1873-1875 : Vincent Arnoux à Rennes -2
La première tâche du nouveau pasteur est de réaliser, enfin, l’objectif constant de ses prédécesseurs : obtenir un statut officiel pour son Église. Fin 1873, le décret tant attendu est signé par le président Mac-Mahon. La République crée « un poste de pasteur proposant rétribué à Rennes, avec une paroisse comprenant le département d’Ille-et-Vilaine et l’arrondissement de Dinan« 1. Vincent Arnoux ne peut être que proposant tant que le consistoire d’Ille-et-Vilaine, qui vient d’être créé, ne l’a pas élu à sa tête.
Dès le 12 octobre 1873 le ministre avait alloué un secours supplémentaire au nouveau pasteur et forcé les municipalités abritant les protestants de la paroisse à se partager le versement d’une indemnité de logement de 600 francs. Les conseils municipaux concernés (Rennes, Saint-Malo, Saint-Servan et Dinan) se firent prier. La cité préfectorale donna enfin l’exemple en votant 300 francs2.
Alors qu’en 1863 l’état nominatif des protestants rennais était de 345 âmes (sans compter les 106 isolés rattachés à la paroisse), en 1873 le chiffre était passé à 426 (plus 180 rattachés). Ce n’est pas le prosélytisme local qui explique cette progression, mais le développement de l’immigration des calvinistes venus depuis d’autres régions pour leurs activités. Les fonctionnaires, en particulier les militaires, ainsi que des commerçants formaient l’essentiel des familles protestantes qui s’établirent à Rennes3. La part des protestants originaires des Îles de la Manche qui était encore notable en 1873 (17 familles) diminuait, par contre, régulièrement.
Le poste de Rennes n’avait plus à dépendre financièrement des subsides de la Société Centrale d’Évangélisation. La nouvelle Église concordataire s’affilia à l’Union Nationale des Églises Réformées Évangéliques de France, confirmant le choix « orthodoxe », voire « revivaliste » des calvinistes bretons.
Le pasteur Arnoux, fort de son titre officiel, entreprit en 1876 de demander des émoluments pour son travail d’aumônerie au lycée de Rennes4. Le recteur d’Académie refusa pourtant le poste. Par contre, en 1883, la ville de Rennes accepta de porter à 600 francs sa contribution à l’indemnité logement. Petit à petit, et à contre coeur, le pasteur était accepté comme une personnalité de la ville.
Ce n’était pas simplement un enjeu administratif ou financier. L’archevêché entendait bien étouffer le culte qui peinait à émerger. Et un des principaux handicaps des Réformés était la médiocrité, pour ne pas parler de l’insalubrité, de leurs lieux de cultes successifs, simples salles louées à des particuliers.
Dès son arrivée dans la ville, le pasteur Arnoux ne s’était pas montré satisfait de sa chapelle réformée « située dans un quartier mal famé par suite du voisinage des casernes« 5. Il fit savoir à son ministère de tutelle que cette précarité ne pouvait durer : « L’autorité catholique profite du découragement où notre fâcheuse condition jette nos coreligionnaires, pour tenter de nous enlever les plus accessibles et les plus timides d’entre eux »6.
Le nouveau pasteur se trouvait devant un quadruple chantier : rassembler et édifier une congrégation locale en expansion, aller à la rencontre des communautés périphériques qui lui avaient été attribuées, à Dinan, Saint-Brieuc et Saint-Servan, et imposer leur reconnaissance officielle, et enfin bâtir à Rennes un lieu de culte en rapport avec sa situation. Vincent Moïse Arnoux réalisa ce programme et y ajouta une dimension nouvelle, l’évangélisation des quartiers ouvriers de la ville…
(à suivre)
1Le salaire, conformément aux instructions, était de 2200 francs par an.
2Les autres villes refusèrent, ou bien, comme Dinan, ne versèrent qu’une somme symbolique. C’est le ministère des cultes qui dut payer les 285 francs manquants. En 1879, un arrêté préfectoral fixa les quotes-parts des différentes communes
3Notons, entre autres, les brasseurs alsaciens Richter et Graff. Mme Catherine Lalumière, qui fut ensuite ministre puis secrétaire générale du Conseil de l’Europe en 1991, est issue de cette dernière famille rennaise.
4Le pasteur s’occupait depuis trois ans d’une trentaine d’élèves protestants, dont plusieurs jeunes Anglais.
5Archives nationales, F/19/10496, lettre du 8 janvier 1873.
6 Idem, lettre du 8 janvier 1873.