Les protestants de Lorient vers 1930

Nous avons présenté il y a peu le pasteur Édouard Bénignus et l’oeuvre des protestants disséminés dans le département du Morbihan, en insistant sur la dynamique déjà en cours à Vannes.

Nous suivons maintenant les rapports du pasteur sur la principale communauté à sa charge, celle de Lorient. Le protestantisme y avait été établi grâce aux efforts successifs de la Société Évangélique de France et de la mission méthodiste galloise qui avait édifié un beau temple cinquante ans plus tôt. Les comptes rendus d’Édouard Bénignus sont d’autant plus précis qu’ils sont adressés à son frère, alors directeur de la Société Centrale Évangélique. Le pasteur y partage sans fards ses joies et ses soucis.

« A Lorient, écrit-il, notre groupement compte 180 protestants. Malgré son petit nombre, il tient une place importante dans la ville. Toutes nos réunions religieuses ont lieu au temple qui se remplit aisément : un tiers de l’auditoire représente mes paroissiens, un tiers les habitués des conférences qui sont très réguliers et un tiers formé de gens qui changent. La presse locale est toujours représentée et publie le lendemain une analyse très fidèle de la conférence, ce qui répand nos principes dans des milieux bien différents où nous n’aurions aucun moyen d’accès.

C’est parmi les habitués de nos conférences que nous avons recruté quelques nouveaux prosélytes, comme cette veuve de guerre qui a suivi des cours d’instruction religieuse pour prendre part à la communion. Ses trois enfants ont été catéchumènes à leur tour et sont membres de notre Église.

D’autres nous sont très favorables, sont heureux de manifester leur sympathie pour notre Église, mais ne se rattachent pas. Où nous voyons que notre groupement a beaucoup de sympathie dans le milieu lorientais, c’est au moment de notre vente annuelle pour l’Église. Préparée par une cinquantaine de membres de l’Église, cette vente a produit 3.000 francs les premières années et l’année dernière plus de 10.000 francs. Ce qui permet d’avoir une telle recette, c’est que le nombre des familles catholiques qui se font un plaisir de venir acheter à nos comptoirs égale et dépasse celui des familles protestantes. Et c’est ainsi que notre petite Église a pu faire réparer le temple et aménager deux grandes salles pour notre jeunesse, c’est-à-dire plus de 40.000 francs de dépenses en 10 ans provenant de ses ressources locales […]

Le manoir de kervéléan (photo extraite du document http://pdbzro.com/pdf/guieysse.pdf)

Un des points forts de la communauté protestante de Lorient est le dynamisme de ses œuvres de Jeunesse, les Unions Chrétiennes et la troupe scoute, créée sans doute à l’exemple des Éclaireurs unionistes de Nantes qui avaient été des pionniers sur l’espace français. La ville de Lorient est encore alors une cité close de fortifications héritées du siècle passé. Les sorties des éclaireurs et des éclaireuses protestants sont facilitées par la bienveillance d’une paroissienne fortunée, Mme Aline Guieysse (1852-1941), veuve du député et ministre Pierre-Paul Guieysse (1841-1914), qui met régulièrement à leur disposition le parc de son château de Kervéléan, aujourd’hui en Lanester. La paroisse avait tenu à rénover en ville une salle pour les accueillir en temps ordinaire :

« L’aménagement du local inutilisé, derrière le temple, exigeait des travaux importants. Ils ont été terminés avant la fin de l’année 1928. La soirée d’inauguration, a groupé 81 personnes qui se sont entassées dans la petite salle. Les enfants et les grandes jeunes filles ont chanté des cantiques, les louveteaux se sont produits ! Tout le monde était ravi de voir la salle prête à recevoir la jeunesse. Désormais l’Église est pourvue d’un instrument de travail qui, jusqu’ici, lui manquait grandement.

Dès à présent la salle annexe est à la disposition des jeunes gens le mercredi soir, des louveteaux le jeudi après-midi, et des jeunes filles le dimanche après-midi […] ».

Ce dynamisme des activités de jeunesse se vérifie lors des célébrations qui unissent la paroisse. :

« La fête de l’arbre de Noël a eu lieu le 24 décembre 1928, écrit encore le pasteur au début de l’année suivante : Temple garni : 200 personnes, enfants au grand complet; chants fournis. La collecte, faite à domicile, que plusieurs dons du dehors sont venus grossir, a permis non seulement de couvrir les frais, mais d’envoyer 100 francs à la Société des Écoles du Dimanche et de verser un reliquat de 100 francs au compte de la salle des jeunes. Dans la soirée, les enfants ont dégarni le sapin et le lendemain matin le concierge pouvait tout nettoyer pour le culte […]

Le culte de Noël a groupé 76 auditeurs. Détail important, 40 personnes ont participé à la sainte Cène : il est vrai que le dimanche précédent, le service avait été une préparation directe à la communion1 ».

Pasteur et aumônier…

Un volet important du ministère d’Édouard Bénignus justifiait également cette extension des locaux. Le pasteur de Lorient était tout naturellement aumônier bénévole de la garnison, et son office s’étendait à la « maison de correction » de Belle-Île, aux écoles et camps de Coëtquidan, ainsi qu’à diverses institutions, comme le centre de rééducation de Kerpape en Ploëmeur.

« Cet hiver, nous avons pu offrir à nos jeunes marins et soldats un foyer pour leur sortie du dimanche.

Ils ont bien su profiter de cette salle pour y passer toute la journée après le culte du matin, y déjeuner en commun, lire, écrire, et même travailler à confectionner une portière en perles de couleur avec du papier de tapisserie. Cette portière sera mise en loterie pour notre vente annuelle et rapportera au moins 750 francs. Cette oeuvre nous donne bien des encouragements et plusieurs familles nous ont remercié sachant que leurs fils passaient leur dimanche à l’abri des intempéries et surtout des tentations […]

A dix kilomètres de Lorient, se trouve le sanatorium marin de Kerpape où, chaque mardi matin, je vais visiter les malades protestants. Après 33 mois de séjour, un jeune homme de Reims va pouvoir repartir dans sa famille guéri et marchant seul. Son séjour au sanatorium lui aura permis de se développer spirituellement, et je pense qu’il n’oubliera pas nos matinées du mardi où je lui donnais des leçons de français et de mathématiques pour finir par le culte. C’est plein de reconnaissance envers Dieu qu’il regarde vers ces longs mois où il a dû rester étendu sur son lit. Je visite en ce moment, au pavillon des adultes, une jeune fille employée dans une banque de Paris, membre de l’association des Veilleurs. En quelques mois, grâce au bon soleil et à l’air marin, elle va repartir guérie d’un petit accident à la jambe. Les visites que je puis lui faire avec ma femme ou ma fille la consolent de l’éloignement de sa famille : elle ne comptait pas, en ce coin de Bretagne, recevoir chaque semaine une visite pastorale. .

J’ai également au préventorium des Pins, qui se trouve à côté de Kerpape, un petit Poitevin, orphelin, qui m’a adopté et me salue toujours d’un «Bonjour Papa !». Depuis qu’il vit au milieu des pins, dans cet air si fortifiant, il a changé et prend des forces de mois en mois2 ».

Édouard Bénignus n’est pas découragé par l’importance du travail qu’il accomplit chaque mois. Il espère même une extension de son ministère, notamment vers les campagnes  :

« Mais comme on se sent faible devant tout ce qu’il faudrait faire; la masse de nos concitoyens bretons est encore sous la domination d’un clergé fanatique par endroits. Un exemple récent : tout dernièrement, une jeune fille catholique, voulant lire la Bible, s’en était procurée une auprès d’une amie protestante, qui lui avait remis une version de Sacy, seule autorisée par les autorités catholiques. Lors d’une retraite, elle dut avouer à son confesseur qu’elle lisait la Bible. Non seulement il le lui interdit, mais lui ordonna de brûler cette Bible. Voyez que dans nos régions, on ne sait pas encore ce que c’est que la liberté de croire et de penser.

Ce qu’il faudrait pouvoir, c’est pénétrer à l’intérieur avec des colporteurs bretons comme en ont d’autres sociétés. Ils pourraient frayer le chemin et nous faire entrer en contact avec des âmes avides de s’instruire, et il y en a plus que nous ne le pensons. Mais nous n’avons pu jusqu’à présent trouver cet homme qui pourrait travailler: en collaboration avec nous ».

Jean-Yves Carluer

1Le Journal de l’Évangélisation, 1929, p. 32-33

2Le Journal de l’Évangélisation, 1930, p. 274.