Séduire une enfant protestante au temps de l’Édit de Nantes -2 La polémique.
Jacques Doremet est, à cette époque, confirmé dans sa charge de vicaire-général par le nouvel évêque de Saint-Malo, Guillaume Le Gouverneur (1573-1630). Guillaume Le Gouverneur est un prélat caractéristique de l’époque de la Contre-Réforme. Il avait lui-même été un brillant élève du collège des Jésuites de Clermont et ne pouvait qu’appuyer une « pastorale de reconquête » axée sur les points forts de la renaissance catholique de l’époque, à commencer par la mise en spectacle de miracles supposés et la théâtralisation des offices. Il s’agissait de prendre le contrepied de l’austérité d’un calvinisme qui passait alors de mode dans le royaume.
La polémique autour de « l’affaire Esther Legges » s’insère bien dans ce contexte. Le vicaire-général Jacques Doremet en est un des acteurs principaux. Signalons, dans les productions écrites du chanoine de Saint-Malo, un docte exposé défendant le « miracle de la Cane de Montfort » de qui le pasteur Louveau s’était moqué au siècle précédent. Le ministre calviniste de la famille de Laval, suzerain de Montfort-sur-Meu, avait alors rangé au chapitre des pieuses légendes le récit de ce volatile, devenu la réincarnation d’une jeune martyre et qui revenait pondre, chaque mois de mai, en compagnie de ses canetons, en l’église Saint-Nicolas de la petite cité.
Mais revenons à la jeune Esther Legges, morte dans sa dixième année à Saint-Malo. Ses parents, pressentant le parti que le clergé ne manquerait pas de saisir à l’occasion de ses obsèques, avaient décidé, nous l’avons vu, de transporter immédiatement son corps à Plouër-sur-Rance, où se situaient le temple et le cimetière des Réformés. L’inhumation s’y fit de nuit et en petit comité, selon la discipline calviniste et les Édits royaux.
Mais c’était sans compter sur l’acharnement du vicaire-général. Il sut habilement exploiter l’opinion publique, c’est-à-dire catholique, de Saint-Malo, qui voyait déjà dans l’enfant une sorte de martyre. Le clergé préparait la prochaine étape. Le 8 septembre suivant, à la première visite épiscopale, l’évêque lui-même, accompagné de son chapitre, organisa l’exhumation du corps d’Esther Leggues et ramena en procession la petite dépouille en l’église paroissiale de Plouër.
Les protestants bretons ne manquèrent pas de réagir et se préparèrent à présenter leur défense en justice. Le cahier de plaintes des Réformés pour l’année 1620 mentionne l’exhumation d’Esther Legges avec un titre choc : « On déterre nos morts !».
Le vicaire général prépara de son côté son dossier, essentiellement argumenté autour des miracles qui auraient accompagné l’exhumation. Lors de l’ouverture du cercueil, par exemple, l’assistance aurait été frappée par l’absence de décomposition du petit corps, attestée par une « odeur suave ». Jacque Doremet ne recule pas devant les descriptions les plus invraisemblables : « il me sembla, dit-il, que l’air et les chemins depuis Plouër jusques au port de Dinard estoient tous remplis [de cette souefve odeur] et en demeuroy parfumé jusqu’à ce que le sommeil me print environ minuit »1.
Mais il lui fallait préparer des arguments plus concrets, en l’attente du procès qui ne manquerait pas d’avoir lieu. Ces pièces consistaient notamment en une enquête d’officialité visant à attester la conversion au catholicisme d’Esther, qui rappelons-le une dernière fois, était alors âgée de 8 à 9 ans. On remarque parmi les témoins cités nombre d’épouses de notables malouins, à commencer par la femme du gouverneur, ainsi que quelques parents de la jeune Esther, représentant le côté catholique de la famille.
Le procès n’eut finalement pas lieu. Car, en cette année 1620 précisément se préparait une vaste opération militaire, connue aujourd’hui sous le nom de siège de la Rochelle. Les Réformés français et bretons, pris en cette occasion pour cibles lors de soulèvements locaux, voire assassinés comme le pasteur de Vitré, courbèrent l’échine et préférèrent attendre des jours meilleurs qui ne vinrent pas.
Le vicaire général eut donc tout le loisir de publier ses diatribes. Dans la dédicace de la dernière édition de la Vie d’Esther Legges, il excite les « fidèles catholiques à frapper, extirper, exterminer cette maudite et pestillentieuse hérésie, engeance de Luther et Calvin, apostats ministres d’enfer (sic)2.
1Jacques Doremet, Vie d’Esther Legges…, p. 136.
2Vie d’Esther Legges, dédicace, p. 3.