Les débuts de la Réforme en Bretagne, d’après l’Histoire des martyrs… de Crespin

L’éditeur et historien Jean Crespin (1520-1572) publia en 1554, 1564, puis en 1570, un ouvrage qui est devenu un monument de l’historiographie protestante, le Livre des martyrs persécutés et mis à mort pour la vérité de l’Évangile…

Contemporain des événements et compilant une solide documentation, Crespin a voulu rappeler la mémoire des premiers Huguenots morts pour leur foi et créer un parallèle entre les persécutions qui se déchaînaient alors en France et les martyrs de l’Église primitive.

À la page 663 de son ouvrage, l’auteur aborde les premières contraintes qui frappent les communautés réformées naissantes de Bretagne, jusque alors relativement épargnées. Nous transcrivons son texte en français contemporain.

« La Bretagne, entre toutes les provinces de France, avait été moins concernée par ces grandes furies sur ses terres, et avait plutôt tourmenté les autres qu’elle-même, comme cela a été montré ci-dessus lors de la prise du château de Vire. Voici en bref ce qui s’y fit :

Le duc d’Étampes, alors gouverneur du pays, homme de lui-même paisible et modéré, traitait fort aimablement les ministres [du culte protestant], les écoutant volontiers parler et promettant de les conserver. Cela fut cause de ce que les assemblées, alors même que les Églises des autres provinces étaient dispersées, continuèrent quelque temps en dehors des villes, et également parce qu’une grande partie de la noblesse [locale] s’y était associée. Il est cependant vrai que quelques désordres survinrent, mais c’étaient des exceptions. Elles arrivèrent quand le sieur de Martigues devint l’adjoint au gouvernement du duc d’Étampes, son oncle. Car il s’en fallut de beaucoup que [Martigues] mit quelque ordre aux affaires. Au contraire, il lâcha tellement la bride aux mutins et aux dissolus, que ceux-là mêmes de la religion romaine s’outrageaient les uns les autres.

Au bourg d’Ancenis, la dame de Rieux, seigneur du lieu et sœur du duc de Montpensier, sollicitée par un Cordelier, son confesseur, envoya quérir un artisan de la Religion [réformée], sous le prétexte de le faire travailler à son métier. Quand ce dernier arriva, il fut saisi par les mutins et fut tellement battu qu’il en languit pendant 6 mois.

Alors les adversaires commencèrent partout à s’agiter, d’autant qu’aussi le gouverneur avait changé de volonté et de manière de faire, pour se conformer au Triumvirat [de la Cour de France].

À Nantes, la maison d’un libraire nommé Mathurin Papolin fut ravagée, et ses livres de la Religion [réformée] déchirés et brûlés. À Rennes, après avoir saccagé la maison d’un surveillant, où se tenaient les exhortations dans les faubourgs, les prêtres, accompagnés par quelques batteurs de pavés, traînèrent par les rues et les faubourgs tous ceux de la religion qu’ils pouvaient rencontrer, allant jusque à ne pas épargner quelques femmes enceintes.

Malgré tout cela, la prédication ne cessait pas, et plusieurs gentilshommes assistaient aux assemblées. Cela dura jusque à ce que, la guerre [civile] s’échauffant de plus en plus, il fut ordonné au gouverneur de mobiliser des hommes pour les diriger contre le prince [de Condé] et d’autres à Orléans. Quand cela fut fait, le gouverneur quittant Nantes avec environ 4000 hommes, il défendit aux Ministres de ne plus faire exercice de la religion réformée. Passant par Châteaubriant, où il fit chercher les Ministres, il leur dit que la Reine lui avait écrit par trois fois de traiter les Ministres le plus rigoureusement qu’il pourrait : ce que pourtant il ne voulait pas faire, et leur demanda seulement de ne plus prêcher. Effectivement, un dimanche, après qu’ils eurent terminé leur dernière exhortation, il les fit sortir hors de la ville, veillant toutefois à la sûreté de leur personne, alors même qu’ils passaient parmi ses troupes.

Après tous ces événements, ceux de la religion [réformée] connurent quelque repos et caressaient quelques espérances, les plus séditieux étant sortis de Bretagne avec leur gouverneur et Martigues. Et puis, soudainement, fut promulgué un édit particulier à la Bretagne, par lequel on attribuait aux Ministres la cause de tous les maux du temps, et on leur ordonnait de quitter le royaume dans les 15 jours après la promulgation du texte, sous peine d’être pendus et étranglés ; on donnait permission au peuple de les massacrer, ainsi que tous ceux qui les hébergeraient.

C’est pourquoi, les Ministres, devant une rage si désespérée, s’assemblèrent à Blain, principale maison du seigneur de Rohan qui faisait profession de la religion [réformée]. De là, après avoir pris tel conseil qui plût à Dieu, ceux qui étaient les plus pressés se retirèrent en Angleterre, les autres demeurèrent cachés jusque à l’Édit de pacification [suivant], dont ils jouirent aussi peu que le reste du royaume de France ».

Légende de l’image : vignette d’illustration de la page de titre de L’histoire des Martyrs…, de Crespin, avec pour devise : « Les agités en mer, Christ seul, ancre sacrée, assure, et en tout temps, seule sauve et recrée ». L’allégorie évoque, sur une même image, les mains de Dieu qui tiennent fermement une ancre qui se termine en croix, sur laquelle figure le Serpent d’airain (Livre des Nombres, chapitre 21). Elle pourrait se transcrire ainsi en français contemporain : « Christ seul, comme une ancre sacrée, assure et sauve en toutes circonstances les marins au péril de la mer, et va jusque à recréer la vie ».

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