La Ravardière -2

Les aventures d’un capitaine dans les Guerres de la Ligue.

    Nombre de chercheurs voient le sieur de La Ravardière comme un marin au début des années 1590. L’indice essentiel vient de ce que notre Poitevin devenu Breton par son mariage avec Charlotte de Montgommery avait acheté en 1594 le château de Regnéville, non loin de la baie du même nom, dans le Cotentin. Le nouveau domaine des époux faisait face à Cancale, sur l’autre rive de la baie du Mont-Saint-Michel. Le Havre de Regnéville était une base commode pour des expéditions maritimes, mais il n’y a guère d’indications que le sieur de La Touche ait alors cherché fortune sur mer. L’achat de ce domaine était plutôt une façon de réinvestir les revenus de son épouse, qui avait vendu le Plessis-Bertrand en 1589 mais pouvait encore en toucher l’usufruit. Les époux La Ravardière ajoutaient un maillon à la petite république huguenote que les descendants de Gabriel Ier de Montgommery entendaient édifier autour de la baie du Mont-Saint-Michel. Mais l’opposition était farouche, depuis l’évêque d’Avranches jusqu’aux moines de la « Merveille » qui se sentaient légitiment menacés.

   Les sources disponibles montrent le seigneur de La Ravardière combattant à terre parmi d’autres huguenots. Il s’y fait remarquer par son courage et ses talents et a toujours le bonheur d’échapper à la mort dans cette tragique guerre civile dont l’enjeu s’était déplacé du plan religieux au champ politique.

    Nous retrouvons vers 1590, d’après les quelques documents dont nous disposons, le sire de La Ravardière dans les armées du nouveau roi Henri IV. Il est probablement de ceux qui se sont ralliés à son panache blanc à la bataille d’Ivry et il est déjà considéré comme un officier.

Porte du Roi Mont-Saint-Michel

La porte du Roi, commandant l’entrée dans la basse ville du Mont-Saint-Michel, et sa herse.

   Au cours des guerres de la Ligue, Samuel de La Touche se joint aux expéditions privées du clan des fils Montgommery destinées à s’emparer, les unes après les autres, des anciennes villes et forteresses confisquées à Gabriel 1er. Il accompagne Gabriel II quand il rompt avec des explosifs les portes « du vieux château du sieur Despreaux, près de Saint-James 1». Il est de la fameuse expédition qui réussit à s’emparer de la basse-ville du Mont-Saint-Michel. L’avant-garde des assaillants, à commencer par La Ravardière, s’était déguisée en pèlerins pour mieux surprendre les sentinelles. Deux d’entre eux s’étaient même accoutrés, dit Agrippa d’Aubigné, en « damoiselles, desquelles l’une estoit le jeune Corbouson, et l’autre Ravardière, tous deux sans barbe, le premier monté sur une haquenée et l’autre en croupe derrière un nommé La Suze2 ». La petite troupe réussit de justesse à tromper les gardes, et le groupe ne put rentrer dans la ville que parce que Daniel de la Touche de la Ravardière eut la présence d’esprit de stopper avec une échelle la course de la herse qui se refermait. L’équipée ne put néanmoins s’emparer de la ville haute, c’est à dire de l’abbaye, et dut bientôt se rendre devant l’assaut d’une petite armée de 1000 soldats ligueurs, conduits par le seigneur de Viques, Lieutenant-Général et grand adversaire des Montgommery en Cotentin. La situation des prisonniers devenait fort compromise, surtout ceux qui s’étaient déguisés lors de l’action. Notre Ravardière était spécialement visé parmi ceux que l’on se proposait de « faire pendre en leurs habits comme ayant violé l’ordre de la guerre ». La réputation de soldat de Samuel de la Touche était déjà suffisamment établie pour que Viques lui propose la vie sauve s’il changeait de camp. La Ravardière lui répondit alors, toujours selon Agrippa d’Aubigné : « Je serais un monstre en nature si je pouvois estre de la Ligue infidelle estant huguenot ». C’était une belle confession de foi protestante face au gibet. Fort heureusement, notre capitaine fut bientôt échangé contre d’autres prisonniers que venait de faire très opportunément son beau-frère Montgommery.

    A peine libéré, La Ravardière réussit, quoique blessé, à se saisir de la ville de Pontorson et à la conserver aux mains des Huguenots.

    Nous retrouvons le seigneur de la Touche en 1594 dans les rangs de l’armée royale qui avait été confiée par le roi Henri IV au Maréchal d’Aumont pour reconquérir la Bretagne sur Mercoeur et la Ligue. La Ravardière sert alors comme officier dans la troupe du fameux La Temblaye. Cette compagnie, épuisée par une longue chevauchée et dangereusement exposée en plein pays ligueur, se fit un jour surprendre au petit matin à BaindeBretagne par les cavaliers du duc de Mercoeur. Ces derniers emportèrent tout, relate Agrippa d’Aubigné, « sans résistance, hormis Ravardière, qui ayant rallié dans la basse cour de son logis et mis à cheval dix ou douze des plus diligents, se fit un chemin à coups d’épée à travers la foule » Nous observons là encore l’attitude d’un capitaine particulièrement réactif…

    Les faits d’armes de Daniel de La Touche le rapprochent des plus hauts responsables du parti du roi en Bretagne : La Tremblaye, Guy de Châteauneuf, Yves du Liscouet, Charles Gouyon de La Moussaye. Plusieurs sont huguenots comme lui, et l’un d’entre eux se révèle décisif pour la suite de sa carrière.

(A suivre…)

Jean-Yves Carluer

1Mémoires de la Société académique du Cotentin, 1892.

2Agrippa d’Aubigné, Histoire universelle, vol. 8, p. 371. Le nommé La Suze était peut être un représentant de la famille protestante des Champagne, comtes de la Suze, au Maine, alliés des Montgomery et des La Moussaye.