La Bible pour le peuple de Bretagne : la version Jenkins du Nouveau Testament
Le 21 mai 1847, le comité de la Société biblique britannique donnait l’ordre de tirer 3000 exemplaires de la nouvelle traduction biblique effectuée par le pasteur John Jenkins. L’ouvrage parut sous les presses de l’imprimeur Charles Leblois, rue Neptune à Brest. Ce dernier était en difficulté financière et accepta volontiers un marché qui risquait de lui susciter l’hostilité du clergé.
Le missionnaire John Jenkins avait élaboré patiemment sa traduction, en se limitant d’ailleurs au Nouveau Testament, et en se faisant seconder, on l’a vu, par Guillaume Ricou. Il avait été soutenu par des linguistes mandatés par la Société biblique. Il était, enfin, aidé par son collègue, le pasteur James Williams, qui venait de s’établir à Lorient et Quimper.
L’entreprise n’était pas simple. Rappelons que la langue bretonne se déclinait en quatre principaux dialectes correspondant aux évêchés de l’ouest, sans compter les sous-dialectes locaux. Si les langues de Cornouaille, Léon et Trégor sont relativement proches, le breton vannetais marque des différences plus sensibles. Autre difficulté majeure, le breton que nous pourrions qualifier d’académique était sensiblement différent des parlers réels utilisés dans les villes et les campagnes. La grammaire et la traduction biblique de Le Gonidec avaient été une étape importante de l’élaboration d’un breton académique qui satisfaisait les puristes et les érudits. Mais la Société biblique s’en était montrée déçue : elle n’avait pas financé la version Le Gonidec dans ce but. Elle voulait que les Écritures soient comprises du plus grand nombre. C’est pour cela qu’elle avait demandé à John Jenkins de reprendre le chantier linguistique.
Une dernière grande difficulté se présentait encore, difficulté classique de toute traduction à but missionnaire : pour être compréhensible, elle se doit de reprendre un maximum d’expressions en usage dans le pays. Mais ces mêmes expressions véhiculent une culture locale parfois ambiguë, parfois même opposée au message que l’on veut faire connaître.
John Jenkins, après avoir assisté à de nombreuses messes catholiques locales, s’était aperçu que les concepts chrétiens étaient exprimés par les prêtres et leurs fidèles dans un « breton de curé » qui faisait appel à de nombreuses expressions venues du français. Il lui fallait les réutiliser, même si cela pouvait entraîner quelques confusions.
La traduction du Nouveau Testament de John Jenkins découle directement du choix des compromis qui avaient paru nécessaires au missionnaire gallois. Il se fondait sur le texte original grec (manuscrit dit du textus receptus), mais sur le plan pratique, il gardait, chaque fois que cela lui semblait possible, les expressions de la version Le Gonidec. Il présentait, comme son prédécesseur, un texte inspiré du dialecte trégorrois-léonard. Il n’hésitait pas, enfin, à utiliser des termes jugés proches du français quand il les estimait plus utilisés et compréhensibles par les habitants du pays.
De tels compromis ne pouvaient que susciter quelques critiques, venues aussi bien des puristes de la langue que des théologiens tant catholiques que protestants. L’essentiel était ailleurs. Pour la première fois, la plupart des habitants de Basse-Bretagne allaient pouvoir entendre dans leur langue les récits des Évangiles et des Épîtres. « Rien ne manque au Testament Nevez, écrivait Guillaume Lejean, pour être un livre populaire parmi nos Bretons[1] ».
Malgré l’opposition du clergé catholique, la première édition fut rapidement épuisée. John Jenkins en fit publier en 1851 une deuxième avec quelques corrections, imprimée chez Anner, à Brest, en 4000 exemplaires.
L’édition de 1863, tirée à 3000 exemplaires, toujours chez Anner, introduisait un certain nombre d’améliorations du texte. En 1866 parut une version de poche augmentée des Psaumes, également tirée à 3000 exemplaires.
La dernière édition du Nouveau Testament, traduit par John Jenkins, sortit des presses de chez Gadreau, toujours à Brest, en 1870, en 3000 exemplaires. Le missionnaire avait fait imprimer et diffuser un total de 16.000 ouvrages bibliques au cours de sa carrière, sans compter quelques milliers de tirés à part sous forme d’Évangile selon Saint-Marc ou d’Actes des apôtres.
Mais la tâche était loin d’être achevée. Ce sera le travail de son fils, Alfred Llewelyn Jenkins, et d’un de ses convertis, petit-fils de Guillaume Ricou, le pasteur Le Coat.
[1] Archives de la British and Foreign Bible Society, Lettre de Guillaume Lejean adressée à John Jenkins le 17 janvier 1849.