Église Réformée, M. Le Fourdrey, le fondateur et premier pasteur de l’Église de Brest. Il était venu à la sollicitation pressante de Sir Anthony Perrier, le consul d’Angleterre à Brest, et d’une pieuse dame de cette ville, Mme Pitty. En l’absence de tout pasteur, c’était Sir Anthony Perrier qui réunissait les protestants français et anglais dans les salons du consulat, et faisait, lui-même, le culte du Dimanche. C’est à ces deux hommes, au cœur large et sympathique, que M. Jenkins et M. Williams s’adressèrent dès leur arrivée, et c’est sur leur conseil que M. Jenkins se fixa à Morlaix et M. Williams à Quimper.

    C’est à M. Le Fourdrey et à son éminent successeur, M. Chabal, qu’ils eurent encore recours, dans toutes les difficultés qu’ils rencontrèrent pendant la longue période que dura la mauvaise volonté de l’administration et jusqu’au jour où la liberté des cultes fut, enfin, inscrite dans les lois. — Nous sommes heureux de rappeler, après tant d’années, que la protection du Consistoire de Brest leur a été, en toute occasion, largement et joyeusement accordée et que, depuis le début, jusqu’à ce jour» la plus grande cordialité n’a cessé de régner entre nous et nos Églises et les six pasteurs qui se sont succédé dans l’Église de Brest, depuis cette époque lointaine.

Les difficultés des débuts

    Ces deux œuvres, fondées vers la même époque, se développèrent au milieu des mêmes difficultés et en suivant, à peu prés, les mêmes méthodes.

    Ces difficultés furent extrêmes au début. Il fallut d’abord apprendre les deux langues, le français et le breton.

    Mais les difficultés des langues étaient peu de chose à comparer avec les préventions, les préjugés et l’ignorance avec lesquels MM. Jones et Williams se trouvèrent aux prises dès les premiers jours. On les considéra d’abord comme des expions et on fit le vide autour d’eux. Le fils d’un petit hôtelier de Plougasnou, chez lequel M. Jenkins logea pendant quelque temps, m’a raconté lui-même qu’intrigué de voir de la lumière briller dans la chambre de son pensionnaire, bien tard, dans la nuit, son père eut la curiosité de regarder à travers une fente, dans la cloison de bois, et que, surpris de voir M. Jenkins à genoux et en prière, il se hâta de rassurer les voisins, en leur disant ce qu’il avait vu, et que cet homme ne pouvait pas être un malfaiteur.

    Quant à l’attitude du clergé, elle s’exprima dans les couplets d’une chanson, où le curé de Morlaix signalait l’arrivée de M. Jenkins par ces mots : « Eur serpant leun a vulum hen deuz treuzet ar mor » ! Un serpent plein de venin a traversé la mer !…

    Quant à la population des campagnes, sa langue, son ignorance et son conservatisme de race, lui avaient donné une triple cuirasse contre laquelle tout effort semblait destiné à se briser.

    A l’époque dont nous parlons, la Basse-Bretagne était aussi fermée à tout effort d’évangélisation que la Chine l’a jamais été. M. Jenkins de son coté et M. Williams, du sien, se mirent, néanmoins, courageusement à l’œuvre. La campagne leur étant pour ainsi dire fermée, ils firent la seule chose qu’ils pouvaient faire, ils s’occupèrent des quelques rares familles suisses ou anglaises qui se trouvaient à Morlaix et à Quimper et, avec ces éléments, auxquels se joignirent quelques recrues françaises, ils formèrent un troupeau qui, après s’être réuni dans la maison du pasteur, justifia, plus tard, la construction d’un modeste temple. Celui de Morlaix fut construit en 1845, et celui de Quimper, en 1847.

L’ancien temple protestant de Morlaix, rue de Paris, vers 1900. Le nouveau temple se situe au même emplacement.

    L’ouverture de ces deux temples offrit bien des difficultés. Les pasteurs étaient dissidents, et l’adversaire avait découvert qu’ils ne pouvaient, de ce fait, exercer, légalement, leur ministère. Cette difficulté fut heureusement écartée par l’action du Consistoire de Brest qui leur accorda, à chacun, une délégation consistoriale, et leur donna, ainsi, un statut officiel.

L’effort dans les campagnes

    L’objectif de la mission n’était pourtant pas d’atteindre la population française mais bien la population bretonnante des campagnes, et il tardait aux deux pasteurs de s’y consacrer plus complètement.

    L’avènement de la République de 1848, qui accorda un moment la liberté pleine et entière des cultes, parut le moment désiré ; mais un incident, qui aurait pu avoir des suites tragiques, montra qu’il ne fallait rien brusquer. Comme M. Jenkins, ainsi qu’il le faisait depuis quelque temps, prêchait sur la place du Moustéru, dans les Côtes-du-Nord, au moment où la foule sortait de la messe, il fut violemment pris à partie par quelques forcenés qui, après lui avoir lancé des pierres, à lui et au colporteur breton qui l’accompagnait, le forcèrent à se réfugier dans l’auberge où il était descendu. Les adversaires l’y suivirent et entrèrent à sa suite, le malmenèrent et déchirèrent ses vêtements, tandis que la foule du dehors criait qu’on leur amenât ce damné protestant, et qu’on lui ferait son affaire. Heureusement que la pluie, qui menaçait, et qui se mit à tomber violemment, dispersa la foule, de sorte que, ne se sentant plus soutenus, les mentors finirent par lâcher prise et se retirer. C’est, il faut l’ajouter, la seule scène de violence dont je me souvienne, dans la Mission. Elle eut son utilité, en ce sens qu’elle démontra la nécessité de conformer les méthodes au degré d’intelligence et, dans la mesure du possible, aux us et coutumes des populations auxquelles on s’adressait.

    D’ailleurs, cette large tolérance ne dura guère. Une des premières précautions du second empire fut, comme nous le savons tous, d’interdire les réunions politiques et religieuses, et ce fut sous la menace constante de la loi, qui exigeait l’autorisation préfectorale pour toute union de plus de 20 personnes que l’Œuvre d’évangélisation se poursuivit hors des temples reconnus par l’État. C’était un grand empêchement.

    L’œuvre se fit pourtant, lentement, sans bruit, mais sûrement, tant du coté de Quimper que de celui de Morlaix. Elle se fit par les colporteurs bien que souvent contrariés et arrêtés dans leur œuvre par le refus de l’estampille préfectorale sur leurs livres. Elle se fit, surtout, par des réunions plus ou moins clandestines dans la maison des fidèles, en ville ou dans les campagnes.

    Cette longue période d’opposition systématique de la part de l’administration et du clergé fut, néanmoins, remarquable par l’activité et l’expansion de la Mission parmi les Bretons. Elle vit paraître la nouvelle version du Nouveau Testament breton, que fit M. Jenkins, et celle des Psaumes, par M. Williams, l’impression de nombreux traités religieux et de cantiques dans la même langue.

    C’est à cette époque aussi que se rattachent les premières conversions, parmi la population des campagnes, conversions qui furent remarquables par leur caractère, les persécutions qu’elles suscitèrent, la foi et le courage avec lesquels elles furent supportées. Cinq pieuses femmes, amenées à la connaissance de l’Evangile, durent subir, dans leur maison, un véritable siège de la part de la population des gens de leur village, furieux de les voir abandonner leur religion, et furent obligées, pour leur sécurité, de vendre ce qu’elles avaient et de se fixer ailleurs.

    J’ai vu de petits fermiers qui se voyaient refuser le renouvellement de leur bail par leurs propriétaires. Mais cette persécution même servit à étendre l’œuvre dans de nouvelles directions. Ainsi, deux de ces femmes, dont j’ai parlé, furent employées comme institutrices itinérantes, pour aller, de maison en maison, enseigner aux enfants à lire l’Évangile et, en même temps, à le faire connaître à leurs parents.

    Cette oeuvre excellente, adaptée aux nécessités du temps, porta ombrage au maire de l’endroit qui les poursuivit comme ayant tenu école sans autorisation, parce qu’un dimanche il les avait surpris lisant ensemble l’Évangile avec quelques amis. Condamnées à une forte amende, par le tribunal de 1’instance, avec défense de ne plus enseigner, l’affaire fut portée devant la cour de cassation qui cassa le premier jugement, mais en maintenant l’amende. Étrange justice de cette époque qui prononçait des jugements sous la menace d’une autorité arbitraire et absolue !

Résultats de cette première période

    Quand M. Williams quitta la Bretagne en 1869, il laissait à son successeur une Église prospère, celle de Quimper et, à Lorient, une seconde Église dotée d’un pasteur français et d’un temple digne d’une grande ville.

    L’influence de l’évêché, l’ignorance profonde de la population de cette partie de la Bretagne, ainsi que le régime de la grande propriété foncière qui y prédomine avec son aristocratie toute puissante sur la population rurale, avaient empêché l’œuvre bretonne de se développer aussi rapidement, dans cette partie de la Bretagne, que dans le nord ; mais le protestantisme avait cessé d’y être inconnu, et les bases avaient été préparées pour une marche en avant, dès que les lois restrictives de la liberté des cultes auraient disparu.

    Quand M. Jenkins mourut en 1872, après un ministère de 38 ans, lui aussi avait réalisé une bonne part du rêve de sa vie.

    Il avait vu disparaître la montagne de préventions, de préjugés et d’hostilité qui semblait devoir opposer, à toujours, une muraille infranchissable à tous ses efforts, et il avait vu ces sentiments se changer en respect pour lui et pour son œuvre.

    Par sa prédication dans les campagnes, par la distribution des Saintes Écritures, par les colporteurs et les efforts des Évangélistes sous sa direction, il avait ouvert une brèche dans la citadelle du catholicisme breton. Après avoir fondé l’Église française de Morlaix et construit pour elle un temple, il avait réuni autour de lui un noyau de fidèles bretons, sérieusement convertis, qui pouvaient fournir une base à l’œuvre de l’avenir. Comme ceux-ci se trouvaient dans la région de Trémel, il y avait construit un temple et y avait établi un instituteur évangéliste, avec l’intention d’y ouvrir une école.

    Cette œuvre, devenue plus tard indépendante, a continué à prospérer et à étendre son influence à la limite du Finistère et des Côtes-du-Nord.

3) L’œuvre sous ma direction  [par A.-L.Jenkins]

    Ce n’est pas une exagération de dire que le Moyen Âge s’est prolongé, à bien des égards, pour la Bretagne. jusqu’à la fin du Second Empire. Ce n’est qu’avec la 3ème République qu’il s’est terminé pour elle, et qu’a commencé une ère nouvelle.

    J’ai connu une Bretagne où les routes n’étaient que fondrières, où la misère, la mendicité vous rencontraient à chaque pas, où l’ignorance était telle que 85 sur 100 de ta population bretonne ne savait ni lire ni écrire ; mais tout cela a changé. Par les lignes ferrées, la Bretagne est entrée en rapport avec le monde du dehors ; nous ne sommes plus, comme autrefois, à 5 journées de diligence de la capitale, nous n’en sommes plus qu’à 10 heures de chemin de fer. Avec la rapidité des communications est affluée la richesse et l’aisance est venue. Par les écoles communales, répandues sur le territoire de nos trois départements, l’État a dissipé les anciennes ténèbres. Il a fait plus. En accordant la pleine et entière liberté de réunion, il a largement ouvert le champ aux efforts de tous, pour y répandre la connaissance de l’Evangile.

    Chargé de poursuivre l’œuvre commencée par mon vénérable père, c’est vers la population bretonne des campagnes, sans pourtant négliger la partie française, que je tournai particulièrement mon attention ; c’était elle qui était le but de la Mission, elle qui était le plus accessible aux sentiments religieux, c’était chez elle que nous avions récolté le plus d’encouragements et de succès, et c’était elle qui nous faisait concevoir le plus d’espérances.

    Nous avons tous constaté que nos temples protestants, loin d’être des centres d’attraction, sont plutôt pour les catholiques des centres de répulsion ; les salles de conférences ne leur présentent pas les mêmes objections.

    Je commençai donc par m’adresser à la classe ouvrière de Morlaix, et nous nous réunissions dans une mansarde, au-dessus d’une auberge, dans un des faubourgs de la ville. Les résultats furent satisfaisants et» comme je parlai en breton, l’auditoire ne tarda pas à s’accroître ; il fallut changer de local et, plus tard, acheter un terrain et construire une salle plus grande. Nous étions, à ce moment-là, portés sur le sommet d’une vague d’anticléricalisme qui nous favorisait ; ce n’était pourtant pas de l’anticléricalisme que je faisais, je prêchais, simplement, l’Évangile.

    C’est dans cette salle et non dans mon temple que j’obtins les premières conversions qui ont été et sont restées la joie de mon ministère Le clergé s’alarma, mit tout en œuvre pour détruire l’œuvre que j’y faisais et réussit en partie, mais nous avons persévéré, et c’est dans cette salle qu’aujourd’hui je fais encore mes services bretons le dimanche soir.

La salle de conférences protestantes du quartier de La Madeleine, à Morlaix, vers 1900.

    Ce que nous avions fait en ville nous le fîmes dans les campagnes. Là où le colporteur nous signalait des localités où il avait été bien reçu, et où l’on était disposé à nous laisser faire une réunion, nous y allions une première fois, puis deux, puis trois, puis à intervalles réguliers en accordant à notre hôte un léger dédommagement pour le dérangement que nous avions pu lui causer. Les souvenirs les plus doux de mon ministère se rattachent à ces réunions par les longues soirées d’hiver, quand, à la lumière d’une chandelle ou de l’ajonc qui flambait joyeusement dans la large cheminée, j’ai prêché à ces fermiers et laboureurs bretons, et que j’ai aperçu sur leur visage et dans leur chaude poignée de main, au départ, que la vérité leur était apparue, et que le cœur avait été touché.

    C’est de ces réunions dans les campagnes que sont nés tous nos postes d’évangélisation et leurs annexes.

    Voici la méthode que nous avons suivie. Quand, pendant un certain temps, comprenant parfois des années, une localité nous avait donné des encouragements par l’assiduité et la persévérance des gens à suivre les réunions et que, d’autre part, au point de vue stratégique, c’est-à-dire par le voisinage d’autres agglomérations et les dispositions de leurs habitants, cette localité nous paraissait bien placée, nous avons parlé de bâtir, nous avons invité les habitants à nous aider par les charrois et certains travaux ; puis nous nous sommes mis à l’œuvre et nous avons bâti une maison et une salle de réunion. Mais nous n’avons jamais agi de la sorte que lorsque nous avions d’abord sous la main l’homme que Dieu semblait avoir appelé à cette œuvre. Agir autrement. C’eût été aller au devant de toutes sortes de déboires.

    Nous avons ainsi créé quatre postes d’évangélisation qui «ont devenus, eux-mêmes, des centres. Trois de ceux-ci sont dans 1a région des montagnes d’Arrée et un sur le littoral, à Primel, Ce sont :

l* Lannéanou, où nous avons une maison et salle de conférences» avec un évangéliste, M. Collobert. Il s’y fait une oeuvre intéressante sur un rayon de 10 a 15 kms et qui atteint plusieurs villages et hameaux.

Un mariage à Lannéanou (Finistère), vers 1910, devant les bâtiments de la mission protestante.

2* Kerelcun [en La Feuillée], où nous avons érigé une chapelle démontable, en bois, recouverte de tôle galvanisée, avec un campanile et cloche pour appeler les fidèles.

Nous avons aussi, là. un évangéliste, M. David, qui rayonne également dans les villages et hameaux environnants. L’oeuvre y donne des résultats encourageants.

La chapelle de Kerelcun en La Feuillée, vers 1910. Elle avait été construire en tôle ondulée galvanisée (matériau moderne pour l’époque) et comprenait, en annexe un logement pour le colporteur-évangéliste. L’assistance, certains dimanches, représentait des centaines de personnes.

3* Le Guilly [en Poullaouën] où, à 1’oeuvre d’évangélisation, nous avons ajouté une école primaire mixte sous la direction d’un instituteur et de sa femme, et qui comprend, actuellement, 80 élèves, tous nominalement catholiques. L’influence de cette école, de l’école du Dimanche qui s’y fait, ainsi que la prédication de l’Évangile, exercent une heureuse influence sur la population.

L’école protestante du Guilly en Poullaouen (Finistère) vers 1910. L’instituteur et sa famille posent parmi les garçons scolarisés du hameau

4* Primel [en Plougasnou]. Nous avons ici également une maison d’habitation, une salle de conférence et une école maternelle, sous la direction d’une institutrice, Mlle Oria.

    Ces postes n’ont pas été créés sans peine, sans difficultés et sans beaucoup d’opposition de la part du clergé ni même, pour tout dire, parfois sans déceptions et découragements ; mais nous avons persévéré, malgré tout, et Dieu a fait servir les difficultés à l’avancement de son règne.

    L’œuvre de Morlaix comprend actuellement : un pasteur, deux évangélistes, un colporteur, un instituteur et deux institutrices.

    Messieurs, je ne retiendrai pas plus longtemps votre attention. Ce que je viens de vous dire suffit pour montrer que la Bretagne, « cette terre de granit recouverte de chênes », comme l’appelait Brizeux, a pu, malgré sa longue résistance, être entamée par l’Évangile.

    Cette oeuvre est difficile, cela est incontestable. Elle exige la connaissance de la langue et de la mentalité bretonnes, chez le missionnaire une grande dose de patience, de foi et d’amour. Mais le but à atteindre en vaut la peine. Le Breton, avec l’énergie de son caractère, sa profonde sensibilité et sa religiosité naturelle, constitue, quand le coeur a été sanctifié par la foi et la grâce de l’Evangile, un bien beau type de l’humanité.

    Une Bretagne amenée à a l’Évangile serait le triomphe de l’Évangile dans la France tout entière.

    L’oeuvre est immense, et « qui, hélas, est suffisant pour ces choses » ?

    Mais si notre force n’est que faiblesse, nous avons dans la marche mondiale des choses que Dieu dirige, dans la puissance de sa Parole pour sauver ceux qui croient, et dans les promesses de Dieu, l’assurance que la Bretagne appartiendra tout entière, un jour, à ce Sauveur dont elle connaît le nom, et qu’elle vénère, mais qui lui est encore voilé, à Jésus.

    Quant à nous, notre devoir est d’aller en avant, comme par le passé.

    L’Éternel des Armées est avec nous, le Dieu de Jacob est notre haute retraite.

A.-L. Jenkins, Pasteur à Morlaix.

 

4 réponses à Les missions galloises en Bretagne en 1913

  1. chantal reydellet dit :

    Très contente de vous retrouver, cher ami, grâce à votre site que je viens de découvrir par Meromedia et regards protestants.
    Les missions galloises sont tout à fait intéressantes et ont laissé une trace à Rennes par un banc offert au temple avec une dédicace que je pourrais recopier, si cela vous intéresse ; à moins que vous ne la connaissiez déjà.
    Je cherche des renseignements sur un pasteur gallois, John Williams qui aurait « travaillé » dans le secteur de Douarnenez, Quimper… dans les années 1940-50, pour un ami gallois que vous connaissez sans doute, au moins de réputation, le prof. Gwyn Meirion-Jones.

  2. Viviane (Le Gac) Pulis dit :

    Quelle joie et quelle heureuse surprise de lire le fruit de vos recherches! Au début des années 50, je suis allée à l’école du Guilly. Après un long parcours, je suis devenue chrétienne et je n’ai aucun doute que c’est par l’effet du Saint-Esprit présent dans cette petite école que la semence a été plantée. J’habite aux Etats-Unis et y suis depuis 1972…
    Bien cordialement,
    Viviane

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