Questions sur Vitré (3)

 Pourquoi  la communauté réformée a-t-elle été aussi longtemps protégée par des seigneurs protestants ?

     On trouve là un des aspects les plus étonnants de la fortune huguenote de Vitré, puisque la place est encore un des bastions « de la religion » en 1685 quand Louis XIV révoque l’Édit de Nantes, sous le prétexte qu’il n’y aurait plus de protestants dans son royaume. Cette permanence de 130 ans, dans une cité importante, est tout à fait exceptionnelle dans la France du Nord. La haute noblesse huguenote a progressivement abjuré au cours du XVIIe siècle. L’abjuration d’Henri IV avait fait tache d’huile à la fin du XVIe, et au cours du siècle suivant les Grands protestants avaient progressivement senti que leur intérêt politique et matériel était de suivre la religion du roi. La situation de Vitré est donc tout à fait exceptionnelle. Notons que la suzeraineté protestante sur Vitré n’a pas été continue, et que, pendant plusieurs phases, la messe a été réintroduite au château. Mais cela n’a pas affecté l’existence de la communauté réformée.

     On pourrait croire, du point de vue protestant, à une sorte d’heureux hasard, voire à une sorte de Providence, dans le fait qu’au fur et à mesure des décès et des successions, la forteresse reste finalement en des mains huguenotes. En fait, cette relative continuité s’explique par une véritable stratégie qui a été mise en œuvre successivement par des femmes. Le château de Vitré était devenu protestant par une femme, il l’est resté par d’autres.

     Relatons-en brièvement les étapes. A la mort de Renée de Rieux, la place est passée entre les mains d’un enfant, son neveu Paul de Châtillon Coligny né en 1555, qui devient Guy XIX. Sa vie, brève et aventureuse, s’achève tragiquement en 1586 aux combats de Saintes. Il laisse une jeune veuve, Anne d’Alègre, qui s’installe finalement au château avec leur fils François, Guy XX. C’est Anne d’Alègre qui organise la résistance de la place lors des rudes combats de 1589. Dès 1605 le jeune comte se convertit au catholicisme, mais il meurt quelques mois plus tard dans d’obscurs combats contre les Turcs.

    L’héritage des Laval-Coligny passe alors par héritage aux ducs de la Trémoille, une des plus grandes fortunes de France, qui, disait-on, avaient 3000 gentilshommes pour vassaux et qui étaient une des gloires du parti protestant[1]. Le duc Henri (Guy XXI) n’est alors qu’un garçon de 5 ans. C’est donc sa mère qui devient protectrice des huguenots de Vitré. Rien ne la destine spécialement à s’intéresser aux religionnaires bretons : Charlotte Brabantine de Nassau est la fille du célèbre Guillaume d’Orange, dit « le Taciturne », le fondateur des Pays-bas. Elle vient pourtant souvent résider à Vitré dont elle obtient la délégation générale de gestion et va jusqu’à y organiser le synode national des Églises réformées en 1617. Deux ans plus tard, elle négocie le mariage de son fils aîné, Henri de la Trémoille, avec sa cousine Marie de la Tour d’Auvergne, fille du duc de Bouillon, princesse de Sedan, également descendante de Guillaume d’Orange. Décision stratégique pour le protestantisme à Vitré, puisque, dix ans plus tard, au siège de La Rochelle, Henri de la Trémoille abjura entre les mains du cardinal de Richelieu. Pour les Bretons, rien ne changea, dans la mesure où Charlotte Brabantine de Nassau gardait son influence, et sa belle-fille, la très huguenote Marie de la Tour d’Auvergne, selon l’expression même de son fils « devint fort puissante dans la famille…et se servit fort avantageusement de son pouvoir pour favoriser la religion »[2].

Marie de la Tour d'Auvergne (1601-1665). Fille d'Henri de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, elle était aussi la soeur de Turenne.

Marie de la Tour d’Auvergne (1601-1665). Fille d’Henri de la Tour d’Auvergne, duc de Bouillon, elle était aussi la soeur de Turenne.

     Le duc Henri, fort tiède en ce domaine, laissait carte blanche à son épouse Marie de la Tour d’Auvergne pour tout ce qui concernait Vitré. La duchesse aménagea jardin et château, suivit les affaires de l’Église, maria sa jeune sœur Henriette avec le baron Amaury de la Moussaye, protecteur de l’Église de Quintin. Elle fit revenir son fils aîné Henri-Charles, prince de Tarente, duc de Thouars, Guy XXII de Laval, etc…, au sein du protestantisme en le plaçant pour un temps auprès de son cousin Guillaume II d’Orange, futur roi d’Angleterre. Anticipant sans doute une future abjuration de ce fils (les hommes sont si faibles !) Marie de la Tour d’Auvergne instigua son union en 1648 avec une solide princesse protestante allemande, Émilie de Hesse-Cassel, fille du Landgrave Guillaume V. Henri-Charles finit effectivement par abjurer en 1670, deux ans après la mort de sa mère, ce qui donna l’occasion au roi de faire démolir le temple de Vitré. Mais Émilie de Hesse veillait sur l’Église. Devenue veuve, elle obtint Vitré en douaire et y construisit le Château-Marie. Elle avait repris la tradition des huguenotes inflexibles de la maison de Laval, ce qui ne l’empêchait pas d’être grande amie de Madame de Sévigné qui disputait à l’occasion, mais « furieusement », sur les questions théologiques avec celle qu’elle appelait « la bonne princesse ».

    Le prêche de Vitré se trouvait assuré par le statut de princesse de famille régnante protestante d’Émilie de Hesse-Cassel. Lorsqu’elle ne résidait pas à Vitré, la communauté bénéficiait de la protection d’un seigneur haut-justicier voisin, le vicomte de Terchant, à Ruillé-le-Gravelais, à cinq lieues de la ville. Lorsque survint la Révocation de l’Édit de Nantes, Émilie de Hesse, fille de prince régnant, tante de la princesse palatine, grand-tante du futur Régent Philippe d’Orléans, et donc beaucoup plus favorisée que ses coreligionnaires de Vitré, contraints à l’abjuration, reçut de Louis XIV l’autorisation de se retirer dans ses terres d’Empire.

 Jean-Yves Carluer


[1] Pour de plus amples détails sur la gestion de Vitré par les ducs de La Trémoille, se reporter aux travaux de Jean-Luc Tulot : http://jeanluc.tulot.pagesperso-orange.fr/03LMDLT.htm

[2] Henri-Charles de la Trémoille, Mémoires, Liège, 1767, p. 303, cité par Jean-Luc Tulot, Correspondance de Marie de la Tour d’Auvergne, Saint-Brieuc, 1999.

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