A propos de la thèse de Sylvain Aharonian
Les Assemblées de frères, alias Frères larges, représentées aujourd’hui dans l’ouest essentiellement par le mouvement des C.A.E.F, (Communautés et Assemblées Évangélique de France) constituent aujourd’hui une facette essentielle des protestants évangéliques bretons.
Leur identité même les a fait longtemps échapper à la recherche historique. Les Frères larges sont hostiles aux formes habituelles de structuration ecclésiale protestantes. Le ministère de la parole y est collégial et la logique de l’anticléricalisme y est appliqué en interne de façon péremptoire. Le terme d’assemblées y est préféré à celui d’Églises, la confessionnalisation y est modeste et les archives institutionnelles sont minimales.
Or, les frères larges sont bien présents en Bretagne depuis la fin du XIXe siècle. Jusqu’à maintenant, les seules informations dont nous disposions sur eux étaient les souvenirs et biographies de quelques leaders historiques, ainsi que des articles parus dans la presse interne à ce mouvement, en particulier le journal Servir en l’attendant. Une série historique publiée dans ses colonnes par Jean-Pierre Bory m’avait été particulièrement utile à une époque, mais elle était hélas incomplète.
Je me suis donc retrouvé assez désarmé, lors de la rédaction de ma thèse, d’autant qu’une autre caractéristique des Frères larges est de collaborer volontiers avec les autres Églises évangéliques dont ils partagent l’essentiel de la confession de foi. Ils diffèrent en cela de leurs « cousins » darbystes qui sont extrêmement exclusifs. Du coup, lorsque les Frères larges sont minoritaires dans des œuvres évangéliques communes, celles-ci sont souvent désignées comme « baptistes ». J’en ai encore eu la preuve dans mes recherches sur Lord Radstock, par exemple.
La soutenance en février de l’année dernière à Paris de la thèse remarquable de Sylvain Aaronian sur les Frères larges en France a donc comblé un vide important. Le texte a été publié dernièrement par les Éditions du Cerf1.
J’y ai découvert à la fois d’anciennes lacunes que l’on n’a pu guère me reprocher à l’époque, et pour cause, même si des œuvres comme celle de Harry Stamp à Saint-Brieuc y étaient manifestement sous-évaluées. La lecture de la thèse de Sylvain Aharonian me permet aujourd’hui d’aller plus loin et de poser quelques questions.
– Parmi celles-ci, le problème des relations entre la Mission Évangélique Bretonne, de Trémel et les œuvres pionnières des Assemblées de Frères des Côtes d’Armor mérite d’être posé. Je n’avais jamais vraiment analysé le lien institutionnel qui unissait l’évangéliste Le Garrec à l’oeuvre du pasteur Guillaume Le Coat, jusqu’à la lecture de la thèse de Sylvain Aharonian qui m’a apporté la preuve de l’affiliation du premier aux Frères larges.
Autre question qui y est associée, quelle était au juste la confession de foi du peintre Brestois Louis Caradec (1802-1888) dont le pasteur Le Coat recueillit l’héritage spirituel qui constitua l’Église baptiste de la Rue de Navarin. J’ai fait des recherches et retrouvé cette confession de foi dans les archives de Guillaume Le Coat. Or, c’est un vibrant manifeste de type Assemblée de Frères qui dénonce sans ménagement l’institution pastorale ! Nous aurons l’occasion d’en reparler…
Quand on sait que le jeune François Le Quéré, beau-frère de Guillaume Le Coat, avait été hébergé à Brest pendant des années par Louis Caradec, on comprend mieux l’influence doctrinale de ce dernier sur celui qui allait être l’évangéliste breton du Havre. Son œuvre normande, la Mission aux Bretons, échappe à tout classement ecclésial. Elle est présentée habituellement comme une Église baptiste, mais n’a jamais été membre d’aucune fédération. Cette œuvre se poursuivit après le départ du fondateur selon le modèle d’une assemblée de frères, encadrée par des anciens qui célébraient baptêmes et mariage…
Tous ces questionnements attestent bien qu’une étude sur les Églises évangéliques n’est jamais tout à fait terminée. De là, l’intérêt des sites de recherches comme celui-ci, et de la collaboration entre chercheurs. J’ai été, pour ma part, heureusement surpris de voir que Sylvain Aharonian avait pu tirer profit de mes articles sur les pilgrim preachers, Joseph E. Dutton et le commodore Salwey, et m’a très honnêtement cité. Une raison de plus de le remercier !
1Sylvain Aharonian, Les frères larges en France métropolitaine. Socio-histoire d’un mouvement évangélique de 1850 à 2010, Éditions du Cerf, Isbn 978-2-204-12489-8.