Un nouveau protestantisme à Rennes -4

Rennes 1835 : des temps difficiles pour le pasteur Filhol.

Six mois après son arrivée à Rennes, le pasteur Filhol confiait à ses confrères sa déception dans les pages de la Correspondance fraternelle, feuille de liaison multicopiée entre pasteurs protestants évangéliques1.

    Comme il le craignait lui-même, ainsi que ses confrères, l’élan initial de l’œuvre avait été dû pour beaucoup à un effet de curiosité. Plus grave, les protestants eux-mêmes ne semblaient pas manifester beaucoup de persévérance pour soutenir la paroisse naissante.

    Le rédacteur de la Correspondance fraternelle résumait ainsi ce que ressentait désormais le pasteur Filhol :

Rennes Pont de la Mission

Rennes au milieu du XIXe siècle. La cathédrale et le confluent de L’Ille et de la Vilaine vus depuis le quai de la Prévalaye (gravure ancienne).

    « Il a trouvé à Rennes quelques familles anglaises et un petit nombre de protestants suisses et français. Au début, ces derniers assistaient au culte qui attirait, d’autre part, beaucoup de curieux. Mais leur zèle a vite diminué. « Il n’y a, dit-il, que les familles anglaises qui suivent mes prédications avec assiduité et qui semblent comprendre l’importance d’un service religieux. J’ai deux services le dimanche, l’un et l’autre suivis par à peu près soixante ou soixante-dix auditeurs dont la moitié des catholiques ; plusieurs de ces derniers viennent très régulièrement et paraissent prendre un très grand intérêt à notre œuvre. Mais je n’ai pas encore vu en eux d’œuvre spirituelle et jusque là rien n’est fait. En général, je crois qu’il y a peu à attendre des catholiques incrédules qui, pour n’être pas catholiques, se feraient tout aussi bien saints-simoniens que protestants. Dès qu’on parle de l’Évangile et de la nécessité de croire pour être sauvé, ils vous regardent comme plus sévères que les catholiques même. Si l’Évangile doit faire des progrès parmi les catholiques, comme je l’espère, je suis convaincu que ce n’est qu’auprès de ceux qui ont déjà quelques principes de piété dans le cœur. Cette classe de catholiques est plus nombreuse à Rennes que dans les autres villes de France, et j’ai souvent désiré qu’il me fût possible de m’adresser à eux ; mais jusqu’à présent tout accès auprès d’eux m’a été fermé, et les prêtres qui exercent ici une très grande influence, défendent très sévèrement d’accepter la Bible et de venir à mes réunions. »

    Le pasteur Filhol essaie désespérément d’atteindre cette population. Il se met en rapport avec la Société Évangélique de Genève qui emploie plusieurs dizaines de colporteurs en France et la convainc de prendre en charge sur Rennes, le temps d’une campagne d’hiver, un des ses agents, Loyer.

    Quelques mois plus tard, Eugène Filhol atteste que le colporteur a frappé à toutes les portes de la ville. Plus de 900 exemplaires des livres saints ont été vendus, ce qui représente un chiffre assez considérable, et plus de 5000 traités ont été distribués. Cette offensive protestante a soulevé une vive opposition de la part du clergé : « Bien des traités ont été déchirés, bien des Nouveaux Testaments ont été brûlés, cependant un nombre plus considérable a été lu« .

     Malgré cela, Filhol voit ses auditoires diminuer de façon dramatique : « Je ne vois pas beaucoup de fruits« , écrit-il, ce qui le rend d’ailleurs assez amer: « C’est toujours […] au milieu d’une indifférence universelle que j’annonce la Parole de Dieu dans cette ville. Cinq ou six catholiques ignorants, quatre ou cinq familles protestantes dont la plupart sont entièrement incrédules ou purs formalistes, voilà jusqu’à présent de quoi se compose mon auditoire2. »

    Le pasteur a plus de satisfaction lors de ses voyages mensuels à Lorient, puisqu’il dessert désormais aussi la petite communauté protestante de cette ville. Mais cela ne suffit pas à soutenir son enthousiasme d’évangéliste. Est-ce lui-même qui a demandé à être affecté dans un nouveau poste, ou bien le comité de la Société Évangélique de France a-t-il pensé qu’il était temps de le relayer désormais ? Eugène Filhol part pour Nancy. Il est remplacé à Rennes en novembre 1836 par le pasteur Muller.

(à suivre)

Jean-Yves Carluer

1 Archives de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, Correspondance fraternelle, dite Correspondance Frontin, du nom du pasteur qui collectait les informations.

2 Idem, janvier 1836.