Sucé : la cour Gaillard

    Le site de la Cour Gaillard est le dernier vestige de la présence huguenote à Sucé-sur-Erdre. Étrange destin que celui de cette petite cité associée pendant un siècle au protestantisme nantais. Les paroisses du pays de l’Erdre n’étaient cependant pas tout à fait étrangères à la Réforme. Des Églises rurales avaient pu brièvement s’établir entre 1560 et 1572 dans les villages voisins, à Procé ou Nort… Subsistait encore, au XVIIe siècle, le prêche huguenot du château du Ponthus, en Petit-Mars, que l’administration royale avait voulu réduire en simple exercice privé.

    Quand il fallut appliquer l’Édit de Nantes, les commissaires du Roi Henri IV, le Catholique Charles Turquan et le Réformé Charles Kergrois d’Avaugour, se mirent d’accord pour proposer le site de Sucé comme lieu d’exercice officiel, dit « de Baillage ». Le choix était assez logique : un arrière-pays tôt marqué par le protestantisme, une distance de 3 lieues du grand port de la Loire, qui respectait strictement le traité conclu avec le duc de Mercoeur, et situé surtout sur un axe aisément navigable, la belle rivière de l’Erdre. En ce tout début du XVIIe siècle, la voie d’eau est le moyen le plus commode et confortable pour parcourir une certaine distance. Seule ombre au tableau, la seigneurie de Sucé dépendait de l’évêque de Nantes, qui possédait dans le bourg même une résidence d’été, le manoir de Montrerait.

cour Gaillard

La cour Gaillard à Sucé.

   C’est pourtant face à ce manoir que les commissaires décidèrent d’établir le temple, dans une propriété de Jullien Bernard désignée sous le nom de Tenue du Ruisseau. C’était au bout de la Grand-rue de Sucé, mais il existait un chemin direct avec l’embarcadère, une voie qui s’appelle toujours aujourd’hui « rue des Protestants ». Cela évitait ainsi de contourner l’église paroissiale, sage mesure de prudence les jours de processions.

    Le site est resté jusqu’en 1685 un haut lieu protestant. Les premiers huguenots se réunissent d’abord dans la grange de la tenue Bernard, à la cour Gaillard, bientôt acquise par les Réformés qui édifient ensuite là un temple neuf vers 1626. Une petite société calviniste se regroupe peu à peu autour du prêche. Ce sont les pasteurs, d’abord, tenus par la loi à résider à Sucé avec leur famille, mais aussi toutes sortes d’auxiliaires, sacristain et fossoyeur, maîtres d’école et divers soignants. Car plusieurs huguenots de la région, s’estimant isolés et vulnérables, entendent terminer leurs jours à Sucé, sans compter quelques Nantais, attirés par la présence du temple ou séduits par les rives de l’Erdre. C’est donc tout un petit quartier protestant qui s’édifie autour de la cour Gaillard. Il est difficile aujourd’hui d’identifier ces édifices, d’autant que la plupart des maisons bâties par les protestants ont été remplacées par des constructions plus récentes. Mais la topographie actuelle permet de les deviner.

    Cette situation perdure jusqu’à la veille de la Révocation de l’Édit de Nantes. Le prêche de Sucé, accusé d’avoir accueilli une protestante qui avait déjà abjuré et donc qualifiée de relapse, est condamné à la démolition. Le 15 octobre 1685, quelques jours avant la signature de l’Édit de Fontainebleau, le temple est vidé de ses meubles qui sont attribués à l’hôpital de Nantes. Le 2 décembre 1685 le Parlement de Bretagne peut enregistrer la destruction de l’édifice. Les décombres du temple sont vendus aux enchères le 9 mai 1686.

Ainsi se referme une parenthèse de près d’un siècle où le bourg de Sucé s’animait chaque dimanche à l’arrivée des barques et des coches d’eau partis tôt le matin de Nantes… La Révocation s’accompagne d’ailleurs d’une longue léthargie économique du lieu. Mais, quand le vent agite aujourd’hui les feuilles des saules des rives de l’Erdre, on peut sans trop de peine imaginer les voix des Calvinistes nantais partis à l’aube de l’embarcadère de Barbin en chantant les psaumes. L’Édit de Nantes avait oublié d’interdire aux protestants d’exprimer ainsi leur foi sur les fleuves et rivières du royaume…

Jean-Yves Carluer