Histoire des protestants nantais -2

Nous voici à une nouvelle partie de l’Histoire de l’Église réformée de Nantes, le dernier ouvrage écrit et édité chez Fischbacher par le pasteur Benjamin Vaurigaud en 1880.

L’extrait présenté ici concerne le livre II, de la page 142 à la page 149. Il y est moins parlé des Nantais proprement dit que du contexte politique de l’époque, où l’on voit se déclencher une nouvelle guerre civile à thème religieux qui se rapproche dangereusement de la Bretagne.

Il est tout à fait inexact d’affirmer que l’Édit de Nantes avait éteint toute violence et toute intolérance, bien au contraire. Il avait simplement donné au roi un rôle d’arbitre dans ce domaine. Or, cet arbitrage se fait désormais en défaveur des huguenots, qui n’ont d’autre choix que d’accepter leur disparition à terme ou de contester les ordres de la Cour en se soulevant les armes à la main. Tel est le quotidien des responsables réformés en ce début du XVIIe siècle. Il leur est difficile de trancher, d’autant que toute résistance armée les fait passer pour séditieux. Les progrès de l’absolutisme condamnent toute révolte qui ne peut être alors que nobiliaire. Il se trouve que les deux leaders de l’insurrection protestante dans les années 1620, qui correspondent au début du règne du jeune Louis XIII, sont des grands seigneurs bretons et poitevins: Henri II de Rohan et son frère Benjamin, baron de Soubise.

Le dernier paragraphe de notre texte évoque un terrible épisode sur lequel nous reviendrons bientôt, celui du sort des nombreux prisonniers réformés faits lors des combats d’avril 1622 à l’Île de Riez (Notre-Dame-de-Riez) sur la côte vendéenne. Si Soubise lui-même peut échapper à la capture, ses hommes sont, soit massacrés, soit fait prisonniers et détenus aux frais des Nantais dans un vaste hospice destiné à abriter les contagieux, le Sanitat de cette ville. Nous reviendrons ultérieurement sur les conditions de cette détention, étudiées par l’historien Alain Croix, qui s’apparentent à un univers concentrationnaire .

Jean-Yves Carluer

« Après des négociations diverses avec la Cour et des événements que nous avons racontés ailleurs1, les Réformés qui étaient réunis à La Rochelle examinèrent si leur situation n’était pas devenue telle qu’il fallut convoquer une nouvelle assemblée politique. On décida, en effet, de le faire; la date en fut fixée au 25 novembre. Elle devait avoir lieu à La Rochelle. Dès que le roi en fut informé, il signa une déclaration (22 octobre 1620) qualifiant cette assemblée d’illicite et défendant aux Rochelais de la recevoir dans leurs murs. On n’en tint aucun compte. L’assemblée se réunit le 23 décembre.

Le roi, de plus en plus irrité et cherchant à diviser ses adversaires, confirma (24 avril) tous les édits antérieurs de pacification et menaça de poursuivre comme criminels de lèse-majesté tous ceux qui se rallieraient à l’assemblée ou qui déjà en faisaient partie. L’assemblée, de son côté, apprenant que le roi levait des troupes, arrêta une organisation militaire. Elle divisa la France en huit groupes ou cercles, à chacun desquels elle assigna un chef pour commander «sous l’autorité du roi ». Cette dernière clause semble à peine sérieuse; elle était pourtant très sincère. On voulait respecter l’autorité du roi ; on professait devant Dieu et devant les hommes le reconnaître comme leur prince et souverain seigneur; on ne combattait que pour la défense de la foi, le maintien des Églises, la liberté du culte selon les édits, et la liberté de conscience.

Le sceau de l’assemblée contenait l’image d’un ange tenant un livre (la Bible) en l’une de ses mains qu’il portait en l’air, et de l’autre était accoudé sur une croix ; il avait aussi sous ses pieds une figure d’une personne nue ; et autour du sceau en cire rouge était écrit : Pro Christo et rege.

Malgré cette sincérité des intentions qui ne peut guère être suspectée, car dans tous les temps, même aux jours de la plus cruelle persécution, les Réformés se sont fait remarquer par leur respect et leur attachement pour la royauté, il faut reconnaître que cette organisation, ces règlements concernant la guerre, le commerce, les finances, la répartition des charges, l’entretien des pasteurs, etc., etc., justifiaient dans une grande mesure le reproche d’être un état dans l’État. Ce n’est pas sans raison qu’on a appelé cet ordre de choses le contre-État ou l’anti-monarchie, ou encore les lois fondamentales de la République des Églises Réformées. Mais il est juste aussi de reconnaître que les Réformés n’avaient d’autre désir que de faire partie du corps de la nation au même titre et avec les mêmes obligations et les mêmes droits. C’est uniquement parce qu’on les mettait en quelque mesure hors la loi, qu’ils songèrent à se défendre eux-mêmes. La préoccupation générale, à cette époque, n’était-elle pas d’en venir, de restriction en restriction, à leur enlever le bénéfice des édits qui leur étaient favorables et de les supprimer ainsi ?

Dans la jurisprudence des Parlements, n’était-ce pas une maxime reçue qu’il fallait interpréter dans un sens restrictif tous les articles qui établissaient ou garantissaient leurs droits, et dans un sens très large, au contraire, les articles concernant les catholiques ? A l’appui de cette conduite, on alléguait que les concessions en faveur des Réformés avalent été arrachées par la force, et que c’était entrer dans l’esprit de ceux qui les avaient faites que de s’étudier à les amoindrir et même à les détruire. Or, que reste-t-il à ceux pour qui les lois sont sans force quand il s’agit de défendre leurs droits, ces droits qu’elles constatent elles-mêmes?

Pour les Réformés, l’alternative fut donc celle-ci : se défendre ou périr. Ils se défendirent. Ce fut un mal, sans doute, puisque ce fut le déchirement de la patrie et la guerre civile ; mais à qui l’imputer ?

Les menaces du roi contre les membres de l’assemblée de La Rochelle ne tardèrent pas à produire leurs fruits. Dés le 22 du mois de décembre de la même année, le Parlement de Rennes rendit un arrêt, à la date du 15 janvier suivant, portant prise de corps contre David de La Muce-Ponthus, ancien du Consistoire de Nantes, et André Le Noir, pasteur à Blain, avec saisie et annotation de leurs biens.

Après une procédure très compliquée, voici quelle fut la sentence rendue : « La Cour a déclaré et déclare lesdits David de La Muce et André Le Noir suffisamment atteints et convaincus du crime de lèse-majesté au premier chef, et pour réparation et l’intérêt public les a condamnés et condamne à être pris par l’exécuteur criminel de la conciergerie de ladite cour, en chemise, tête et pieds nus, tenant chacun d’eux en leurs mains une torche de cire ardente du poids de quatre livres, traînés sur des claies au-devant de la principale porte et entrée de l’église cathédrale de Saint-Pierre de cette ville, et là, à genoux, faire l’amende honorable et requérir pardon à Dieu et au roi et à la justice, puis conduits à la place du Grand-Bout-de-Cohue de cette ville, et là tirés et démembrés par quatre chevaux, et les quartiers de leurs corps portés aux quatre principales avenues de cette dite ville, et les a déclarés, eux et leurs postérités, ignobles et roturiers ; ordonne que les maisons et le château dudit de La Muce seront démolis et ruinés, et leur bois de haute futaie et décorations abattus et coupés à hauteur d’homme, pour perpétuelle mémoire de leur rébellion et félonie, et les a solidairement condamnés en dix mille livres d’amende et réparation applicables aux menues nécessités du palais, et aumôner la somme de six mille livres, savoir : deux mille livres à la réfection de la tour et de ladite église cathédrale de Saint-Pierre, mille livres au bâtiment des Minimes, Récollets et religieuses de Sainte-Claire de Nantes, savoir : aux cordeliers, jacobins, cannes et minimes, à chacun trois cents livres, et auxdits récollets et religieuses de Sainte-Claire, à chacun quatre cents livres ; leurs biens, meubles et immeubles déclarés acquis et confisqués au roi ; sur iceux, lesdites sommes de dix mille livres et de six mille livres préalablement payées. Et au cas que lesdits de La Muce et Le Noir ne pourraient être pris et appréhendés pour la réelle et actuelle exécution du présent arrêt, ordonne qu’elle sera faite par figures et effigies en tableaux, auxquels sera écrite la teneur du présent arrêt, et lesdits tableaux attachés de fer à la potence étant en la place dudit Grand-Bout de-Cohue et aux quatre principales portes et entrées de celte dite ville ; fait inhibitions et défenses à toutes personnes de rompre, ôter ni enlever lesdits tableaux, sur peine d’être déclarées rebelles au roi et à justice; enjoint audit procureur-général du roi de poursuivre l’entière exécution du présent arrêt.

» Fait en Parlement, a Rennes, le seizième jour de mai 1622.

Signé : MONNERAYE. »

Ile de Riez

La bataille de l’Île de Riez (Musée de Troyes, d’après l’ouvrage de P. Avrillas, Louis XIII et la bataille de l’Isle de Rié, geste éditions, 2013).

Cet arrêt fut exécuté par effigie le même jour, car les y nommés étaient dans La Rochelle. Le château de la Muce, qui était très beau et bien accompagné, fut depuis démoli et rasé, et les bois coupés à hauteur d’homme. Il y eut des lettres de cachet pour cette démolition2. Mais aussi, que n’était-il pas Ligueur ? Dans ce cas, sa révolte, même réelle, lui eut valu des pensions.

Soubise, qui avait été nommé gouverneur du Cercle du Poitou dans la division que les Réformés avaient faite de la France au point de vue de leur cause, n’avait pas attendu d’être attaqué. Il avait pris l’initiative et réussi dans quelques-unes de ses entreprises au point d’inspirer des inquiétudes à ceux de Nantes qui en écrivirent au roi et profitèrent de l’occasion pour demander, comme chose qui importait à son service, que rentrée et le séjour dans leur ville fussent interdits aux Réformés que leur commerce y appelait. Le roi répondit à cet appel. Il arriva à Nantes le 10 avril 1622, et en repartit peu après, se dirigeant vers le Poitou où il surprit et battit Soubise, lui tuant beaucoup de monde et lui faisant beaucoup de prisonniers3. Ces prisonniers furent envoyés à Nantes pour y être gardés sûrement en attendant qu’on les mit sur les galères. La ville devait les nourrir et le roi s’engageait à en payer les frais suivant l’état qui devait en être «dressé au vrai». ils étaient au nombre de six à sept cents et furent logés au Sanitat, dont les fenêtres des chambres de derrière furent fermées de doubles grilles et les portes de fortes serrures et de cadenas. Deux corps de garde furent établis dans la cour. On y fit faire la garde jour et nuit par les habitants des faubourgs et les prisonniers furent tenus aux fers. Le prévôt général de la Connétablie de France en condamna une vingtaine à être pendus et les autres aux galères. Ceux qui étaient condamnés à la potence devaient être exécutés sur la place publique de cette ville et ensuite portés de là et attachés à des arbres sur les grands chemins et avenues de ladite ville. La sentence fut exécutée dans l’après-midi du même jour. L’évêque les visita et en convertit cinq à la religion romaine. Ces malheureux espéraient à ce prix un adoucissement à leur peine; mais il n’en fut rien. Le plus grand nombre resta dans les prisons. La ville, qui ne recevait pour eux aucune indemnité, trouva la charge onéreuse, quoique le 14 juillet on en eut fait sortir un grand nombre. Elle s’en plaignit au roi qui répondit le 4 septembre 1622 qu’il l’en aurait déchargée s’il ne devait pas attendre la réponse de la Seigneurie de Venise à qui il les avait fait offrir. Il ordonnait de mettre en liberté ceux qui s’étaient volontairement convertis. Il le faisait, disait-il, sur la prière que l’évêque de Nantes lui en avait adressée. Les galères ou la potence devant être le partage de ceux qui garderaient leur foi, et la liberté, au contraire, étant donnée à ceux qui se convertiraient, on conçoit aisément combien de tels arguments venaient en aide aux convertisseurs, mais, en même temps, ce que pouvaient valoir de pareilles conversions. Plusieurs, néanmoins, résistèrent et furent conduits dans la galère royale devant Couëron ; mais le reste, c’est-à-dire le plus grand nombre, se convertit. La ville les mit en liberté à des jours différents, les faisant sortir six par six, sans leur permettre de passer par la ville ni de séjourner dans les faubourgs. Elle donna, de plus, un quart d’écu d’aumône à chacun d’eux ».

1B. Vaurigaud, Essai sur l’histoire du Protestantisme en Bretagne, vol. II, p. 124 et ss.

2Mercure de France, VIII, p. 607-611.

3 Patrick Avrillas, Louis XIII et la bataille de l’isle de Rié, 1622, les armes victorieuses de la monarchie absolue, Geste éditions, 2013, 213 p.