Plouër-sur-Rance : une mémoire huguenote.
La trace la plus visible du calvinisme à Plouër est un simple panneau indicateur qui peut surprendre le voyageur : «Rue du temple». Mais de l’édifice, il ne reste rien et depuis longtemps, car le lieu de culte réformé a été détruit à la suite d’un arrêt du Parlement de Bretagne datant de 1665. Mais la mémoire des riverains en a conservé le souvenir et la localisation.
La vicomté de Plouër était, aux débuts de la Réformation en Bretagne, une terre des La Garaye, qui possédaient également le beau manoir situé en Taden. Après leur départ pour la Suisse leurs domaines passèrent à leurs cousins, les Gouyon de La Moussaye. Le titre de Plouër revint au protestantisme à la suite du mariage de Claude Du Chastel avec Charles Gouyon de La Moussaye.
L’église paroissiale catholique Saint-Pierre et Saint-Paul abritait l’enfeu des seigneurs de Plouër. Le bâtiment actuel a été reconstruit au XVIIIe siècle, mais conserve encore d’anciens gisants de la fin du Moyen Âge qui sont donc les aïeux des seigneurs protestants. C’est fort de ses droits féodaux que Charles Gouyon de La Moussaye imposa l’inhumation dans l’église paroissiale de sa très huguenote épouse Claude du Chastel en 1587.
Le troisième lieu de mémoire protestant de Plouër est le château au vaste parc qui domine la Rance. Les bâtiments actuels, édifiés sur un site ancien dont on a conservé les douves, datent des XVIIe et XVIIIe siècles. Faute d’études plus approfondies, nous savons peu de choses sur cet édifice et encore moins sur son passé huguenot. Il fut la propriété successive de Charles puis Amaury II et Amaury III qui ne semblèrent pas y avoir résidé, préférant d’autres demeures comme le Val d’Arguénon, La Moussaye et Quintin. La reconstruction qui a abouti au bâtiment actuel avait-elle commencé avant la Révocation de 1685 ? C’est probable. L’acte de baptême de Maurice de Gouyon en 1631 semble indiquer que la cérémonie se serait déroulée au château.
Plouër, simple terre patrimoniale des La Moussaye, est devenue au cours du XVIIe siècle un fort lieu de présence huguenote. Les calvinistes de l’arrière pays de Saint-Malo avaient sans cesse buté pendant les Guerres de Religion sur l’opposition formelle du pouvoir royal à les voir se réunir plus près du littoral ou dans la cité stratégique de Dinan. Leur Église, quand elle était tolérée, eut pour siège Combourg ou Hédé, avant que les commissaires du roi chargés de faire appliquer l’Édit de Nantes ne tranchent définitivement en faveur de Plouër. On y édifia donc un temple. Cela pouvait sembler judicieux dans la mesure où les Maloins pouvaient remonter la Rance en bateau jusqu’à Plouër. Leurs coreligionnaires de Dinan étaient plus proches. Par contre, nombre de huguenots disséminés dans le pays devaient entamer une longue route pour rejoindre le temple. C’est ce qui ressort d’un texte fondamental rédigé en préface par un anonyme au manuel de piété du pasteur Pallory, le premier des ministres du culte à avoir desservi le temple de Plouër : « …Cette Église est composée de telle façon qu’une partie, et la plus grande d’icelle est à Saint-Malo, distante de trois lieues de Plouër-le-Comte… L’autre partie… est à Dinan, distante de deux lieues… les autre parties, comme Cancale, Le leix, le Val du Guildo, sont distantes, qui de trois, qui de quatre lieues : de façon qu’à cause de telles distances… nous ne pouvons avoir nostre dit pasteur, selon les nécessités et maladies, lesquelles surviennent à nos frères. Par ainsi, nostre dit pasteur, selon sa diligence et diligence pastorale, nous a envoyé ces consolations pour nous servir en son absence »[1].
Nous sommes clairement dans une situation d’Église de disséminés. A l’éloignement s’ajoutent diverses contraintes : la Rance n’est pas toujours une voie de pénétration facile, car aux heures de la marée le courant est violent, en particulier au passage Saint-Jean à Plouër. Or, faute de cale, les voyageurs ne peuvent embarquer à marée basse ! On comprend que de plus en plus de protestants aient désiré, quand il le pouvaient, résider sur place. Ils sont quelques dizaines dans ce cas après 1650.
Mais une autre menace guettait. L’exercice de fief, qui fondait en droit l’existence du temple, selon l’Édit de Nantes, n’était assuré que si les seigneurs résidaient sur place, ce qui, on l’a vu, n’était pas le cas. De plus, cette même famille garantissait également les Églises de La Moussaye et Quintin. C’était trop pour le Parlement qui trouva finalement cet argument pour faire démolir le temple de Plouër. Mais les protestants du lieu trouvèrent une solution provisoire. Une branche cadette des Gouyon acquit en 1675 le château de Beaufort en Plerguer, de l’autre côté de la Rance, où le culte put, tant bien que mal, se poursuivre jusqu’à la Révocation sous la protection d’Amaury Gouyon de Touraude et de sa veuve Anne de L’Espinay.
[1] Sainctes paraclèses ou consolations pour fortifier les malades en la foy de J.C., et pour préparer les fidèles au départ de la vie présente à remettre heureusement les âmes entre les mains de Dieu, par M. de Richelieu, pasteur de l’Eglise Réformée de Plouër et Sainct-Malo, en Bretagne, A Nyort, par François Mathé, MDCLIX