En 1856, l’Église protestante de Rennes sort pour une deuxième fois d’une période de disette pastorale. La paroisse était privée de ministre du culte depuis 1852. L’instituteur, Alphonse Martin, essayait de suppléer provisoirement à cette absence, mais sa tâche était difficile : il n’avait ni le temps ni la légitimité nécessaire, et il se heurtait, en outre, à la défiance des autorités et de l’administration.
En ce début du Second Empire, les instituteurs protestants étaient généralement très mal notés par le pouvoir qui voyait en eux de dangereux « rouges » et des agents révolutionnaires. Cet a-priori concernait également le malheureux Alphonse Martin. Un rapport du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre le décrit comme un « homme taré et d’opinions socialistes les plus avancées1 ! ». Le pauvre devrait s’estimer heureux de ne pas avoir été déporté et emprisonné après le coup d’État comme un certain nombre de ses collègues du Midi…
Dans ce contexte, il n’était pas question que le ministre des cultes réponde favorablement à la demande de reconnaissance officielle d’un poste pastoral en Ille-et-Vilaine.
C’est la Société Centrale Protestante d’Évangélisation qui sauve la situation en parrainant l’Église de Rennes. Elle décide d’y subventionner le culte et lance un appel à candidature pastorale auquel répond en février 1856 le pasteur Charles Vermeil. Né en août 1821, bachelier en théologie de la faculté protestante de Strasbourg, ce dernier avait déjà été pasteur à Jailleu, en Isère, puis à Saint-Michel-de-Chabrillanoux, en Ardèche, où il resta 6 ans en étant fort apprécié.
Un pasteur, enfin !
Charles Vermeil arriva avec sa famille à Rennes au cours de l’été 1856. Il jouissait d’un préjugé favorable de la part de l’administration : « Il s’est fait constamment fait remarquer par la modération de ses opinions politiques et religieuses2 », avait transmis le préfet de l’Ardèche à son collègue de Rennes.
Restait à restaurer une Église qui s’était longtemps crue oubliée. Le pasteur se mit immédiatement à la tâche : trouver un lieu de culte adapté, regrouper les paroissiens, reprendre les visites.
Le rapport pour l’année 1857 de la Société Centrale atteste de ses efforts :
A. Rennes (Ille-et-Vilaine), le troupeau s’organise sous les soins dévoués de M. le pasteur Vermeil. Le culte se célébrait dans un local très peu convenable ; l’Église a fait de grands sacrifices pour louer et approprier une petite chapelle qui, toute modeste quelle est, sera plus en rapport avec la dignité du culte chrétien. L’inauguration s’en est faite le jour de la Fête-Dieu. Tandis que la procession sortait au bruit des cloches et de l’artillerie, nos frères, humblement prosternés devant Celui qui a dit que son culte est esprit et vérité, invoquaient sa bénédiction sur la Parole, qui chaque dimanche sera annoncée dans ce sanctuaire, et resserraient leurs liens par la communion au corps et au sang de Jésus-Christ.
M. Vermeil va tous les mois célébrer le culte à Saint-Servan et à Dinan où se trouvent un certain nombre de nos coreligionnaires. Il est, avec le pasteur de Brest, le seul représentant de nos Églises dans quatre départements de la Bretagne3 ». « Les pasteurs anglais qui résident dans ces localités », ajoute le rapport de 1869, « le secondent de tout leur pouvoir 4». Le Rev. Money, de Saint-Servan, soutient même financièrement la communauté réformée.
L’engagement financier des protestants de Rennes s’est montré, pour sa part, très convenable. Le rapport de 1858 de la Société Centrale mentionne une « souscription de 1197 Francs-or pour loyer et les frais du culte ». Relevons en outre, cette année-là, parmi les principaux donateurs les familles Larivière, aidée de MM. Jegen, L’Hérété, officier d’administration et Mmes Briand (de Jersey) et Brünner. Cet effort a permis de louer un bâtiment à usage de temple au lieu dit Le puit-Mauger, 6, rue de Nantes.
Charles Vermeil reste 14 ans pasteur à Rennes. Il n’a que le titre de suffragant puisque le poste local n’est pas encore reconnu par le ministre. En 1862, « L’oeuvre de Rennes se maintient dans son état habituel : deux offices chaque dimanche et deux instructions, l’évangélisation des soldats, le culte à Saint-Malo (Saint-Servan), quelques visites à Dinan, emploient l’activité du pasteur Vermeil. Il a eu beaucoup de satisfaction avec les militaires protestants de Saint-Malo. Ce n’est pas seulement parmi les soldats, c’est aussi parmi les officiers supérieurs qu’il a trouvé un vif intérêt pour la religion… Espérons que l’État en fera bientôt une paroisse nouvelle de la Consistoriale de Brest 5». En cette année 1862, 19 souscripteurs ont offert près de 600 francs-or à Rennes et 25 autres près de 200 francs à Saint-Servan. Le total cumulé des offrandes locales représente, les meilleures années, le tiers du total nécessaire et la moitié de la contribution de la Société Centrale, qui s’élève à 2000 francs-or environ. Rien d’étonnant à ce que l’organisme parisien rappelle régulièrement les démarches effectuées, année après année, pour obtenir la prise en charge officielle du culte protestant à Rennes.
(à suivre…)
1Archives Nationales, lettre du 27 août 1853.
2Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 3 V 4, lettre du 19 novembre 1857.
3Société Centrale Protestante d’Évangélisation, Rapport de 1857, p. 23.
4Idem, 1869, p. 29.
5Société Centrale Protestante d’Évangélisation, Rapport de 1861, p. 30.