Hiver 1945 : des GI’s évangélistes à Rennes…

     Au coeur de l’hiver 1944-1945, le temple de Rennes est le seul grand lieu de culte protestant encore debout en Bretagne. Ceux de Nantes, Brest, Lorient, Saint-Nazaire ou Saint-Servan ont été détruits. C’est une véritable hécatombe, qui n’épargne, avec Rennes, que des édifices modestes, comme à Saint-Brieuc, Quimper ou Morlaix. La guerre se poursuit en Bretagne, zone de front autour des poches allemandes de Lorient et Saint-Nazaire.

     Nombre de réfugiés protestants se sont regroupés à Rennes, désormais à l’abri des bombardements. Nous sommes au tournant du demi-siècle. Sauf en de rares exceptions, il n’y a encore qu’une seule confession protestante représentée dans chaque ville. Voici pourquoi des baptistes venus de Trémel côtoient le dimanche, au temple du boulevard de la Liberté, des réformés du lieu, mais aussi d’anciens méthodistes de Quimper, Saint-Brieuc ou Saint-Servan, et même des pentecôtistes de Morlaix ou de Léchiagat. Quelques témoins de cette époque ont gardé un souvenir ému de cette période de fraternité, alors même que les conditions matérielles étaient très difficiles. Les identités se reformaient en semaine dans des réunions de maison, les protestants de tendance évangélique se réunissant chez M. et Mme Deltour, ou chez M. et Mme Monnet, originaires d’Alsace.

     Depuis la libération de Rennes, en août 1944, des troupes américaines stationnent dans la ville : services logistiques, médicaux, surveillance des camps des prisonniers de guerre allemands, unités de ravitaillement et d’État major. Ces GI’s sont globalement très bien accueillis par la population, même si des travaux historiques récents ont exhumé un volet plus noir, heureusement minoritaire, de la présence américaine parmi les civils.

     La présente contribution, qui s’appuie sur des témoignages inédits et quelques photos, met cette fois l’accent sur un aspect très marginal et méconnu de l’influence américaine sur les populations locales : l’évangélisation protestante.

Les deux Daniel et leur guitare. Rennes 1945

Les deux Daniel et leur guitare. Rennes 1945

     A Rennes, le petit noyau évangélique qui se réunit chez M et Mme Monet comprend, entre autres, quelques pentecôtistes : M. et Mme Le Quéré et leurs enfants, Mme Le Floch… Ce groupe est appelé à rencontrer, probablement au temple, deux soldats texans, également pentecôtistes. La mémoire orale a conservé le nom de l’un d’entre eux, Daniel Morales. C’est un latino-américain, qui aime chanter des cantiques en anglais et en espagnol. De l’autre G.I., mes sources n’ont conservé que le prénom. Il s’appelait également Daniel, évidemment désigné, vu sa taille, comme ‘le grand Daniel ». Ils sont accompagnés d’une guitare qui ne les quitte que rarement

     Au cours de l’hiver 1944-1945, les « deux Daniel » prirent l’habitude de consacrer leurs jours de permission à des actions d’évangélisation à Rennes et dans les environs. Ils étaient accompagnés de Guillaume Le Quéré jr, petit-neveu du pasteur Le Coat, qui servait de guide et de traducteur. Ces actions consistaient en visites chez des sympathisants ou des protestants malades, mais aussi en prises de parole et chants sur la voie publique. Guitare et uniformes ne passaient pas inaperçus.

Départ sur le Mail de Rennes. D. Moralès, D. X, et Guillaume Le Quéré jr en 1945.

Départ sur le Mail de Rennes. D. Moralès, D. X, et Guillaume Le Quéré jr en 1945.

    Je n’ai aucune indication sur les résultats quantitatifs obtenus par cette modeste équipe internationale en terme de rattachements au protestantisme. Mais, au delà de l’anecdote, les faits évoqués interviennent à un moment charnière (1945), seuil de l’accélération contemporaine de l’évangélicalisme en France, qui multiplie ses effectifs par 7 en un demi-siècle, selon Sébasien Fath[1]. Dans l’agglomération rennaise, le facteur d’amplification est bien plus fort puisque le petit groupe informel d’une douzaine de militants s’est transformé en une vingtaine d’Églises, de formes, de tailles et de sensibilités diverses, qui regroupent aujourd’hui près de 2000 âmes[2]… Les ressorts de l’expansion étaient déjà présents en 1945 : internationalisation, nouvelles sensibilités spirituelles, engagement enthousiaste et imagination dans la communication.

 Jean-Yves Carluer


[1] Sébastien Fath, Du ghetto au réseau, : Le protestantisme évangélique en France (1800-2005), Genève, Éditions les Bergers et les Mages, 2005. Voir aussi son blog : blogdesebastienfath.hautefort.com.

[2] Voir, entre autres, l’étude de Bernard Boutter, « Les Églises évangéliques charismatiques issues des migrations africaines face au protestantisme local dans deux métropoles régionales de l’Ouest de la France (Nantes et Rennes) » dans Protestants dans la ville, le protestantisme évangélique à l’épreuve des cultures, Paris, L’harmattan, 2014.

un groupe de protestants à Rennes début 1945, avec les deux évangélistes américains.

un groupe de protestants à Rennes début 1945, avec les deux évangélistes américains.

Une réponse à Hiver 1945 : des GI’s évangélistes à Rennes…

  1. fabio morin dit :

    Superbe article sur les prémices du pentecôtisme à Rennes… Une belle découverte. Merci Jean-Yves pour ces informations historiques très intéressantes.

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