Les énigmes de Tonquédec -1

L’escalade de 1614.

    La forteresse semblait définitivement endormie depuis que le roi Henri IV avait forcé à la paix le gouverneur rebelle de Bretagne, le duc de Mercoeur. Par la même occasion il avait donné à Nantes le célèbre Édit qui apporta près d’un siècle de concorde religieuse au Royaume.

    La vicomté était passée à l’aîné des Gouyon, Amaury II, qui avait recueilli la succession de son père, décédé en 1593. Il sera honoré en mars 1615 par l’érection en marquisat de son domaine de La Moussaye. Mais, conformément à la Coutume de Bretagne, les cadets n’étaient pas laissés complètement démunis. Jacques, le puîné, avait été fait baron de Marcey, près d’Avranches, avec la moitié du revenu de cette terre.

    Le 27 février 1614, le sénéchal de Lannion fut averti que la place forte de Tonquédec avait été saisie par surprise par un petit groupe armé. Cette « prise » du château intervenait en un temps d’incertitude politique : les troubles de la Régence de Marie de Médicis. Cela inquiéta fort les autorités. Mais il ne semble pas que les événements qui se passèrent dans la forteresse soient liées aux complots de César de Vendôme qui se révoltait contre le roi, son demi-frère.

    Certes, le coup de force contre Tonquédec était lié à un différend familial, mais ce dernier se limitait aux fils de Charles Gouyon et Claude du Chastel. Jacques, baron de Marcey, mécontent de sa part d’héritage, entendait profiter de la conjoncture troublée du temps pour prendre en gage la forteresse de son frère. Au mieux, il garderait la vicomté, au pire, il forcerait son frère aîné à lui accorder une importante compensation. C’est ainsi qu’avec quatre ou cinq complices armés, il s’empara du château, mais sans effusion de sang.

Tonquédec

Les murailles de Tonquédec, état actuel (photo Wiki commons)

    L’affaire n’était pas bien difficile. La place n’était gardée en temps de paix que par un concierge: « Il n’y avait auparavant aucuns soldatz »[1]. Les conjurés libérèrent leurs prisonniers. Jacques Gouyon, désormais maître de la place, confiant dans son succès et ignorant les injonctions du juge  royal, se retira en laissant Tonquédec à la garde de ses complices.

    Amaury II de La Moussaye était alors à la Paris. Dès qu’il fut prévenu de l’événement, il mit au point une stratégie de reconquête qu’il fit approuver par la Cour. Le Roi n’avait pas de troupes à mettre à sa disposition en Bretagne. Amaury devait se débrouiller seul. Mais l’aîné des La Moussaye savait qu’il pouvait compter sur ses vassaux du Trégor, à commencer par un vieil ami protestant de son père, Jonathan de Kerariou Kerahel, vétéran des guerres de la Ligue en Bretagne. Il lui demanda d’organiser la reconquête du château. Le sieur de Kerahel rassembla une douzaine de personnes. C’étaient quelques officiers des seigneuries des La Moussaye en Basse-Bretagne et de jeunes gentilshommes du voisinage de Tonquédec dont quelques-uns étaient huguenots, comme les Trogoff.

    L’assaut intervint dans la nuit du 17 au 18 avril 1614. Selon les témoignages recueillis par le juge royal de Lannion, les audacieux assaillants escaladèrent sans bruit la tour dite d’Acigné, passèrent par la toiture et de là se répandirent dans la place. Les occupants, surpris dans leur sommeil, se laissèrent « désarmer sans coup férir ». Tonquédec était revenu en possession de son légitime propriétaire et dans la soumission au roi.

    On peut s’interroger sur la réalité de cette version héroïque. Elle confirme sans doute une réalité militaire du temps, la vulnérabilité des places fortes gardées par une garnison trop faible pour assurer un guet général et permanent. Le récit est, par ailleurs, proche de celui de plusieurs heureux coups de mains de l’époque. On aura noté également que, des deux côtés des opposants, chacun veilla à ce que le sang ne coule pas. Il fallait favoriser, de toute évidence, une future réconciliation familiale. Dernier indice de cette pacification à venir, un témoin vit, le lendemain, les vaincus se retirer « sans aucune offense, celluy qui commandait à cheval et portant une carabine et les autres leurs épées ».

    Si l’on ajoute que Jonathan de Keraliou Kerahel fit donner quelque argent aux vaincus pour payer leur retour, on se doit de poser une question : l’assaut héroïque et athlétique s’est-il vraiment passé comme il a été raconté ? Quelques bons écus n’auraient-ils pas aidé, soit à ouvrir quelques portes, soit à précipiter la reddition des partisans de Jacques Gouyon, baron de Marcey ? Après tout, ces gens-là se connaissaient, puisqu’ils faisaient partie de la grande maison de La Moussaye et certains s’étaient peut-être croisés aux prêches…

    Il était temps de laisser passer une bonne justice.

    Les deux frères Amaury et Jacques portèrent leur différend devant la Chambre de l’Édit de Nantes de Paris, compétente pour les litiges concernant les huguenots bretons. L’affaire se solda par une transaction financière passée le 6 août 1616. Amaury accorda un supplément d’héritage de 50.000 livres à son frère[2].

    L’expérience de 1614 avait montré que la vicomté de Tonquédec, laissée seule, était vulnérable. Le marquis de La Moussaye décida donc de la concéder, mais à titre viager seulement, à un autre de ses frères, Claude, le plus jeune.

    Ceci peut expliquer sans doute une seconde énigme de Tonquédec, celle de l’Église protestante du lieu, mais cela sera le thème d’une autre chronique.

Jean-Yves Carluer

[1] Enquêtes du sénéchal de Lannion sur la prise du château de Tonquédec, du 27 février au 10 mai1614.

[2] TULOT Jean Luc; “ Le protestantisme dans les Côtes-d’Armor aux XVIe et XVIIe siècles ”, Cahiers du Centre de Généalogie Protestante, 2002 et 2003, N° 79,  p. 118-139, N° 80, p. 187-219, N° 81, p. 5-21.