Anne d’Alègre (vers 1565-1619)

La dernière comtesse de Laval-Vitré du XVIe siècle semble avoir attiré les critiques de ses coreligionnaires : frivole et velléitaire, elle aurait bradé l’héritage protestant breton. Sans compter qu’elle serait la cause de la mort du vieux maréchal d’Aumont qu’elle aurait en quelque sorte détourné de son programme stratégique initial. C’est en assiégeant le château de Comper, un des fiefs des Laval qui ne présentait pas grand intérêt militaire, que le commandant des troupes royales avait malencontreusement perdu la vie en 1595. La réalité est pourtant bien plus positive.

Anne de Tourzel d’Alègre était la fille de Christophe d’Alègre, seigneur de Saint-Just, un des fils du baron d’Alègre, une des plus puissantes maisons de la noblesse de France, dont les terres s’étendent entre la Normandie et l’Auvergne. La lignée des Alègre est déchiré entre branches catholiques et protestantes. Anne, qui semble être née vers 1565, est éduquée dans le protestantisme sous l’influence de sa mère, Antoinette du Prat.

Vitré rempart nord

Le château de Vitré vu depuis la vallée de la Vilaine. On remarque la partie du logis endommagée pendant le siège de 1589

Anne de Tourzel d’Alègre épouse, par contrat du 7 août 1583, Guy-Paul de Coligny (1555-1586), comte de Laval et de Monfort, baron de Vitré et Quintin, l’aîné des fils de François d’Andelot et de Claude de Rieux. Cette courte union se termine tragiquement le 15 avril 1586 par le décès de l’époux dans les rangs huguenots qui combattent alors en Saintonge. Mais Anne d’Alègre avait déjà donné le jour à un garçon, connu plus tard sous le nom dynastique de Guy XX de Laval.

Le rôle de la jeune mère se révèle alors déterminant, car elle est tutrice du dernier hériter des Coligny-Châtillon-Laval-Rieux, dont les seigneuries cumulées couvrent près du quart d’une province qui entre alors en guerre civile déclenchée par le duc de Mercoeur, son gouverneur. Anne d’Alègre commence par se mettre à l’abri, auprès de sa mère, dans la principauté de Sedan. Elle fait nommer son jeune frère Christophe gouverneur de Vitré en 1588, mais ce choix ne satisfait pas les seigneurs huguenots bretons, comme Jean du Matz de Monmartin qui est finalement chargé de la défense de la place. Le rapport des forces ayant changé, la jeune veuve revient en Bretagne, résidant entre Vitré et Rennes. Elle s’appuie sur les troupes du roi Henri IV pour recouvrer progressivement ses terres. Sa proximité avec le maréchal d’Aumont, un proche de sa famille en Normandie, fait jaser, mais ce ne sont que des bruits.

Anne d’Alègre veille à ce que l’application de l’Édit de Nantes respecte les droits des Calvinistes bretons, aussi bien à Vitré qu’à Rennes et à La Roche-Bernard. Elle a d’autant plus cette baronnie à coeur qu’elle est devenue son douaire personnel. En effet, Anne d’Alègre épouse en 1599 Guillaume de Haultemer, seigneur de Fervacques, duc de Grancey, pair de France et gouverneur de Normandie. Ce dernier avait également été fait maréchal de France. Cette deuxième union était aussi prestigieuse que la première, mais, cette fois, le mari était catholique.

Le maréchal de Fervacques meurt à son tour en 1613, laissant de nouveau veuve Anne d’Alègre. Selon le pasteur Jacques Pannier, ancien conservateur de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, Anne aurait songé alors à se remarier, sans succès, avec quelque grand personnage de son milieu. Anne d’Alègre résidait à ce moment-là à Paris, à l’hôtel de Fervacques, et vivait au sein de la communauté huguenote de la capitale qui se réunissait au temple de Charenton. Toujours selon Jacques Pannier, elle resta « bonne protestante jusqu’à la fin de sa vie », en 16191.

Le bilan de son engagement huguenot est quand même en demi-teinte dans l’espace breton. Elle sut prendre les mesures pour mettre Vitré en état de défense pendant les guerres de la Ligue, ce qui se révéla fondamental. On lui doit également le renouveau de la communauté protestante de La Roche Bernard au début du XVIIe siècle2. Mais elle ne put empêcher son fils de passer au catholicisme, une fois devenu adulte, ce qui mit momentanément en péril l’héritage huguenot de son beau-père.

Jean-Yves Carluer

1Georges Paul, Anne de Tourzel d’Alègre, comtesse de Laval, maréchale de Fervacques, Paris, Champion, 1924.

2« Calviniste fervente et zélée, protectrice en quelque sorte officielle de tous les huguenots de Bretagne » (Roger Joxe, Les protestants du comté de Nantes, Marseille, 1982, p. 246).