Histoire de l’Église réformée de Nantes
Chapitre II (1562-1566)
Le 17 janvier 1562, parut un nouvel édit de pacification, il réglait les conditions de l’exercice du culte pour les Réformés, et, par conséquent, en consacrait le droit en principe. Le Parlement de Bretagne, comme tous les autres en France, en retarda l’enregistrement autant que possible, mais s’y résigna enfin. Les Guise, au contraire, s’y opposèrent ouvertement. Le massacre de Vassy en fournit bientôt la preuve.
Le dimanche 1er mars, pendant que les Réformés de cette petite ville étaient assemblés pour leur culte dans une grange, au nombre de mille à douze cents personnes, ils furent assaillis par les gens du duc et par ses ordres. Une soixantaine d’individus, hommes et femmes, furent tués, et plus de deux cent cinquante furent blessés, mutilés et estropiés pour la vie. Les meurtriers enlevèrent le tronc des pauvres, pillèrent une maison voisine, et, peu de jours après, vendirent publiquement les dépouilles de leurs victimes : manteaux, bonnets, chapeaux, ceintures, coiffes, tout le butin du massacre. La présence du duc dans le voisinage les y encourageait.
L’émotion fut extrême chez les Réformés ; tous se sentirent menacés des mêmes périls. La nécessité de l’union recommandée par les Synodes devint évidente. “Vous pouvez penser, écrivait l’Église de Paris à celle d’Angers, en l’invitant à prévenir celles du Maine et de la Bretagne, qu’il n’a pas commandé un fait si exécrable qu’il n’ait délibéré de poursuivre, envers les autres églises, sa cruauté. Partant il faut tout diligemment aviser à tous moyens d’y pourvoir“.
Dans une lettre adressée directement à l’Église de Nantes, celle de Paris disait : « De fait, il ne dissimule pas qu’il n’ait intention d’en faire autant, partout où il rencontrera des Églises chrétiennes, comme il a fait à Vassy. Vous pouvez assez voir quel besoin nous avons de prier Dieu, et nous tenir sur nos gardes et prêts de secourir les uns les autres, si nous ne voulons tous les uns être meurtris….. Cependant, nous vous prions vous tenir prêts, et, en la plus grande diligence qu’il sera possible, regarder quelle force pourra fournir votre Église, comme déjà on vous a plusieurs fois mandé. Le Seigneur nous veuille conduire en cette affaire et en toute autre. »
Ces sentiments, si complètement justifiés par les faits, étant ceux de tous les Réformés eu France, leurs chefs jugèrent utile de s’emparer d’Orléans, par mesure de sûreté. L’Église de Nantes fut représentée dans cette entreprise par un des anciens de son Consistoire, le capitaine François, à qui l’amiral donna une grande marque de confiance, en le chargeant de défendre Châtillon-sur-Loing, où il avait envoyé ses enfants et ceux d’Andelot, son frère, à cause de la peste qui régnait alors à Orléans. Quand il les rappela peu après dans cette ville, ce fut encore le capitaine François qu’il chargea de les lui ramener et de leur faire escorte.
II
L’union des Églises et leur communauté d’action allait parfois jusqu’à l’imitation complète, malgré la diversité des circonstances et l’inégalité des hommes. C’est ainsi que les Réformés de Nantes voulurent avoir, eux aussi, leur colloque avec les prêtres, à l’exemple de celui de Poissy, et bien peu de temps après. Ce fait, à lui seul, témoigne d’un progrès considérable des idées nouvelles ; il montre combien l’esprit de recherche était devenu général, et combien la Réforme avait jeté de profondes racines dans toutes les classes de la société.
Ce qui n’est pas moins remarquable, c’est la sympathie dont ils étaient l’objet. M. de Bouillé le déclarait lui-même avec tristesse, dés l’année précédente, dans des lettres qu’il écrivait au roi et aux Guise. Il venait de recevoir l’ordre d’arrêter un Réformé, le sieur de Bouchelyns, et il se tenait prêt à y faire toute diligence, “Mais, ajoutait-il, ceux qu’on dit être de cette religion sont tant supportés et aimés, et de tant de gens, que je n’en vois un seul en ce pays qui se veuille formaliser ni affectionner contre eux ; mais, au contraire, il s’en trouve assez qui les excusent et qui les aiment : à mon avis, trop”.
Il écrivait aux Guise : « Il y en a tant de cette loi, que je ne sais de qui je me puis assurer ; et encore, ceux que je connais bien, qui n’en sont point et qui ne les aiment point, sont si abêtis, qu’ils les craignent tant, qu’au lieu de rien faire contre eux, ils les avertiraient aussitôt pour captiver leur bienveillance“.
Ce qui ne prouve, pas moins leur nombre et leur influence, c’est que le grand-vicaire, Gilles de Gand, évêque de Rouanne, suffragant de l’évêque de Nantes, aurait été emprisonné pendant trois mois, pour avoir fait arrêter deux libraires de Genève, Jehan Baralz, Florent Richard, et saisir leurs livres qu’il soupçonnait hérétiques. Cette affaire revenait après diverses procédures, et devait recevoir sous peu une solution. Gilles de Gand, inquiet du résultat qu’il pressentait et de la sentence qu’il redoutait, en avait écrit au duc d’Étampes, pour réclamer son intervention. Il en appelait d’avance au conseil du roi. C’est au milieu des émotions produites par ces événements que fut enfin obtenue l’autorisation de cette conférence entre les Docteurs catholiques et les Pasteurs de Nantes. Depuis quelque temps déjà, à la sollicitation des Ministres et de leurs adhérents, la demande en était faite au duc, “et les premiers seigneurs et damoiselles du pays” l’en avaient importuné, dit l’historien de la conférence.
III
Elle eut lieu les premiers jours du mois de juillet de cette année au château, du consentement et en présence du duc d’Étampes, entouré d’une nombreuse et brillante compagnie.
Les noms des principaux personnages nous ont été conservés. C’étaient :
Premièrement, haut et puissant prince Messire Jean de Bretagne, duc d’Étampes, comte de Penthièvre, chevalier de l’ordre du roi, gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en ses pays et duché de Bretagne ;
Illustre prince Messire Sébastien de Luxembourg, seigneur de Martigues, chevalier de l’ordre du roi, et son lieutenant général au gouvernement dudit pays de Bretagne, en l’absence de mondit seigneur le duc d’Étampes ;
Messire Jean de Rieux, chevalier, seigneur d’Acérac ;
Révérend père en Dieu Messire Baptiste Tiercelin, évêque de Luçon ;
Messire René de Sanzay, chevalier, seigneur de Saint-Marsault, fils aîné de Messire René, seigneur de Sanzay, chevalier, conseiller du roi, gentilhomme ordinaire de sa chambre, gouverneur et capitaine de Nantes ;
Messire Jean de Troyes, seigneur de Boisregnauit, conseiller du roi, trésorier de France et général de ses finances au duché de Bretagne ;
Monsieur du Cambourg, seigneur dudit lieu, grand-maître enquêteur et général réformateur des eaux et forêts de Bretagne ;
François d’Avaugour, seigneur de Cargrois, l’un des pensionnaires du roi audit pays ;
Jean de Daillon, seigneur de la Charlebouchère, capitaine de Pillemy ;
Guillaume. Loisel, sieur du Plessis-Boucher ;
Richael, sieur du Bruel ;
Jean de Rocheroul, sieur de la Ferudière, connétable de Nantes ;
Cornullier, secrétaire du roi et de mondit seigneur d’Étampes ;
Mademoiselle Jeanne du Bellay, dame de Mauvaisinière ;
Mademoiselle Catherine du Doré, dame de Longueliers ;
Maître Guillaume Gaudin, seigneur de la Chaulvinière, greffier de Nantes ;
Monsieur de la Coyère, principal du collège dudit Nantes;
Feu Monsieur Regnard, docteur en théologie dudit Nantes, de l’ordre des Carmes ;
Monsieur Benoist, docteur du même ordre ;
Monsieur Jossel, docteur dudit Nantes, de l’ordre des Jacobins ;
Et autres.
Du coté des Catholiques, était, indépendamment des ecclésiastiques cités plus haut, Jacques du Pré, docteur en théologie à Paris, prédicateur ordinaire de l’église cathédrale de Saint-Pierre de Nantes. C’est lui qui paraît avoir porté la parole.
Du côté des Réformés, il n’y avait que les deux pasteurs de Nantes : Antoine Bachelard dit Cabanne, et Philippe de Saint-Hilaire, sieur de la Bougonnière. Il est vrai que dans l’assemblée plusieurs personnes étaient déjà gagnées aux idées nouvelles, ou, du moins, ne leur étaient pas hostiles.
Le récit de cette conférence a été mis par écrit par René Benoist, angevin, théologien de Paris, qui dit l’avoir fait quinze jours après la conférence, parce que Jacques du Pré, “personnage, certes, de vertu et érudition singulières, avec quelques autres doctes théologiens, avait non-seulement vertueusement bataillé, mais aussi, par la grâce de Dieu, remporté glorieuse victoire“. Il avait soumis son travail à la Sorbonne, puis l’avait livré à l’impression, en 1564, le dédiant à René de Sanzay. C’est là que nous puiserons quelques détails relatifs aux incidents de la conférence. Avec un tel historien, il n’y a pas lieu de craindre que le rôle des pasteurs ait été tracé avec trop de faveur. Il ouvre son récit par des témoignages empruntés à l’antiquité, pour établir que la discussion avec les hérétiques est toujours pleine de péril et de danger. Ces paroles se concilient peu avec la glorieuse victoire dont il se vante. On dirait plutôt le ton du mécompte et le regret d’être entré dans celle voie.
Dès qu’ils furent introduits dans l’assemblée et que la discussion fut sur le point de s’ouvrir, les Ministres voulurent faire leurs prières « de par eux nouvellement inventées», dit Benoist. Ce que nous ne voulûmes permettre, continue-t-il, leur alléguant que c’était la coutume de ceux qui s’étaient soustraits, comme eux, à l’autorité de l’Église, “d’allécher et d’amorcer le peuple à leur erreur par chants, odes, hymnes, psaumes et mélodies, non reçues dans l’Église catholique et universelle…. à laquelle, nous conformant, avions fait nos prières devant que venir, comme ils devaient avoir fait devant que là se présenter. Et, attendu que l’oraison n’est qu’une élévation de l’entendement à Dieu, qu’ils, se contentassent de l’avoir ainsi prié“.
Cette défense montre, tout à la fois, que les docteurs catholiques parlaient et agissaient en maîtres, et qu’ils redoutaient singulièrement l’influence de ces prières sur l’esprit et sur la conscience des auditeurs.
Cela rappelle les paroles du cardinal de Tournon à Charles IX, au colloque de Poissy, après le discours de Théodore de Bèze : “Plût à Dieu qu’il eut été muet ou que vous eussiez été sourd !”
La discussion porta d’abord sur le juge des controverses. Les Pasteurs allégèrent l’Écriture sainte ; les Catholiques y consentirent. Mais, en cas de diversité d’appréciation des textes cités, ne faut-il pu recourir à un tiers arbitre ? Les Réformés répondirent qu’il fallait expliquer l’Écriture par l’Écriture. Cela est vrai, dirent les docteurs catholiques, mais quand cela n’est pas possible, ne convient-il pas d’en appeler à l’Eglise et au témoignage des Pères ? Les pasteurs s’y refuseraient, déclarant que, pour les choses de la foi, ils ne voulaient se lier à un enseignement humain. En effet, quand l’Ecriture ne s’explique pas par elle-même, c’est que les choses qui restent ainsi dans l’obscurité sont de celles qui l’impliquent pas le salut et au sujet desquelles Dieu laisse aux hommes la liberté d’interprétation. N’est-ce pas ainsi que les anciens l’avaient compris et exprimé dans cette maxime qui leur servait de règle de conduite : In nécessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus charitas : dans les choses nécessaires (fondamentales) unité: dans les choses douteuses : liberté ; eu toutes choses : charité. L’Écriture, elle aussi, exprime la même pensée quand elle dit : Les choses révélées sont pour nous et pour nos enfants, mais les choses cachées sont pour Dieu.
On parla ensuite de la légitimité du Ministère : les Catholiques alléguant la succession apostolique; les Réformés, la doctrine apostolique ; ceux qui ont la foi d’Abraham sont les enfants d’Abraham, puis du Sacrement de la Sainte-Cène. Dans ce récit, les idées et les croyances des Pasteurs sont simplement énoncées, sans développement ni preuves à l’appui ; celles des Catholiques, au contraire, avec les plus grands développements. Aussi ces derniers semblent-ils triompher. La discussion avait duré jusqu’à sept heures du soir, et c’est une preuve de l’intérêt sérieux que provoquaient alors les questions religieuses, au moins dans la partie éclairée de la population.
IV
Quels furent les résultats de cette conférence? A laquelle des deux Églises furent-ils avantageux ? Quelques-uns des auditeurs furent-ils influencés dans un sens ou dans l’autre ? Ces questions sont délicates et difficiles à résoudre. Ce qui se passe dans le cœur de l’homme n’est connu que de Dieu et de lui-même, et les impressions les plus profondes et les plus sérieuses elles-mêmes sont souvent lentes à se produire au dehors, il est cependant possible de constater des effets importants qui furent la suite et le fruit de cette conférence. L’Église romaine s’y montra inconséquente avec elle-même. Religion d’autorité, imposant, en raison de son prétendu droit divin, des décisions dont elle n’admet pas la discussion, elle consentit à en appeler à l’examen, à donner ses raisons et ses preuves. Elle fit plus ; elle reconnut, au moins par son organe dans la conférence, la légitimité du principe protestant ; l’autorité souveraine des Écritures, au moins dans la plupart des cas, notamment quand les enseignements des Écritures sont clairs et simples et encore quand ils s’expliquent les uns par les autres.
Les Réformés bénéficiaient pour la légitimité de l’autorité à laquelle ils en appellent de tout ce qui diminuait l’autre. L’occasion leur était fournie de faire connaître leurs convictions et de les défendre devant plusieurs de ceux qui les ignoraient. Cela donna aussi un très puissant encouragement à l’Église de Nantes, dont on interdisait les réunions, même quand elles avaient lieu la nuit et dont on arrêtait et emprisonnait les membres. Voilà, elle parle librement, hautement devant les gouverneurs et devant les magistrats, sous leur protection et sur un pied d’égalité avec l’Église dominante, en présence de l’élite de la population. Tout cela eut-il lieu sans qu’aucun des auditeurs ne sentit chanceler sa foi aux anciennes croyances, en entendant les Réformés les combattre par des textes de l’Écriture sainte? Ceux qui n’en étaient encore qu’à éprouver quelque sympathie secrète pour ceux qu’on faisait souffrir pour leurs idées religieuses, n’en vinrent-ils pas à incliner vers ces idées elles-mêmes, qui semblaient se justifier par les citations des Écritures. Il n’est pas improbable, pour tout dire, que malgré le ton triomphant de l’auteur du récit, malgré le dédain qu’il affecte pour les pasteurs et le procédé sommaire au moyen duquel il les condamne, ce docteur n’ait ressenti lui-même cette influence.
V
René Benoit, dont il est ici question, était né à Saumur, si l’on en croit Bodin ; à Savennières, près d’Angers, si l’on en croit le Dictionnaire de Bouillet. Au moment où il prit part à la Conférence de Nantes, il était professeur de théologie au collège de Navarre, à Paris. Or, au mois de juillet de l’année 1564, deux ans, presque jour pour jour après celle conférence, il en publia le récit, et dans la dédicace qu’il y inséra à l’adresse de M. de Sauzay, il avoua « les scandales de plusieurs supérieurs en l’Église», dit qu’on ne les doit ni dissimuler, ni excuser ; qu’au contraire, il faut que tous, de tous états, qui ont du zèle pour Dieu, qui aiment leur salut et qui désirent la Réformation, en si grande partie difformée par la négligence, l’ignorance et la vie scandaleuse des indignes prélats, s’emploient à les corriger et à les faire disparaître. A la même date, il publiait, à Paris, avec des commentaires et des explications d’après la Parole de Dieu de diverses questions actuelles dans l’Église chrétienne, une dernière édition de la Bible, de son homonyme Jean Benoist.
Il y insérait une exhortation au lecteur, dans laquelle il recommandait, avec une grande insistance, de recourir à la Parole de Dieu., parce que c’est d’elle que vient la foi, que la foi est la victoire par laquelle le monde entier est mis sous nos pieds et que la foi a pour fondement assuré et salutaire la Parole de Dieu. Il déclare que c’est une des ruses de Satan d’éloigner les hommes de la Parole de Dieu par tous les moyens possibles ; que c’est cette négligence et cette ignorance des Écritures qui est la cause première de la ruine où est actuellement l’Église ; que c’est le devoir des pasteurs et des docteurs d’exposer constamment, sans se lasser et avec pureté, la Parole de Dieu ; que c’est là le propre de leur ministère ; que c’est le seul moyen par lequel on pourra porter remède aux maux présents ; que c’est par elle que la réforme doit être faite en eux et dans les autres de tous états et conditions.
Il termine ainsi : “Prions donc tous ensemble le Dieu tout puissant de qui vient tout bien et la vraie sagesse qu’il daigne faire que sa parole soit rendue claire pour tous, qu’il n’y ait point de personne, si dépourvue de sens, qu’ayant trouvé le froment, elle préfère l’ivraie, car c’est dans cette parole de Dieu seule qu’on doit faire reposer l’espoir d’une bonne réformation“.
Cette exhortation était datée de juillet 1564, comme le récit de la conférence lui-même. Cet appel constant aux Écritures, cette affirmation que c’est à elle seule qu’il faut recourir pour guérir les maux du temps présent et pour réparer tous les désordres qui déshonorent et ruinent l’Église, c’est bien, à peu de chose prés, le principe protestant lui-même. Aussi, Benoist ne pouvait-il manquer d’être suspect aux siens.
Son édition de la Bible de 1564 ou celle de 1566 fut condamnée, en 1567, par la Sorbonne, comme entachée de calvinisme, et par Grégoire XIII en 1575. Son ouvrage l’Apologie catholique ne lui fit pas moins de tort dans l’esprit des Catholiques. Il y soutenait que le roi de Navarre, bien que ne professant pas la religion romaine, n’avait rien perdu de ses droits au trône ; que l’hérésie n’était qu’un prétexte pour armer les peuples contre lui. Il fut obligé, bientôt après, de se réfugier au camp du roi de Navarre. Ce prince l’accueillit très bien et lui accorda sa confiance. Dans ces conditions, il aida beaucoup à la conversion[1], soit par la douceur de son caractère, soit à cause de ses doctrines, fondées sur la Bible et qui, à ce titre, devaient paraître plus acceptables à Henri. Aussi, voulant reconnaître le zèle et le dévouement de Benoist, ce prince le fit nommer évêque de Troyes ; mais la Cour de Rome n’approuva pas cette nomination, et, malgré les instances du roi et les sollicitations réitérées du Cardinal d’Ossat, il ne put jamais obtenir ses bulles. Après onze ans d’une attente vaine, René Benoist fut obligé de résigner son évêché.
VI
Si l’on s’en rapportait au récit de la conférence, les pasteurs de Nantes n’y auraient eu qu’un rôle effacé; on aurait usé envers eux d’une certaine générosité, on leur aurait donné un délai de quinze jours pour produire de plus solides raisons s’ils en avaient ; et ils ne l’avaient pas fait. Sur ces apparences, on aurait pu les accuser de témérité et de présomption comme ayant provoqué une conférence qui était au-dessus de leurs forces et dans laquelle ils auraient été réduits au silence. Une pareille appréciation serait erronée, et les faits la contredirent. Malgré la victoire éclatante que l’Église romaine s’attribuait à cette occasion, il semble qu’on ait éprouvé le besoin de réagir contre l’impression produite par l’une de ces démonstrations pompeuses dans lesquelles le Catholicisme excelle et qui sont aussi, bien plus que la discussion, dans son esprit et ses usages.
A l’occasion du baptême de Marie de Luxembourg, fille aînée de Martigues, Jacques du Pré prononça une homélie sur le sacrement de baptême, en présence des “principaux seigneurs et gentilshommes de Bretaigne, des principaux habitans de Nantes, des gens de justice et de l’université, sans parler d’une foule de dames et damoiselles“.
On s’était rendu en procession à la cathédrale à travers des rues toutes tendues de tapisseries. Des deux côtés il y avait quatre compagnies de gens de pied étrangers, sept compagnies de gens de pied de la garde de la ville, sous le commandement de M. de Sanzay. L’artillerie du château et celle de la ville saluèrent le cortège « d’un nombre infini de détonations. La Cathédrale était « parée et ornée d’exquises tapisseries et de draps d’or ». Au milieu de la nef était dressé un pavillon fort riche où l’évêque de Nantes baptisa l’enfant. L’assemblée se retira dans le même ordre qu’elle était venue.
Cette cérémonie eut lieu le 16 juillet, c’est-à-dire presque immédiatement après la conférence. L’homélie, la description de la fête sont imprimées à la suite du récit de la conférence et ce rapprochement n’est pas sans motif. Assurément on a voulu contrebalancer l’un des faits par l’autre. Surexcité par ces spectacles et déjà plein de haine contre les Réformés, le peuple, ou du moins cette partie qui était sous l’influence du clergé, redoubla de vexations, de tracasseries et d’outrages contre eux. C’est alors que parut la déclaration du mois d’août 1566 par laquelle la Cour, craignant que les Calvinistes de Bretagne ne remuassent pendant l’absence du duc d’Etampes qui parlait pour une expédition en Normandie, enjoignait à tous les pasteurs de sortir de Bretagne quinze jours après la publication sous peine d’être pendus.
Le sénéchal, ennemi des Réformés, ne manqua pas de faire publier cette déclaration, il se sentait soutenu par M. de Bouillé qui n’approuvait pas trop la douceur du duc d’Étampes. M de Sanzay, de son côté, reçut ordre de faire sortir de la ville tous ceux qui étaient suspects sous le rapport de la religion et s’empressa de l’exécuter.
Intimidés par ces différentes mesures, par les mauvais traitements qu’ils avaient reçus et par ceux qu’ils redoutaient encore, plusieurs Réformés se convertirent ou firent semblant de rentrer dans le sein de l’Église en allant à la messe ; «car c’était là en quoi consistait alors la conversion d’un Huguenot[2]». Ces conversions subites et suspectes firent grand plaisir au peuple de Nantes. Les nouveaux réunis furent traités avec distinction et l’on en prit occasion de pousser les autres avec plus de vivacité. Les pasteurs qui étaient spécialement désignés dans l’ordonnance du roi, furent effrayés. Les uns se sauvèrent en Angleterre, les autres se cachèrent, attendant des temps meilleurs. Ceux de Nantes se réfugièrent à Blain sous la protection du vicomte de Rohan où les suivit une partie de leur troupeau pour échapper aux insultes des catholiques auxquelles ils étaient exposés tous les jours. C’est pour cette raison, assurément bien suffisante, que les pasteurs Cabanne et Bougonnière ne purent pas donner à la conférence, tenue au château, la suite qu’ils avaient promise.
Peu de semaines après, ils étaient dans le sûr asile de Blain, où ils restèrent assez longtemps en compagnie de plusieurs de leurs collègues de la province. Mais trois ans après, c’est-à-dire dans le temps même où Benoist publiait à Paris le récit de la conférence avec l’homélie de Dupré sur le baptême de Marie de Luxembourg, ils répondirent par un autre imprimé qui est introuvable, s’il existe, encore, et que nous fait connaître un autre ouvrage ayant pour litre original : Des troubles de ce temps, brief discours de guerres[3].
Après avoir parlé de l’origine et des circonstances de la conférence, presque dans les mêmes termes que Benoist, il dit : « il est vrai que trois ans après, lesdîts ministres ont fait imprimer une apologie ou défense contre le traité dudit docteur, par laquelle ils prétendaient montrer que leur doctrine n’était point nouvelle, mais apostolique et tenue pour telle de l’Église universelle, d’un commun accord et consentement de tous temps, âges et siècles. Ce livret est farci de mensonges, d’impostures, de blasphèmes exécrables, d’erreurs et de calomnies impudentes et très dangereuses, pour ce que les marges sont remplies de citations pour confirmer leur hérésie, laquelle n’a aucune convenance avec les Écritures et passages qu’ils allèguent ; mais ce sont moyens pour plus subtilement décevoir et circonvenir les simples et ignorants. Ce que je ferais paraître évidemment, si le présent discours me le permettait ; mais il est temps que je retire mon propos dedans son premiers cours d’où il est parti“.
Si la réfutation du « livret » des pasteurs de Nantes était si facile, l’auteur est sans excuse de ne l’avoir pas faite ; mais la prudence avec laquelle il s’en dispense, après lavoir qualifié de très dangereux, montre assez qu’il le jugeait, à part lui, autrement qu’il n’en parlait aux autres.
VII
Un vieux registre de Nantes, que Crevain a pu consulter à la fin du XVIIe siècle (1681), contient quelques détails sur le séjour des Réformés de Nantes à Blain, et sur l’Église de Nantes elle-même. Voici, d’abord, la description du registre lui-même. Il avait soixante-cinq feuillets, dont les quatre premiers étaient si pourris et si déchirés, qu’on avait alors bien de la peine à les lire en beaucoup d’endroits. Il contenait prés de quatre cents baptêmes, depuis 1560 jusqu’en 1572. Vers le milieu était une liste de mariages, et, à la fin, un mémoire des enterrements. Le tout avec la signature des Pasteurs et presque toujours de Bachelar, “tout de même encre et de même plume, et en même temps“.
Ce n’était donc qu’une copie. Il était enrichi de quelques notes historiques, et faisait connaître les familles qui étaient de la religion en ces premiers temps. Voici ce que dit l’une de ces notes au sujet de la fuite à Blain. « En ce temps, au mois d’août 1562, ceux de la Religion Réformée, de Nantes, furent contraints, par les menaces que leur faisaient ceux de la religion romaine, de sortir de ladite ville, et se rangèrent à Blain, terre de Monseigneur de Rohan, lequel les reçut humainement, jusqu’à les loger dans son château, sans acception de riche ou de pauvre, et y furent depuis ce temps jusqu’à la fin du mois de novembre 1562, qui est un an, quatre mois ; auquel lieu de Blain, durant ledit exil, plusieurs enfants furent baptisés.» Il y eut seize baptêmes. Ils furent administrés dans la chapelle du château, ou dans celle du jardin qui était encore debout, ou dans le temple paroissial du bourg, ou dans la maison de Simon Bidé, procureur fiscal de Blain.
Pendant qu’une partie des Réformés de Nantes s’étaient réfugiés à Blain, les autres, demeurés dans cette ville, ne cessèrent pas de se réunir,et même au coeur de la ville. C’est ce qui eut lieu, notamment le mardi 21 octobre, chez un apothicaire nommé Pineau, tout auprès de la Vivandière, ou ils trouvèrent au nombre de deux ou trois cents, se sentant autorisés par la présence de quelques officiers de justice, parmi lesquels on comptait deux présidiaux, le petit président, un maître et deux auditeurs des comptes. Le sénéchal les envoya prévenir par le greffier Chauvinière de ne pas s’assembler ainsi, que c’était contre les ordonnances du roi et celles du gouverneur. Le prédicant répondit qu’ils étaient là pour Dieu, et qu’ils s’inquiétaient peu qu’on le leur permit.
Le peuple cependant s’agitait, criant que ces assemblées étaient défendues, qu’il fallait les châtier et faire main basse sur eux. Cela n’eut pas manqué d’avoir lieu, si le sénéchal n’avait fait faire une bannie défendant, sous les peines les plus sévères, d’en venir à une sédition, et n’avait laissé Chauvinière à la porte de la maison pour empêcher le désordre. Mais on devait craindre chaque jour qu’ils en vinssent aux mains, car les Réformés ne voulaient pas cesser de se réunir, et menaçaient même de se saisir de quelque église pour en faire leur lieu de culte, ce que les autres n’auraient certainement pas souffert.
Cela n’était pas de nature à encourager ceux qui étaient à Blain à revenir à Nantes quoique tel eût été l’avis des réfugiés en colloque. Ils invitèrent les pasteurs à revenir au milieu de leurs troupeaux. Ceux de Nantes n’osèrent se conformer à cette décision à cause de la haine de leurs concitoyens. Cette circonstance même accrut l’irritation de ceux qui étaient ainsi forcés de prolonger leur exil et qui en vinrent aux plus regrettables représailles.
Quelques membres indignes des Églises de Nantes et de La Roche-Bernard firent partie, un jour de cène célébrée à Blain, d’aller piller et rançonner des prêtres qui avaient la réputation d’être riches, et de jouer du couteau où ils trouveraient de la résistance. Cela arriva dans un lieu appelé Saint-Movers-le-Croisic où un prêtre fut tué. Le Consistoire de Nantes, consulté et saisi de cette affaire, décida, quoique encore dans son lieu de refuge, qu’on solliciterait tous les magistrats des lieux où étaient alors nos Eglises, de faire bonne réquisition et punition exemplaire des malfaiteurs sans épargner personne. Un autre meurtre fut encore commis aux environs de Nantes et la victime fut le vicaire de Héric. L’un des meurtriers était Antoine Nail, marchand colporteur, demeurant en cette ville. Ils furent arrêtés et, dans la crainte que les Réformés n’empêchassent la justice de suivre son cours, on écrivit au duc d’Etampes pour lui demander d’intervenir auprès de ceux de Blain pour qu’ils ne fissent pas obstacle à l’envoi des coupables et à la déposition des témoins. Il était aisé de prévoir d’après ce qu’ils avaient fait lors du premier meurtre, ce qu’ils feraient pour le second. Assurément, ils exhortèrent les magistrats à faire une punition exemplaire des malfaiteurs quels qu ils fussent.
VIII
Enfin, nos Réformés revinrent à Nantes vers la fin du mois de novembre 1563. Le Sénéchal se montra très inquiet de leur retour à cause des troubles qu’il redoutait. Il semble bien vraisemblable que c’est d’eux que parlait le secrétaire du duc d’Étampes quand il écrivait que, le 22 du mois de novembre, “il était entré dans la ville trois cents étrangers, vagabonds et gens sans aveu, la plupart de la nouvelle religion“. Quoiqu’il en soit, très peu de temps après leur arrivée, leur premier soin fut de réclamer un lieu de culte, ainsi que l’Édit de pacification leur en donnait le droit. Ce fut une longue et laborieuse négociation.
Le 20 décembre précédent, le roi écrivait au duc d’Étampes avec le double de la déclaration par lui faite, le 14 dudit mois, sur son Édit de pacification des troubles pour le fait de la religion. Cette lettre ne parvint au duc que le 5 janvier. Aussitôt il manda aux officiers des quatre sièges présidiaux du pays qu’ils eussent “à incontinent faire savoir que ceux qui prétendent intérêt sur ladite déclaration” se présentent devant lui. “Sur quoi les manants et les habilans de la ville, faubourgs et comté de Nantes, qui sont de la religion prétendue Déformée, seraient venus devant nous, écrivait le duc, et nous auraient répété leurs précédentes requêtes qu’ils nous auraient faites dans les États de Dinan“.
Ils demandaient, au faubourg de la Sauzaye ou de la Fosse, une maison appartenant à un nommé Jean Dulac. Les Catholiques s’y opposèrent en disant que la Fosse était un boulevard et non un faubourg, que cette maison relevait du fief de l’Evêque, et que “cela nuirait au commerce des habitans avec les pays du roi d’Espagne, à qui la religion est fort odieuse“.
Les Réformés prouvèrent en vain que depuis 150 ans elle payait 10 sous de rente à la recette du roi, de qui elle était tenue et mouvante. Quant à la crainte de déplaire au roi catholique, ils dirent que les opposants étaient plus enclins à l’observation des lois d’Espagne qu’à celles de la France. “Car nul bon sujet ne refusa jamais d’obéir à son prince par crainte de déplaire à l’étranger“. Ils proposèrent alors une maison dans le faubourg Saint-Clément ou dans le faubourg de Richebourg. Les Catholiques opposèrent que ces deux faubourgs étaient à la sortie de l’Église Cathédrale, devant laquelle passeraient ceux qui feraient exercice de la religion ; que cela pourrait donner lieu à des troubles et même a des séditions, comme cela avait eu lieu quand ils se réunissaient au Pressoir.
Alors les Réformés parlèrent d’une maison dans le Marchix. Les Catholiques opposèrent que le Marchix relevait du fief de l’Evêque, et que l’une des principales Églises paroissiales y était située. Le 1er février, une nouvelle comparution eut lieu devant le duc d’Étampes. On produisit des lettres closes en date du 21 janvier. Le roi y déclarait avoir écrit à l’Evêque de s’accommoder et de laisser faire l’expérience de la religion dans un des faubourgs. Il disait au duc de voir ce qui serait le plus à propos pour le bien de son service et la commodité des uns et des autres et d’en ordonner comme il le trouverait bon, sans que les parties en appelassent à lui et “qu’il en eut davantage les oreilles rompues continuellement“. Le duc d’Étampes voulut alors faire accepter aux Réformés le lieu du Pressoir, offrant de le faire mettre en état à ses frais. Ceux-ci refusèrent, parce que le Pressoir était situé hors de tous les faubourgs et, par conséquent, contre l’Édit et les déclarations du roi ; parce qu’il était du fief de l’Évêque, qui ne manquerait pas de s’y opposer ; parce que pour s’y rendre il fallait passer devant l’église Saint-Pierre et par la porte Gudon, dite de Saint-Pierre ; parce qu’il était placé sur la chaussée de Barbin, qui était souvent couverte par les eaux de l’Erdre ; parce qu’il était éloigné de la ville, et que les vieillards, les femmes, les enfants, ” tant de gens de justice, gentilshommes que autres“, seraient, par ces difficultés des chemins, frustrés de l’exercice de leur religion; enfin, parce que le propriétaire actuel, n’étant pas de la religion, ne consentirait à aucun prix à leur vendre pour un pareil usage.
Enfin, le 3 février, le duc d’Étampes, ayant tout pesé, tout considéré, tenant compte des remontrances des uns et des requêtes légitimes des autres et ayant pris l’avis “des officiers du roi, tant de sa cour de Parlement que d’autres ministres de sa justice ordinaire“, qui l’avaient assisté dans tout le cours de cette affaire, décida et ordonna que les Réformés de cette ville auraient pour lieu d’exercice de leur religion la maison de Beauregard, au Marchix, dont le propriétaire était de la religion.
Cette maison était « à la porte de la ville, » près et au-devant de l’Église Saint-Sambin. La concession en fut confirmée par lettres-patentes du 25 mai 1564. C’est probablement la maison située à l’angle des rues de Bel-Air et Moquechien et actuellement occupée par une institution religieuse. Cet acte de justice n’avait pas été accompli sans de grandes résistances, et il y aurait eu lieu pour les Réformés de s’en montrer reconnaissants, s’il n’eut pas caché des desseins perfides, et s’il ne se fut pas rattaché au plan déjà conçu, et en voie d’exécution, d’endormir les défiances des chefs des Réformés, afin de s’en débarrasser plus aisément. Il en fut ainsi d’une ordonnance de mettre en liberté des Réformés, condamnés à la prison pour n’avoir pas tendu devant leurs portes un jour de procession de la Fête-Dieu.
Ce fut le 6 août, à Roussillon, et quand il se concertait avec le duc de Savoie sur les moyens de détruire les Réformés, que Charles IX rendit cette ordonnance dont voici les principaux passages :
“Charles IX, par la grâce de Dieu, roi de France…. Nos bien-aimés les manans et habitans de notre ville dudit Nantes, qui sont de la religion que l’on dit Réformée, nous ont fait exposer que combien qu’il soit, par notre Édit de pacification, ordonné que nos sujets pourront vivre en liberté de leur conscience, sans être recherchés pour le fait d’icelle et de la religion, ni forcés en leurs consciences, ce néanmoins, pour n’avoir fait, le jour qu’on appelle la Fête-Dieu, tendre de la tapisserie devant leurs maisons, aucuns d’eux ont été emprisonnés par espace de temps, les autres condamnés en certaines amendes et pour icelles exécutés en leurs biens, et d’autant que icelles condamnations et exécutions sont contre notre dit Édict, ils nous ont fait humblement supplier et requérir les vouloir sur ce pourvoir“.
Il ordonnait, en conséquence, qu’ils fussent mis en liberté et remboursés des amendes qu’ils avaient été forcés de payer, et ce, dans les termes les plus absolus, enjoignant d’y contraindre par toutes voies de rigueur. Les victimes étaient Bertrand Duchesne, Receveur des Finances de Nantes, Bertrand Geslin, Robert Pineau, Jean Boucicault et Jean Peumangeon. Malgré cette ordonnance du roi, ce ne fut que huit mois après, le 30 mars de l’année suivante, qu’ils furent mis en liberté. L’arrêt du Parlement fut qu’ils ne devaient pas être contraints à tendre devant leurs maisons, mais qu’ils devaient laisser les autres tendre pour eux aux frais des paroisses.
Aux termes de l’Édit de pacification, les Réformés avaient droit, non seulement d’avoir un lieu de culte, mais des écoles. Martigues, le nouveau gouverneur de la province depuis la mort du duc d’Étampes, en prit occasion de restreindre et de réduire autant que possible ce qu’il ne pouvait supprimer complètement. Aussi, le 27 de ce même mois de mars, il rendit une ordonnance par laquelle il défendait aux Réformés de tenir ou faire tenir aucune école publique, autrement qu’il n’est permis par les édits ; de chanter psaumes en lieux publics ni autres lieux, en sorte qui puisse amener aucun scandale ni émotion populaire ; de recevoir en leur prêche aucun étranger ni autres personnes que ceux de la sénéchaussée, et de faire aucun exercice public de ladite religion, en autres lieux que ceux permis par les édits ; et de faire les baptêmes et autres prétendus sacrements et sépultures en ladite religion, ni y assister en autre forme et en plus grand nombre de gens qu’il n’est ordonné par les édits du roi. Il ajoutait des recommandations générales aux deux partis, de ne se provoquer dans leurs maisons ou ailleurs, par injures ou autrement, mais de vivre unanimement en conformité avec les édits.
Ce qui montre bien le peu de sincérité de ces dernières paroles, c’est que la déclaration qu’il venait de faire lui avait été suggérée par une députation des habitants de Nantes, qui était venue lui demander que le roi mette hors de la ville les prêches des huguenots et les écoles des petits enfants. Il y avait fait droit dans la mesure du possible. Il avait montré la même mauvaise foi peu auparavant : pendant qu’une partie de l’Église de Nantes s’était réfugiée à Blain, ceux qui étaient restés s’étant assemblés publiquement, sous le bénéfice de l’Édit de mars, à la Gascherie et à Barbin, il les fil dissiper et invita ensuite les habitants à lui faire requête dans ce sens.
Tout avait été convenu dans les conférences de Bayonne, entre le duc d’Albe pour l’Espagne, et la Cour de France, pour l’anéantissement des Huguenots. On était d’accord de se soutenir réciproquement, mais on différait sur l’emploi des moyens. Le duc d’Albe était pour une résolution prompte et énergique, et voulait employer la violence. Catherine, au contraire, voulait temporiser et ruser. On se reconnut, de part et d’autre, la liberté d’action, mais en “demandant au ciel que la clémence et la sévérité leur réussissent également“. Ces mots sont de l’historien Davila, contemporain des événements et familier de la cour. Cela fait penser aux prières adressées à la Madone pour qu’elle fasse réussir une tentative de vol ou d’assassinat.
Le complot en était à ce point, quand Charles IX arriva à Nantes avec sa mère. C’était le jeudi il octobre 1565. Condé vint l’y saluer, de Châteaubriant, et séjourna quelques jours à Nantes, où il fit prêcher Petrocelli ou Perocelli, qui était probablement son ministre ordinaire. La cour se rendit ensuite à Châteaubriant ; de là, le roi vint à Blain, pour voir le vicomte de Rohan qui était malade. C’est dans ce voyage que Charles IX rétablit la messe dans ces deux localités où elle avait été abolie.
IX
L’Église de Nantes, où le ministère n’avait été établi qu’en 1560, avait, en 1562, deux Pasteurs. Était-ce par suite de l’accroissement du nombre de ses membres, on à cause de la conférence qui devait avoir lieu avec les Docteurs catholiques, et dont on s’occupa assez longtemps d’avance ? Peut-être fut-ce pour ces deux motifs. D’un côté, il eut été imprudent qu’un seul homme entreprit d’entrer en lutte, sans conseil, sans appui, au moins moral, contre des hommes instruits, soutenus ouvertement par les principaux représentants du pouvoir, de la noblesse, de la justice et du clergé. D’un autre côté, il y avait dans le voisinage de Nantes plusieurs familles partageant les idées nouvelles, et qui ne pouvaient que difficilement venir à Nantes se joindre à leurs frères pour la célébration du culte. Il fallut donc trouver d’autres lieux de réunion: C’est ce qui se fit à Nort, tantôt dans l’église paroissiale, tantôt dans la Chapelle Saint-Martin. Nort dépendait, à cette époque, du seigneur de Vézins, de la Maison de la Noue, et qui était de la religion. Il en fut encore ainsi du manoir de Buron, appartenant au sieur de Sévigné, de Casson, de Procé en Sucé, et surtout du Ponthus, dont était seigneur Bonaventure Chauvin, sieur de la Muce.
Il y eut donc, dès cette époque, deux Églises à Nantes : Nantes-ville et Nantes-campagne, ou, pour mieux dire, Nantes et une annexe, qui prit le nom de Ponthus. En effet, par sa position dans la province, par la piété, le dévouement et le zèle dont il donna, ainsi que sa famille, de si nombreuses preuves, le seigneur de ce lieu méritait à tous égards que cette Église annexe se groupât autour de lui. D’ailleurs, il la recevait dans sa maison. Il en a été ainsi jusqu’à la Révocation de l’Édit de Nantes. Dès les premiers commencements de la Réforme dans notre ville, on voit l’intervention de cette famille de la Muce. Ainsi, lors de l’incendie du Pressoir, M. de la Muce est chargé, par Dandelot, d’en écrire au duc d’Étampes, et, presque dans toutes les occasions où il s’agit de soutenir et défendre les Réformés, sa présence est signalée. Il fut surtout utile en ce qu’il contribua à préparer des pasteurs dont on avait un pressant besoin. C’est ainsi qu’il entretenait à Genève, à ses frais, le proposant François Oyseau, qu’il en fit revenir en 4563, à la demande du Synode de la Roche-Bernard. Oyseau devint pasteur de l’Église de Nantes, avec Cabanne, et en remplacement de Philippe de Saint-Hilaire, qui passa à Vieillevigne.
Pendant sa retraite, l’Église de Nantes avait été chargée, par le colloque réuni à Blain, de convoquer le prochain Synode provincial ; mais elle ne fut point en état de le faire. En effet, elle n’osa point revenir chez elle, et, dès lors, comment aurait-on pu y réunir un certain nombre de pasteurs et d’anciens, dont la présence et la réunion n’auraient pu être tenues secrètes. Il est, d’ailleurs, digne de remarque que jamais dans ce siècle aucun Synode provincial n’a pu s’y tenir. L’absence de protection suffisante et l’esprit hostile d’une partie des habitants ne l’auraient pas permis. En revanche, cette Église vit souvent choisir parmi ses anciens les députés de la province au Synode national. Ce fut le cas en particulier pour le Synode de Lyon, où la Bretagne fut représentée par le pasteur de la Roche-Bernard, par Pierre Gouy, ancien du Consistoire de Nantes. C’est le même que nous avons vu arrêter au début de cette histoire dans la maison de Bertrand Geslin où il écrivait des noms sur une liste qu’il jeta au feu à l’arrivée des soldats, mais que les soldats retirèrent avant que le feu l’eut atteinte.