L’Edit de Nantes en Bretagne -4

Quand le Parlement de Bretagne refusait l’enregistrement de l’Édit de Nantes…

La résistance des magistrats bretons s’inscrit dans un mouvement plus général de refus dans l’ouest du royaume. Le cas le plus évident concerne le parlement de Normandie1.

Le premier acte a lieu le 24 septembre 1599 dans notre province. En grande séance, « toutes chambres assemblées » le parlement refuse d’enregistrer. Elle ne fait pas usage de remontrances mais s’obstine avec toutes les politesses d’usage : « Le Roi sera très humblement supplié prendre en bonne part si ladite cour n’a pu procéder à la vérification de l’édit2 ». Le silence se fait pendant 7 mois.

Quand le roi force les magistrats à enregistrer ses édits. Ici à Vendôme à la fin du XVe siècle.

Le premier avril 1600, le parlement reçoit une lettre de jussion « ordonnant l’enregistrement des édits et articles secrets », puis une autre le 30. Le 8 mai, Charles Turcan se présente au nom du roi. Le parlement délibère alors pendant quatre jours entiers, jusqu’au 12. Tout en acceptant le principe de l’enregistrement, le parlement de Bretagne adresse des remontrances au roi, portant sur 32 des articles des textes de l’édit. Deux présidents et deux conseillers sont chargés d’aller les porter à Paris.

L’analyse des articles contestés (22 des 92 publics, 10 des 56 secrets) est extrêmement intéressante. Les parlementaires acceptent sans discuter l’article 6 de l’Édit établissant la liberté de conscience. Mais les robes rouges s’opposent à toutes les autres mesures qui peuvent concerner la Bretagne, en particulier les exercices de fief et la mise en place de l’édifice judiciaire des Chambres de l’édit. On peut lire dans ce refus la commune défense du catholicisme et des intérêts très matériels des magistrats bretons. Dans le domaine religieux, l’opposition est apparemment absolue. Même les articles interdisant l’exercice réformé à Quimper et à Morlaix sont dénoncés par la cour, sans doute parce que l’édit de 1577 restait applicable dans les environs. Par contre, deux mesures sont oubliées dans les remontrances des Rennais. L’article 9, qui maintient le culte protestant comme droit de possession dans les villes où il était établi en 1597, concerne indiscutablement Vitré. On ne peut imaginer que les magistrats rennais l’aient ignoré. Comptaient-ils produire des preuves du contraire, ou bien la maison de Laval disposait-elle d’appuis suffisants à Rennes pour bénéficier d’une opportune exception ? Autre absence significative, la cour ne s’oppose pas à la validation du mariage des clercs passés au protestantisme (article secret 39). A notre avis, c’est tout simplement parce que le cas ne se posait plus dans une province où le nombre de prêtres convertis au protestantisme avait toujours été très marginal. Dès lors, la ligne de défense des magistrats du parlement se déchiffre aisément : la lutte pour l’extinction du protestantisme ne saurait aller jusqu’à déplaire au souverain. Le combat est d’ores et déjà gagné par le roi, s’il maintient ses volontés.

Le 19 juillet 1600, Henri IV renouvelle ses lettres de jussion, présentées par Charles Turcan à Rennes le 22 août. Le lendemain, 23 août 1600, la cour se soumet enfin.

On a souvent cité et commenté la fameuse formule qui accompagne l’enregistrement de l’édit de Nantes par les Bretons : « sans approbation d’autre religion catholique, apostolique et romaine ». Plusieurs, autant catholiques que protestants y ont vu, en particulier au siècle dernier, la preuve d’une haine inexpiable contre les hérétiques. Sans doute faut-il largement nuancer le propos. La clause en question « sans approbation d’autre religion catholique, apostolique et romaine » est assez habituelle dans la rédaction des actes du parlement. La cour l’avait employée dès 1590 en conclusion de l’enregistrement des lettres de pardon accordées aux Maloins3. Sans doute fallait-il y voir le rappel de la politique constante des autorités bretonnes d’interdire, pour des raisons stratégiques, toute implantation protestante dans les ports de la Manche. Surtout, les magistrats eux-mêmes expliquent en 1600 que la formule adoptée n’est en quelque sorte qu’une expression destinée à apaiser leur conscience mais qui ne saurait avoir un sens juridique. Seul le registre secret du parlement, document interne destiné à conserver la trace de leurs délibérations, la mentionne : il est retenu que c’est sans approbation d’autre religion que la catholique, apostolique et romaine et que cette clause sera prononcée en l’audience de ladite cour, non toutefois délivrée ni imprimée avec l’arrêt de la publication et registrature dudit édit et lettres4. Effectivement, dans l’arrêt d’enregistrement définitif, daté cette fois du 31 août 1600, la réserve n’apparaît plus5.

Jean-Yves Carluer

1 Luc Daireaux, « Le Parlement de Normandie et l’Édit de Nantes : une bataille de dix ans (1599-1610) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 2015/3 (n° 122-3).

2 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine , Registre secret du Parlement, 93, folio 24.

3 Registre secret du Parlement, 9, folio 248

4 Registre secret 95, folio 10, 23 août 1600..

5 Archives. départementales d’Ille-et-Vilaine , Registre d’enregistrement 11, folio 26.