Les Dobrée : une grande famille protestante nantaise

    En apparence, les Dobrée, richissimes armateurs et négociants du début du XIXe siècle, forment une dynastie fort bien connue des Nantais. Le passage de ces protestants originaires de Guernesey a laissé de multiples traces dans les archives tout comme dans le patrimoine de la ville, depuis les forges de Basse-Indre jusqu’au remarquable musée Dobrée, confié au département et à la cité par l’ultime héritier, Thomas 2 (1910-1895).

    Les archives privées, les portraits, la comptabilité familiale même, tout y est conservé, et il ne semblerait subsister aucun secret les concernant. D’autant que de grands historiens, de Léon Rouzeau à Olivier Pétré-Grenouilleau y ont puisé une grande partie de leur documentation[1].

    Mais il faut croire que de sérieuses zones d’ombre subsistent encore, en particulier sur les engagements spirituels de ces négociants nantais. Les choix éthiques de ces hommes sont en effet fort différents:

 -L’aïeul, Pierre-Frédéric, est un « protestant des Lumières », ce qui lui semble compatible avec la traite négrière.

– Le fils, Thomas 1, est un abolitionniste et un grand philanthrope

– Le petit-fils, Thomas 2, calviniste « orthodoxe », est le collectionneur d’oeuvres d’art bien connu.

– Le neveu et gendre, Thomas-Godfrey, évangélique fervent, est devenu la cheville ouvrière de diverses sociétés évangéliques.

Marie Rose Dobrée

Marie Rose Dobrée, épouse de Thomas Godfrey Dobrée (Musée Dobrée, Nantes)

   Je me suis aperçu que beaucoup d’études biographiques consacrées à ces hommes pourtant célèbres se révèlent erronées dès qu’elles abordent le domaine de la vie privée. Un exemple parmi d’autres : la  notice rédigée par le musée du Louvre pour le portrait de Marie Rose Dobrée (1778-1840) la présente comme mariée à Thomas 2 (1810-1895), son neveu, ce dernier doté des dates chronologiques (1781-1828) de son père[2] ! Il est vrai que la forte endogamie, alors caractéristique des lignages du grand négoce calviniste, ne facilite pas les choses, pas plus que la reprise des mêmes prénoms d’une génération à l’autre.

    Du  coup, un personnage central de la famille a quasiment disparu de la mémoire collective. Son cas avait tout pour brouiller les pistes : Thomas Godfrey Dobrée (1770-1851), souvent mais pas toujours désigné par ses initiales T.G., était le neveu de l’aïeul Pierre- Frédéric, donc le cousin de Thomas I, son homonyme et en même temps son beau-frère et associé, désigné également dans un certain nombre de documents comme « l’armateur nantais »! Or c’est ce Thomas Godfrey Dobrée qui a joué un rôle important dans le cadre du protestantisme français, puisque nous le retrouvons aux origines de la création de la Société Biblique Protestante de Paris, de la Société des Missions Évangéliques et qu’il présidera plus d’une fois l’assemblée générale de la Société Évangélique de France. Rien que cela !

    Je lui consacrerai une prochaine notice, ainsi qu’aux autres membres de cette famille qui illustre l’ampleur des mutations du protestantisme au tournant du XIXe siècle et qui a finalement mis sa fortune au service des autres, qu’ils soient bretons, protestants, ou les deux !

Jean-Yves Carluer

[1] Olivier Pétré-Grenouilleau, Nantes au temps de la traite des Noirs, Hachette, Paris, 1998, 280 p

[2] Sur le site Louvre  http://musee.louvre.fr/bases/doutremanche/notice.php?lng=1&idOeuvre=2962&vignette=oui&nonotice=59&no_page=2&total=121&texte=&titre=&localisation=&periode=&artiste=%22ROOKE,%20Thomas%20Mathenos%22&date=&domaine=&f=3110&images_sans=images&nb_par_page=36