L’Édit de Nantes en Bretagne 5

1599 : où autoriser les cultes réformés ?

 

    Une fois l’Édit de Nantes « vérifié et enregistré », restait à le mettre en oeuvre dans la province, en particulier pour ce qui concernait les clauses autorisant les protestants à se réunir. Conformément à l’article LXI, une commission fut constituée, chargée de mettre en place l’exercice du culte protestant dans les lieux prévus. Deux commissaires étaient nommés : un catholique et un huguenot1. Nous retrouvons, du côté catholique, Charles Turquan, maître des requêtes et conseiller d’État. Le représentant huguenot était le baron d’Avaugour de Kergrois, choisi par le roi dans une famille austère et pieuse et qui avait gardé par ses traditions pacifiques un prestige considérable dans la province2. Leur tâche ne fut pas facile : A Nantes comme à Rennes les autorités n’étaient pas prêtes à entendre, ne serait-ce que dans des lointains faubourgs, le chant des psaumes.

    C’est sur les bords de la Loire que les commissaires d’Avaugour et Turquan eurent le plus de peine à accomplir leur mission à la fin de l’hiver 1601. La municipalité de Nantes essaya de tergiverser, jusqu’à ce que la commission désigna d’autorité le bourg de Sucé comme lieu de culte, en un endroit nommé La tenue du ruisseau. Ce village était, conformément à l’édit, à plus de trois lieues de la ville. Certes, les Religionnaires de Nantes pouvaient regretter le manoir de La Muce plus proche, mais au bout du compte le site de Sucé n’était pas si mal choisi : l’Erdre, rivière agréable et toujours navigable, menait sans peine les protestants de la ville jusqu’au futur temple3. Les huguenots reçurent également la jouissance de cimetières plus près de la ville, au faubourg de Richebourg et à Saint-Léonard4.

    L’année suivante, les deux commissaires se rendirent au Croisic, où les protestants avaient droit exceptionnellement à deux lieux de culte de bailliage. Il ne semble pas que, de ce côté, l’opposition catholique ait été forte à l’origine. Les huguenots du pays de Guérande étaient désormais peu nombreux et on ne sait s’ils purent vraiment profiter des deux établissements qui leur étaient accordés, au Croisic même et au village de Clis, plus près de Piriac5. Plus probablement, les Religionnaires prirent pour habitude de se réunir dans un seul des deux endroits6.

dinan

Dinan a conservé une partie de ses remparts aujourd’hui

    Dans le nord de la province, les deux commissaires eurent à s’occuper de lieux d’ exercice pour les protestants du pays de la Rance et ceux de Rennes. Une enquête avait été faite en 1600 par le sénéchal de Dinan pour connaître les noms de ceux « de la Religion » qui vivaient dans la région7. A cette date, ils n’étaient plus qu’une poignée. Le 27 octobre 1602, les commissaires établirent un cimetière huguenot à Dinan8. Le lendemain, ils arrivèrent à Saint-Malo. La ville close comportait déjà un lieu d’inhumation pour les protestants, à la roche de la Croix de Lardriller (des Lardrilennes ou plus probablement des Ardilliers)9. L’existence de ce cimetière fut entérinée sans problème. Du moment que les commissaires n’imposaient pas de lieu d’exercice au voisinage de la cité épiscopale et s’intéressaient seulement aux défunts, il n’y avait guère de conflit à craindre : les cités maritimes ont toujours eu un enclos réservé aux matelots étrangers10.

    Les débats furent houleux, par contre, dans la région de Rennes. Le gouverneur, voulant sans doute reprendre les termes de l’édit de 1572 qui n’avait autorisé le culte qu’à Bécherel pour la Haute-Bretagne, désigna comme ville d’exercice Hédé, non loin de là. On était certes près de l’ancienne seigneurie de Coligny, mais en un endroit bien éloigné de la nouvelle capitale bretonne. Les commissaires firent prévaloir le bourg de Cleunay (ou Cleusné), à une lieue seulement de la ville. Là fut acquis en 1601 un terrain dépendant de la seigneurie de La Prévalaye, non loin du manoir où avait été célébrée en 1558 une des premières Cènes de Bretagne. Le terrain était grand, évalué en 1685 à plus de mille livres de capital, mais pour lors ne s’y trouvaient qu’une maison et une grange susceptibles d’accueillir les protestants. C’est pourtant là que se tint le premier synode régional de l’Eglise réformée après l’édit11.

    Nantes, Rennes et Guérande furent les trois sénéchaussées où les protestants bretons purent faire jouer l’article 10 de l’édit ; dans l’ouest de la province, ce ne fut pas possible, soit par manque de Religionnaires, soit à la suite des accords de réduction. Ailleurs, les protestants préférèrent se réunir sous la protection d’un grand seigneur huguenot, (comme à Plouër-sur-Rance sur les terres du baron de La Moussaye, ou à La Roche-Bernard, à l’ombre du dôme de l’Hôpital construit par d’Andelot). C’est ce qui frappe en effet dans le choix des huguenots bretons : ils préférèrent se confier dans les grandes familles qui avaient embrassé la religion, plutôt qu’en la parole du roi qui leur promettait des lieux d’exercice dans ces villes. Ce choix était assez cohérent dans la mesure où la guerre avait renforcé le poids seigneurial, même s’il n’était pas sans risque : on le vit bientôt à La Roche-Bernard, car quand la seigneurie passa entre des mains catholiques, le droit d’exercice disparut. Avec le recul historique, il apparaît que le meilleur choix à faire en 1601 aurait été de faire confiance au roi et de demander un maximum de lieux de bailliage. Les deux derniers temples bretons ne furent-ils pas Cleusné et Sucé ? Les religionnaires de Vitré ou de Sion auraient gagné, tout au plus, une génération supplémentaire d’exercice officiel : la Révocation balaiera tout.

Jean-Yves Carluer

1 Ces derniers, selon le droit d’Ancien Régime, bénéficiaient d’une large délégation du pouvoir royal qui leur permettait éventuellement de s’opposer aux officiers locaux et d’imposer la volonté d’Henri IV. Plusieurs études ont été faites sur les commissaires de l’édit, en particulier, les ouvrages de F. Garrisson, Essai sur les commissions d’application de l’édit de Nantes, Montpellier et Paris, et celui d’E. Rabut sur les commissaires en Dauphiné.

2 Lequel des frères d’Avaugour fut choisi par le roi ? L’historiographie traditionnelle désigne Louis, ancien gouverneur de Beauvoir-sur-mer, zélé huguenot qui n’ayant pas combattu en Bretagne n’avait pas de contentieux sur place avec ses pairs (Vaurigaud, passim, Haag-Bordier, T. I, p. 604, etc). R. Joxe (Les protestants dans le comté de Nantes, XVIe et XVIIe siècles, Marseille, Laffite,1982) sur la foi du Dial de Saffré, assure que le commissaire protestant n’était pas Louis, mais son frère Charles, qui ne semble pas avoir eu de charges militaires, mais présidait pour la noblesse les Etats de Bretagne en 1601 (op. cit. p. 235).

3 De tous temps l’Erdre a été la promenade des nantais. Aujourd’hui, Sucé est une base nautique.

4 Vaurigaud, Essai… , p. 75-77, d’après les registres municipaux du 29 mars 1601.

5 Vaurigaud, Essai… , p. 81-82.

6 Le Factum des catholiques du Croisic vers 1665, seul document qui mentionne les conditions du culte dans la région, ne parle que de « lieu habituel » (A. municipales du Croisic, information communiquées par D. Poton ).

7 Le rapport manuscrit est à la bibliothèque de la S.H.P.F.

8 Le petit emplacement de 20 pas de terre était hors des murs, près de la porte de l’hôtellerie, au lieu-dit Surdoré. Deux calvinistes seulement s’étaient fait connaître dans la ville !

9 Le terrain était suffisamment grand pour qu’en un seul jour 18 anglais -probablement naufragés- y fussent enterrés.

10 Archives municipales de Saint-Malo, registre de délibérations du 30 octobre 1602.

11 Jacques. Pannier, « Discours du centenaire du rétablissement du culte réformé à Rennes », Historique de l’Eglise réformée de Rennes, de la Réforme au XXe siècle, Rennes, 1932. De nombreux documents relatifs à la construction du premier temple de Cleusné sont conservés aux archives municipales de Rennes : lettre annonçant l’arrivée des commissaires royaux (liasse 343), acte d’achat de la propriété (liasse 344), etc…