Une Église à l’heure des choix…
La décennie des années 40 est une période d’instabilité et d’interrogations pour la jeune communauté protestante de Rennes. Le soutien financier de la Société Évangélique de France a permis de rassembler et d’organiser une Église locale sous la conduite d’évangélistes et de pasteurs qui n’ont pas encore de statut concordataire. En ce début du XIXe siècle, la religion du royaume de France est organisée par les fameux Articles organiques du 18 germinal an X (avril 1802) imposés par Bonaparte. L’État et les municipalités financent localement les cultes, mais seulement à partir du moment où ils ont été reconnus par l’administration. L’intérêt financier est évident, mais la tutelle est pesante et les situations sont figées. En toute logique, les cultes réformés et luthériens auraient du rester confinés dans leurs bassins ruraux traditionnels et quelques grandes villes où ils étaient déjà représentés sous l’Empire.
Voilà pourquoi le protestantisme a utilisé un autre support pour son expansion : Ce sont des sociétés religieuses, de droit privé, financées par des dons provenant de riches particuliers, français et étrangers. La stratégie de ces sociétés est simple. Elles prennent en charge pendant quelques années des œuvres naissantes, le temps qu’elles grandissent et deviennent autonomes financièrement, cas d’ailleurs assez rare, ou bien qu’elles soient prises en charge par les municipalités ou l’État.
On saisit ici l’importance du rôle des élus locaux : à Lorient et surtout à Brest, pour ne pas parler de Nantes, les municipalités sont largement libérales et voltairiennes. Elles favorisent et suscitent même à l’occasion la création de paroisses réformées. Ailleurs dans la provine, les édiles sont conservateurs et catholiques ultramontains : ils s’opposent de toutes leurs forces à une implantation protestante définitive, non sans succès. Il faudra attendre pour cela le XXe siècle à Vannes, Saint-Brieuc ou Lannion… Les cas de Saint-Servan, Quimper et Morlaix sont spécifiques car ils dépendent d’œuvres britanniques capables d’assurer un appui financier sur la longue durée.
La ville de Rennes est un cas intermédiaire. Certes, les autorités locales sont farouchement opposées au protestantisme. Mais les protestants locaux y sont suffisamment nombreux pour espérer qu’un jour le ministre des cultes impose leur financement administratif.
Les dix premières années de travail de la Société Évangélique de France ont été plutôt efficaces sur ce point à Rennes. Les pasteurs Malherbe, Filhol et Muller ont réussi à regrouper des protestants de langue et d’origine très diverses tout en convertissant un nombre non négligeable de Rennais d’origine catholique. Le problème, c’est que le poids numérique et financier de la jeune congrégation est encore trop faible pour assurer sa pérennité. Les statistiques qui remontent à la préfecture font état d’effectifs qui varient entre 120 et 156 personnes. Mais ces dernières ne sont pas tous de protestants engagés, loin de là. Les listes de donateurs publiées chaque année dans les rapports de la Société Évangélique de France, permettent de s’en faire une idée.
L’enjeu financier
On note dans celui de 1847 une petite trentaine de contributeurs participant aux frais du salaire pastoral. Leur apport varie de deux à 60 francs dans l’année. Leurs patronymes permettent de se faire une idée sommaire de leur origine. On remarque des noms de famille anglo-saxons : Mc-Ghie, Elrington, Amstrong, Hall, Philipps, d’autres qui font penser à des origines suisses des cantons des Grisons : Jegen, Brunner, Sarak, Matilaus et P. Olgiati, ce dernier, probablement finistérien, transmettant 40 euros par l’intermédiaire du pasteur Achille Le Fourdrey. Les donateurs aux noms locaux apparaissent minoritaires et sont surtout des femmes. Parmi elles, Mme Larivierre, qui a offert 60 francs. Le cumul de ces contributions est certainement décevant pour la Société Évangélique de France : 349 francs en 1847, année il est vrai de sérieuse crise économique dans tout le pays. Cela ne couvre pas le quart du salaire pastoral. Peut-être y a t-il eu quelques quêtes dominicales, mais leur apport, très modeste, devait probablement être affecté aux frais des locations de salles[1]. N’oublions pas, non plus, que les donateurs parisiens doivent également financer une école protestante locale confiée à l’instituteur Martin et à son épouse, qui tient une petite pension. Ce dispositif est indispensable dans une ville où l’enseignement primaire est entièrement contrôlé par l’archevêché.
Fait tout aussi grave que la faiblesse financière locale, l’évangélisation protestante à Rennes semble entrer dans une phase de stagnation durable. Le talent des pasteurs n’y est qu’un paramètre parmi d’autres. A l’évidence l’effet de nouveauté est passé. Les curieux sont partis ailleurs, et l’évangélisation est entrée dans une phase de routinisation. De façon caractéristique, les rapports annuels de la Société Évangélique ne citent plus désormais de faits notables à Rennes, alors qu’ils débordent de nouvelles captivantes des œuvres rurales qui se développent à cette époque en Haute-Vienne ou dans l’Yonne …
Cette situation peut-elle durer longtemps ? C’est la question qui se pose désormais au comité parisien.
(A suivre)
[1] Le produit des collectes dominicales s’élevait à 33 francs en 1848