L’évangélisation populaire à Rennes – suite et fin

    Le pasteur Vincent Arnoux, dans son rapport pour l’année 1892-1893, annonce enfin des nouvelles positives des efforts d’évangélisation entrepris sous l’égide de la Mission McAll :

« Les réunions sont suivies par une moyenne relativement modeste d’auditeurs, mais, je dois le dire, d’auditeurs attentifs et sympathiques, s’intéressant aux grandes choses qui leur sont annoncées. Les progrès de plusieurs sont réellement sensibles, comme j’ai pu le constater dans mes entretiens avec eux. Plusieurs sont en préparation pour être admis dans l’Église, et d’autres m’ont exprimé le désir de recevoir des instructions spéciales pour pouvoir participer à la Sainte Cène…

Chateau branlant rue de Saint-Malo à Rennes

L’immeuble dit « chateau branlant », le long de l’Ille à Rennes, au 158, rue de Saint-Malo. Cette rue concentrait une bonne partie de la misère de la ville

Je suis, somme toute, satisfait de la marche de l’oeuvre, surtout à la rue de Saint-Malo, où je continuerai mes réunions hebdomadaires aussi longtemps que mes forces le permettront. Je crois que l’oeuvre de Rennes aurait pu être grandement vivifiée et prendre une certaine extension, si j’avais pu avoir un auxiliaire, mais je comprends fort bien les raisons majeures qui ne vous permettent pas encore du moins, de m’accorder cet avantage.

Le nombre des auditeurs a été en moyenne de 25 à la rue de Saint-Malo et de 14 à 15 à la route de Châtillon.

Tous sont catholiques ou sortis de l’Église romaine. J’ai pu distribuer un millier de traités à nos auditeurs, environ 35 Nouveaux Testaments en gros ou petits caractères, contre les cartes de présence que nous avions données, six Bibles de famille et huit petites Bibles, dans les mêmes conditions que les Nouveaux Testaments.

Les enfants des familles qui viennent dans nos salles suivent au nombre de 10 à 14 l’école du dimanche de l’Église ; plusieurs de leurs aînés ont déjà fait la première communion et ont été reçus dans l’Église réformée.

La marche de nos conférences, sans avoir rien de brillant, nous encourage cependant, et, nous espérons qu’avec le bénédiction de notre Dieu, la semence qui a été répandue dans les âmes finira par lever et porter des fruits de Salut. »

   Mais l’année suivante, l’oeuvre populaire semble décliner :

« Des enfants lancent des pierres, frappent à la porte pendant les réunions… La police a bien voulu nous envoyer des agents qui continueront à stationner dans la rue pendant quelques semaines. Nous espérons que cette apparition des agents suffira pour éloigner les jeunes perturbateurs1 »

    Une des clefs de ce déclin est l’espacement des visites effectuées à domiciles: [elles] sont assez rares depuis la suppression de la visiteuse. On en fait accidentellement aux personnes bien disposées, soit le pasteur, soit l’ancienne visiteuse qui tient la salle 2».

    Nous ne savons pas le nom de cette évangéliste-visiteuse. A Rennes, comme à Lorient, ce ministère auxiliaire est essentiel au développement de la mission en milieu populaire.

La fin d’une tentative…

    L’année suivante, « M. Arnoux, forcé par son grand âge à restreindre ses activités, a du renoncer à l’évangélisation populaire par crainte de ne plus pouvoir remplir ses obligations vis-à-vis de l’Église ». Le pasteur a alors près de 70 ans. Il prendra bientôt une retraite méritée, après 22 ans de pastorat à Charmes et 25 à Rennes.

    Que conclure de l’abandon rapide de l’évangélisation en milieu ouvrier rennais ? C’était, il est vrai, une réalité alors courante. Nombre de pasteurs et d’évangélistes avaient tendance à se décourager dans les quartiers ouvriers. Les auditoires, souvent nombreux au départ, avaient tendance à s’effilocher, voire à disparaître dès que le clergé local entamait une vigoureuse contre-offensive. Mais les statistiques communiquées par le pasteur de Rennes n’en font pas état.

    Une autre hypothèse met en avant l’accumulation des contraintes sociales qui se manifestent progressivement dans des milieux de grande pauvreté : maladie, alcoolisme, etc. Ces difficultés étouffent progressivement l’élan du départ. Cette réalité a poussé nombre de pionniers de l’évangélisation populaire vers des réalisations de christianisme social. C’est ce que fit Emmanuel Chastang à Nantes ou Henri Nick dans la banlieue de Lille. Mais il faut pour cela des moyens financiers et humains dont Vincent Arnoux ne disposait pas, d’autant qu’il perdit rapidement l’aide de la visiteuse, hélas anonyme, qui le secondait.

    La brièveté de l’action de la Mission MacAll à Rennes évoque donc un échec, qui contraste avec les réussites relatives constatées ailleurs en Bretagne, à Nantes, Brest, Lorient et, un peu plus tard, Saint-Brieuc. Le terrain était, certes, difficile, mais le grand succès de la mission Somerville avait montré que la ville n’était pas indifférente. On a l’impression, peut-être fausse, que le pasteur était bien seul en 1893. Fait symptomatique, le conseil presbytéral de Rennes lui choisira un successeur d’opinion plutôt libérale qui ne reprit pas de projet d’évangélisation.

    « Pas assez, trop tard… » Peut-être faut-il appliquer ces mots désabusés du général Mac-Arthur prononcés à la suite de son premier échec à Manille en 1941, à cette première tentative d’évangélisation populaire rennaise.

Jean-Yves Carluer

1MPE, rapport de 1893, p. 74.

2MPE, rapport de 1894, p. 73.