Un portait inédit de John Jenkins

    Une galerie parisienne vient de mettre en vente un dessin inédit représentant le pasteur Jenkins, dû au crayon du peintre Louis Caradec1.

John Jenkins. Portrait par Louis Caradec (vers 1850)

    Les habitués de ce site connaissent déjà le Brestois Louis Caradec (1802-1888), artiste surtout connu pour ses représentations de scènes religieuses et ses portraits. On lui doit également de minutieuses représentations de costumes ruraux bas-bretons du milieu du XIXe siècle qui sont aujourd’hui des documents ethnologiques incontournables.

    Louis Caradec, d’abord élève des peintres de Marine, se rendit à Paris vers 1830 pour perfectionner son art. C’est là qu’il se convertit au protestantisme. De retour à Brest, il assure les cours de dessins pour la Société Académique de la ville. Il ne devient professeur de dessin au lycée que bien plus tard, à partir de 1874. Sa réputation est alors bien établie : il a illustré plusieurs ouvrages sur la Bretagne et la ville l’a chargé de présenter ses œuvres à Napoléon III lors du voyage impérial de 1858 dans le Finistère.

    Louis Caradec s’était joint à la communauté protestante de Brest, rassemblée par le pasteur Achille Le Fourdrey. Son cousin, le Lieutenant de vaisseau Jules Caradec, l’y accompagnait et devint même le gendre du pasteur.

    Nous ne savons quand et comment Louis Caradec rencontra John Jenkins, le missionnaire baptiste gallois qui s’était établi à Morlaix. Les relations étaient étroites entre les quelques communautés protestantes bretonnes du temps. Jules Caradec se fit baptiser par immersion en 1850 et Louis en 1852, tout en étant membres actifs de la paroisse réformée de Brest.

    Selon la légende du dessin mis en vente par la galerie Geoffriault, il serait une représentation du pasteur Jenkins « pasteur protestant à Brest » datant de 1880. L’oeuvre aurait été offerte à un de ses élève par Louis Caradec.

   Je me dois de rectifier et préciser ces indications.

– Ni John Jenkins, ni son fils et successeur Alfred Jenkins n’ont été pasteurs à Brest. Ils ont exercé leur ministère exclusivement à Morlaix et dans sa région.

John Jenkins Morlaix

Le pasteur John Jenkins vers 1855

– Le personnage représenté n’est pas Alfred Llewelyn Jenkins (1846-1924) mais son père John Jenkins (1807-1872). Les archives familiales Jenkins conservent de nombreuses photographies des deux pasteurs. La comparaison de ces clichés avec le dessin de Caradec écarte toute représentation de Jenkins fils. La ressemblance est avérée, par contre, avec les premiers portraits de John Jenkins. même la coupe de cheveux coïncide ! Autre indication : Louis Caradec était proche du pasteur Jenkins père. Il entra par contre, en conflit avec Jenkins fils. Car, après 1872, le peintre brestois entreprit des réunions religieuses privées à son domicile. Le petit groupe comprenait le beau-frère du pasteur Le Coat, François Le Quéré, qui avait dû, à cause de la législation restrictive de la « République des ducs », abandonner provisoirement son travail de colporteur pour devenir artisan à Brest. Guillaume Le Coat devint alors le référent spirituel de cette œuvre baptiste naissante qui allait ensuite ouvrir un temple, rue de Navarin. L’initiative de Louis Caradec entraîna une vive et durable fâcherie entre le pasteur de Trémel et ses collègues de Brest et de Morlaix, Elie Berthe et Alfred Jenkins. Ces derniers estimaient que Guillaume Le Coat était beaucoup trop individualiste. Je n’ai pas d’indication que Louis Caradec ait, dès lors, poursuivi ses relations avec Alfred Llewelyn Jenkins.

– Au delà de l’anecdote, ces faits contredisent également la datation ajoutée a posteriori sur le dessin mis en vente à Paris. Ce ne peut être 1880, à moins d’imaginer qu’il s’agisse d’un portrait réalisé d’après une photographie antérieure. John Jenkins était, en effet, décédé depuis plusieurs années. Le dessin représente un homme encore jeune, plus jeune même que sur les photographies de 1855 conservées dans les archives de la famille Jenkins. Je propose donc une fourchette de datation qui irait de 1845 à 1852 environ, c’est-à-dire l’époque de son baptême par immersion.

– Le complément d’information proposé par la galerie qui vend l’oeuvre est néanmoins vraisemblable : « inscription d’un de ses élèves à qui Caradec avait donné le dessin ». Nous savons, en effet, qu’à la fin de sa vie le peintre, devenu veuf et sans enfants, avait réparti entre ses amis un certain nombre de ses oeuvres et de ses études. C’est dans ce contexte qu’il fit également cadeau au pasteur Guillaume Le Coat de la fameuse série des vies de Corentin protestant.

Jean-Yves Carluer

1 Geoffriault, 3 rue de la Cossonnerie, 75001 Paris. Site : http://www.ebay.fr/itm/DESSIN-ORIGINAL-DE-LOUIS-CARADEC-PORTRAIT-DE-JENKINS-1880-brest-bretagne