Saint-Nazaire, 1917-1918

Le pasteur Héliodore Jospin. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Heliodore_Jospin)

Le pasteur Héliodore Jospin. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Heliodore_Jospin)

    Le pasteur Héliodore Jospin (1873-1944) est le grand-oncle de Lionel Jospin, l’homme politique bien connu. Originaire de Bertry, dans le Nord, il devient pasteur en 1898 dans le Tarn, puis à Amsterdam, et enfin à Saint-Nazaire, en 1906. Il est le premier pasteur protestant à résider dans la ville, où s’élevait un temple réformé desservi jusqu’alors par ses collègues de Nantes, aidés sur place depuis 1884 par un évangéliste de la Mission Populaire.
      Le paroisse réformée de Saint-Nazaire, alors récente et modeste, a connu, comme d’autres en Bretagne, un fort regain d’activité pendant la première guerre mondiale. Aux nombreux réfugiés de l’est se sont ajoutés les prisonniers des camps voisins. Mais c’est l’implantation de la grande base logistique des troupes alliées, Tommies et des Sammies, qui débarquaient à l’embouchure de la Loire qui transforma radicalement le rôle du pasteur local.
      Les deux documents que nous livrons ici sont extraits des comptes-rendus du pasteur, publiés à la fin de la guerre par la Société Centrale Évangélique.

     Jean-Yves Carluer

     « Ce rapport, je vais vous le livrer à peu près en entier, est caractéristique du travail d’un de nos postes où, pendant la guerre, de nouvelles activités se sont ajoutées aux anciennes qui ont continué ; où l’afflux des Alliés a modifié beaucoup les conditions de vie ; où bien des difficultés inédites ont été compensées par des bénédictions particulières […]
J’ai été appelé à présider seize enterrements parmi lesquels ceux d’un bon nombre de prisonniers allemands. Aux funérailles d’un soldat malgache, dans une ville voisine, assistaient les autorités et un grand nombre de catholiques. Le recueillement et l’intérêt manifesté par ceux qui entrent en contact avec nous pour la première fois en ces circonstances, les paroles entendues fréquemment et qui témoignent la surprise et l’émotion en présence d’une forme de culte supérieure en sa simplicité, ont été souvent relevés.
Parmi les protestants ignorés que j’ai découverts sur leur lit de mort, je veux mentionner une jeune fille, d’origine suisse, que la tuberculose a conduite d’une maison de plaisir à l’hôpital. Appelé à son chevet, j’ai eu la joie de voir de jour en jour les paroles de Jésus, tombant d’aplomb sur cette âme obscurcie par le péché et par l’égoïsme masculin, y ranimer la lumière de la foi de son enfance. Au lieu des méchants romans que j’avais vus sur son lit à ma première visite, c’était l’Évangile et les cantiques qu’elle usait. Avec quelle jolie exubérance elle m’accueillait un jour en me disant qu’elle avait pu prier toute seule. Elle est partie en pleine conscience et en pleine paix. Peu de pasteurs sans doute ont eu l’occasion de lire l’histoire de la pécheresse pleurant sur les pieds de Jésus à un auditoire composé uniquement de ses pauvres sœurs d’aujourd’hui, et j’ai rarement vu le message de Jésus écouté avec cette attention.
J’ai célébré neuf mariages. Six soldats américains m’ont demandé de bénir leur mariage avec des jeunes filles catholiques. Je veux espérer que ceux-là étaient sincères. En général, ces unions se sont décidées bien légèrement et des exemples trop nombreux dans notre entourage prouvent que les familles devraient demander à nos alliés au moins autant de garanties qu’elles en demanderaient à des compatriotes. J’ai dû plusieurs fois résister au désir exprimé par ces jeunes filles de changer de religion en même temps que de nationalité. J’ai eu aussi à marier un aveugle de guerre, catholique, qui avait connu notre foi alors qu’il était en traitement à Neuilly. Depuis son mariage, il suit assidûment notre culte.
Les assemblées du dimanche ont réuni la plupart des membres de l’Église, auxquels se joignent toujours quelques catholiques et des soldats, officiers, aumôniers ou infirmières de l’armée américaine. Un aumônier qui a déjà célébré un mariage dans notre temple, m’a demandé d’y avoir des cultes en anglais pour ses soldats et des réunions où se rencontreraient Français et Américains. Je pense que nous organiserons prochainement la première. Nous avons les relations les plus cordiales avec les représentants des Églises sœurs d’Amérique.
Les cultes de la station de Saint-Brévin-l’Océan sont devenus une tradition. J’espère que cette jolie plage et ce nid de verdure continueront à attirer des familles protestantes. Cette année (la quatrième) les cultes hebdomadaires ont repris dès le 1er juin. Il y avait un peu moins de monde que les années précédentes. Une instruction religieuse suivait le culte. — J’ai été appelé à présider des cultes à La Baule, où il y avait déjà eu des services réguliers en 1914. La difficulté des relations et d’autres obligations ne me permettaient pas d’y aller chaque dimanche, et la fâcheuse grippe ainsi que le mauvais temps m’ont empêché plus d’une fois, de faire les 34 kilomètres à bicyclette. Mais une jeune dame d’un dévouement absolu assurait le service avec l’autorité que donne l’épreuve acceptée dans l’esprit du Christ. Si ce culte d’été s’établit solidement dans l’avenir, c’est à elle qu’on le devra, et aussi à l’aimable hospitalité de la famille qui nous ouvrait sa maison. L’avenir aussi dira s’il serait utile de jouir d’un local indépendant: cela permettrait de faire une plus grande publicité, mais cela ôterait peut-être à ces cultes un caractère d’intimité bien précieux … »(1)

     « Les services funèbres — huit—écrit M. le pasteur Jospin, me mettent en contact avec les milieux les plus divers et parfois les circonstances les plus dramatiques. Je note : un officier de marine américain ; un sergent de la Red Cross Américaine, suicidé ; un marin suédois, véritable enfant prodigue de 20 ans, embarqué sur un coup de tête et mort à la fin de son premier voyage; un ancien navigateur français, catholique, ayant rompu avec son Eglise et qui a voulu avoir ma visite dans sa maladie; un marin tué dans un mauvais lieu; un scaphandrier grec, asphyxié dans son travail au fond d’une épave de paquebot; Dans ce dernier cas on s’est adressé à moi, comme on me l’a dit franchement, faute de pouvoir trouver un pope grec et à la suite du refus brutal du prêtre catholique. J’ai su, par les journaux et par des témoignages directs, que l’impression a été profonde dans l’énorme assistance. Le consul de Grèce m’a fait demander un Nouveau-Testament. C’est à la suite de ce service qu’une famille grecque a désiré le baptême pour son enfant.
J’ai eu la joie de constater, et j’ai du plaisir à dire ici les progrès très sérieux dans l’assistance aux cultes. Le temple est presque toujours plein, il a été trop petit aux jours de fête; la table sainte réunit de 20 à 30 communiants ; tous chantent et bien, on se sent devant un auditoire ouvert et actif. Une liturgie variée et la participation des jeunes, par des chants spéciaux renouvellent sans cesse l’intérêt. Je mets beaucoup d’espoir dans l’Union de Jeunes Filles, au nombre de 17, dont plus de la moitié d’anciennes catholiques. L’une d’elles, d’ailleurs couronnée par la municipalité, a élevé ses jeunes sœurs, a suivi avec elles l’École du Dimanche, a détourné le père du cabaret et sauvé la famille en groupant ceux qu’elle aime autour de livres que je lui prêtais et qu’elle lisait à haute voix…» (2)

1  Société Centrale Évangélique, Rapport, 1919, pp. 27-28.
Idem, 1920, pp. 37-38.

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