Les Justes de Trémel -5

L’été de tous les dangers…

     La mission baptiste de Trémel est sans cesse menacée au cours des dix mois qui précèdent la libération. La famille Lévy peut être à tout moment découverte ou dénoncée.

     Le hameau d’Uzel n’est pas du tout isolé. Il se situe sur la route communale qui rejoint le bourg de Trémel, assez proche, à Plouégat-Moysan. Quelques exploitations agricoles figurent dans les environs.  Les voisins de la mission sont habitués à voir souvent des étrangers y passer. Mais le va-et-vient s’est sérieusement ralenti durant la guerre.

Trémel, le temple, vue arrière, 1910

Le temple de Trémel, vu de l’arrière de l’édifice, avec ses accès privés, ainsi que la maison attenante. On distingue clairement sur le pignon les marques de rehaussement du toit. (extrait de Bullinger, The Story of the Breton Mission, 1910, p. 74).

     La famille Lévy, bientôt rejointe par la famille Kaufmann, les oncle et tante de Mazalto, est logée non loin de la façade arrière du temple dans un local vétuste. D’après le témoignage de Rachel Le Quéré Tarassenko, ils y résidaient seulement en l’absence de danger apparent. Leur refuge ultime était une sorte de faux grenier accessible entre le plafond du temple et la toiture de l’édifice. Le lieu de culte édifié par le pasteur John Jenkins dans les années 1860 avait été surélevé trente ans après par Guillaume Le Coat le directeur de la mission.

     Jacques Levy témoigne : « Ma mère passait ses soirées à la lucarne du grenier. Elle avait peur que les allemands nous trouvent. D’autant que le dimanche, il n’était pas rare d’en voir trois ou quatre venir prier au Temple de la Mission. On restait cachés dans le grenier du Temple pendant qu’ils étaient là. On les voyait par les interstices du plancher pendant l’office. Il ne fallait faire aucun bruit et se préparer à fuir. La porte du grenier était bien trop haute pour sauter directement dehors, alors Monsieur Quéré avait placé des ballots de paille pour qu’on puisse sortir du grenier par l’arrière sans se blesser au moindre problème. Il n’avait pas le choix, il devait supporter la présence des Allemands qui s’imposaient le dimanche[1]« .

     Mais Il n’y eut aucune alerte de ce côté-là. Le principal danger pouvait venir d’une imprudence.

tonton Tom Le Quéré

Guillaume Louis Le Quéré, dit « Tonton Tom », d’après une photographie d’identité de sa carte d’ancien combattant réalisée en 1936.

     Jacques Levy raconte que Guillaume Le Quéré et lui allaient « tous les deux dans un petit moulin où il s’était fait un atelier. C’est là qu’il écoutait en cachette Radio Londres. On écoutait ensemble les nouvelles de la guerre et on en discutait tous les deux[2]« .

     Le même Jacques Lévy faillit provoquer une catastrophe. Il était encore assez jeune pour pouvoir circuler sans papiers et il avait pris l’habitude d’aller régulièrement à vélo visiter et sans doute ravitailler ses grands parents oubliés à Morlaix par la Gestapo. Un jour, a-t-il raconté à Marie-Noëlle Postic, il crève sur le chemin du retour : « La perspective de faire trente kilomètres en poussant son vélo ne l’enchante pas, mais lorsqu’il voit s’arrêter à sa hauteur un camion allemand, la peur l’emporte sur l’agacement. Un soldat attrape le vélo, le charge, puisse hisse le garçon à ses côtés et « en route machine ». Au bout de quelques kilomètres, durant lesquels le silence semble s’être durablement installé, l’homme sort de son portefeuille la photographie  d’un garçon allemand. En souriant, il le montre à Jacques. le jeune garçon sourit à son tour et hoche la tête en signe de compréhension. Cependant, prudemment, alors que Trémel est encore loin, jacques déclare être arrivé à destination[3]« . C’en fut terminé alors avec les escapades à Morlaix !

     L’opinion de la population locale était largement favorable à la Résistance. Le canton de Plestin formait, avec les alentours, une zone « rouge ». Les versants boisés de la rivière locale, le Douron, ont abrité un des premiers maquis FFI de la région, au Coaz Chanuz, en Trémel. Il servit en 1944 de quartier général à une mission Jedburgh, composée de parachutistes américains chargés de coordonner les actions de la Résistance bretonne après le débarquement. De nombreux groupes FTP (francs-tireurs partisans) multiplient bientôt les actions dans la région. Ils seront assez nombreux, après août 1944, pour former tout un bataillon, le 15e FTPF. Les hommes de Trémel constituent à eux seuls la troisième compagnie.

     Les relations sont bonnes entre les maquisards et l’œuvre baptiste. Le registre des visiteurs de la mission relate que plusieurs d’entre eux y passèrent le 8 août 1944, jour de la libération. Le chef de section remercia ses hôtes pour « l’accueil chaleureux […] auquel il avait été particulièrement sensible[4]« .

     Mais, en attendant cette délivrance, l’été 1944 prit une tournure dramatique dans la région de Trémel. Les diverses actions de la Résistance avaient attiré de forts contingents de troupes allemandes qui pouvaient s’appuyer sur quelques collaborateurs et dénonciateurs. La tension était extrême. La répression s’abattait sur les patriotes. C’est ainsi qu’Édouard Guéziec (1918-1944), le frère d’André qui avait été fusillé dès le 12 mai 1941, fut arrêté à son tour par les nazis avec d’autres résistants dans le bois de Trémel le 25 juin 1944, suite à une dénonciation. Il fut torturé pendant plusieurs jours à Plouaret puis exécuté, probablement le 28 juin. On n’a jamais retrouvé son corps.

     J’ai personnellement recueilli l’anecdote suivante de la bouche d’Hélène Le Quéré, peu avant son décès. Une simple dénonciation aurait pu mettre en péril à tout moment la mission protestante. Un jour que Mme Lévy marchait dans le hameau, elle croisa le regard insistant d’une voisine qui n’était pas protestante. Berthe Lévy décida d’affronter le danger potentiel. Elle alla directement au devant de cette voisine et lui dit en substance que leur vie était entre ses mains. Il n’y eut pas de dénonciations.

     La famille Lévy quitta Trémel en octobre 1944. La France était en voie de totale libération. Les Lévy reprirent leur commerce sur les marchés de la région. Jacques et sa sœur Mazalto se marièrent puis quittèrent la Bretagne. Ils ne fréquentèrent pas les milieux protestants. Bohor (Robert) Lévy aimait à répéter à son fils que Guillaume Le Quéré avait été leur plus grand ami. Quant à Jacques Lévy, âgé de plus de 90 ans, il était toujours capable de répéter de mémoire un passage du Nouveau Testament que « Tonton Tom » lui avait appris autrefois et qui avait pour référence l’Évangile de Jean 3:16.

Jean-Yves Carluer

Mes remerciements à Mmes Marie Émilie Charlot Le Quéré, Marie -Noëlle Postic, Marthe Le Clech.

La mission baptiste de Trémel, vue générale vers 1914. Les bâtiments au premier plan sont ceux du moulin de Dour Uzel où a été installée un usine à lin, tandis que le coeur de l'oeuvre est sur la colline à gauche, à demi cachée par un rideau d'arbres. On y distingue en teinte claire le toit du temple avec ses lucarnes, et au centre de la photo le bâtiment de l'école des garçons, construit en 1891.

La mission baptiste de Trémel, vue générale vers 1914. Les bâtiments au premier plan sont ceux du moulin de Dour Uzel où a été installée une usine à lin, tandis que le coeur de l’oeuvre est sur la colline à gauche, à demi cachée par un rideau d’arbres. On y distingue en teinte claire le toit du temple avec ses lucarnes, et au centre, en haut de la photo le bâtiment de l’école des garçons, construit en 1891.

[1] Témoignage de Jacques Lévy, 24 mars 2015.

[2] Il s’agit du moulin de Dour Uzel, au pied du hameau, qui dépendait de la mission.

[3] Marie-Noëlle Postic, Des Juifs du Finistère sous l’Occupation…, Coop Breiz, 2013, p. 271.

[4] Livre d’or des visiteurs de la Mission de Trémel, 8 août 1944.