La Ravardière -3

Quand un huguenot breton s’essaye à fonder une colonie catholique au Brésil…

 

    Nous nous attacherons brièvement à ce qui a fait la renommée de Daniel de La Touche, sieur de La Ravardière, l’établissement d’une France équinoxiale au sud de l’Amazonie. Le lecteur pourra, pour plus de détails, consulter des études récentes et complémentaires comme celles de Philippe Jarnoux ainsi que celles d’autres historiens universitaires réunis par Didier Poton et Mickaël Augeron (1).

    Nous nous attarderons simplement à la dimension protestante de l’entreprise.

    Nous avons vu que Daniel de la Touche, sire de la Ravardière, était d’abord un gentilhomme huguenot, fortement engagé au service du roi Henri IV au sein des guerres dites de la Ligue en Bretagne, le dernier conflit de religion du XVIe siècle dans le royaume, qui se clôt en 1598 par la signature de l’Édit de Nantes. Comme pour ses compagnons d’armes protestants bretons, la guerre civile se termine avec une certaine amertume. La Ravardière a sauvé sa vie, ce qui n’est pas rien, mais il a l’impression de n’être pas récompensé comme il le devrait. Henri IV a abjuré. Pour lui, « Paris valait bien une messe ». Il a couvert d’or les chefs ligueurs qui acceptaient de capituler, à commencer par le duc de Mercoeur et à peine compensé les dettes de ses fidèles amis protestants. Il faut reconnaître cependant quelques exceptions comme celle de René Marech de Montbarrot, gouverneur de Rennes.

    Daniel de la Touche disposait toujours, il est vrai, des revenus de son épouse et de son fief de Regnéville, mais, pour accroître son rang, il devait désormais chercher fortune autrement, ce qui ne répugnait pas à sa nature aventureuse. Le gentilhomme s’était constitué un réseau d’amis qui comprenait, certes, d’autres protestants, mais également de responsables catholiques qui avaient combattu à ses côtés dans les guerres catholiques.

Cancale autrefois, le port de La houle à marée basse (carte postale ancienne colorisée).

    D’après la relation de Claude d’Abbeville, Daniel de La Touche aurait entrepris des voyages transatlantiques dès 1594, soit bien avant la première expédition officielle de 1604. Rien d’étonnant à cela. Les capitaines français, en particulier les huguenots normands, sont des habitués des côtes de l’Amérique depuis un bon demi-siècle. Pour y commercer avec les populations locales, ils y jouent un jeu de cache-cache mortel avec les galions espagnols et portugais.

    Au même moment, le roi Henri IV, à la tête d’un royaume désormais en paix, envisage une reprise des projets coloniaux de ses prédécesseurs. Selon Didier Poton, un des principaux moteurs du projet serait Philippe Duplessis-Mornay, gouverneur de Saumur, conseiller et ministre du souverain. Il est en relation avec La Ravardière et le mentionnera dans son testament de 1605 (2). Localement, le principal appui du Seigneur de La Touche est René Marech de Montbarrot. Le gouverneur de Rennes a été nommé par le roi en 1602 Lieutenant général de la Guyane.

    Une première expédition est organisée. Monbarrot, retenu par sa charge de gouverneur, ne peut y participer et a délégué ses pouvoirs à La Ravardière. Parti de Cancale, notre capitaine explore le littoral de l’Amazonie, s’intéresse au delta de l’Oyapock, découvre le site de Cayenne et y pose son drapeau.

    La Ravardière est nommé à son retour Lieutenant général en la terre d’Amérique depuis la rivière des Amazones jusqu’à l’Île de la Trinité.

    La Ravardière s’allie avec Charles Des Vaux, un noble tourangeau, pour organiser une seconde expédition qui se porte cette fois sur l’île de Maranhao, au sud de l’Amazonie, site prometteur à la confluence d’estuaires permettant une large pénétration vers l’arrière-pays. Cette fois encore, le voyage est un succès. Mais, au retour, les conditions politiques ont changé en France. Henri IV a été assassiné en 1610, et la reine Marie de Médicis n’entend pas favoriser notre huguenot.

    Le Cancalais ne se  décourage pas. Il fait patronner son projet par les mêmes grands seigneurs catholiques qui avaient été ses adversaires avant l’Édit de Nantes, vend son fief de Regnéville, et s’associe à François de Razilly, un noble poitevin, ainsi qu’à Harlay de Sancy, un riche financier. Le tout compose une compagnie coloniale qui arme les trois navires rassemblés au port de La Houle à Cancale, au pied même du manoir de La Ravardière, en 1612. Le seigneur de la Touche, très réaliste, a même accepté la présence à leur bord d’une équipe de missionnaires capucins, mandatés par la Régente et le pape.

   Les trois navires de l’expédition, Le Régent, la Charlotte et la Sainte-Anne, prennent la mer à Cancale le 19 mars 1612 et parviennent non sans mal à Maranhao après trois mois de navigation difficile…

(à suivre…)

Jean-Yves Carluer

1 Philippe Jarnoux, « La France équinoxiale : les dernières velléités de colonisation française au Brésil (1612-1615), Annales de Bretagne, 1991, p. 273-296. Didier Poton, « Les Toupinambous de Monsieur de Mornays », Du Brésil à l’Atlantique, Essais pour une histoire des échanges culturels internationaux, Mélanges offerts à Guy Martinière, PUR, Rennes, 2016. N Fornerod, « Daniel de la Tousche, sieur de la Ravadière », in Augeron, Poron, Van Ruymbeke (dir), Les Huguenots et l’Atlantique, Pour Dieu, la cause et les affaires, Les Indes Savantes, 2009, p. 239-248.

2 Didier Poton, « Les Toupinambous de Monsieur de Mornay », in Du Brésil à l’Atlantique…, op. cit., p. 101.