Les Salles de Rohan

Les Salles de Rohan… Une place-forte huguenote disparaît sous les ronces…

     De tous les châteaux huguenots de Bretagne, c’est un des plus méconnus. Lorsque j’avais visité, il y a vingt ans de cela, le site des forges de Perret, fondées par le très huguenot duc Henri de Rohan, j’avais d’abord admiré, comme la plupart, les beaux bâtiments de l’usine métallurgique des XVIIIe et XIXe siècles que l’on confond souvent avec les édifices de l’époque calviniste. La mémoire locale assimilait même la chapelle baroque de l’établissement avec un vieux temple…

    La propriétaire, Mme du Pontavice, répondit aimablement à ma perplexité. Elle me fit conduire, à quelques kilomètres de là, au plus profond de la forêt de Quénécan, auprès d’un magnifique étang, sur le site du vieux château des Salles de Rohan. Le site eut ravi Chateaubriand. Quelles ruines !

 Les outrages du temps…

Une des tours du château des Salles, sur la rive de l'étang. Vue prise en 1992

Une des tours du château des Salles, sur la rive de l’étang

    Du quadrilatère initial, il ne subsiste qu’un des côtés, sous forme d’un long logis ruiné appuyé sur une muraille et deux fortes tours. Le bâtiment semble avoir été abandonné depuis les années 1970. La grande tempête de 1987 bouleversa le site laissé à lui-même : toits effondrés, murs menaçants… Et cela ne s’est pas arrangé depuis… Pour tout dire, ce qui reste du château est aujourd’hui interdit à la visite pour des raisons de sécurité.

    Edifié sur les ruines d’une motte féodale édifiée par un vicomte de Rohan en 1128, le château des Salles de Rohan est reconstruit à la fin du XIVe siècle par Alain VIII, à la limite des paroisses de Perret et de Sainte-Brigitte. Le terme « Salles » vient du breton et désigne un logis. Il appartient au réseau de forteresses des Rohans (Pontivy, Josselin, etc). Le château contrôle un site connu très tôt pour la fabrication du fer : on voit encore, sur la plage de l’étang, des concrétions de cristaux d’oxyde de fer, les fameuses « macles » qui ornent le blason des Rohans. Minerai et charbon de bois issus de la forêt de Quénécan alimentent le  premier haut-fourneau de Sainte-Brigitte, datant de 1440.

    Rien n’indique un exercice régulier du culte calviniste aux Salles de Rohan en Perret/Sainte-Brigitte au XVIe siècle. On ne connaît pas de lignage huguenot dans la région à cette époque, et le refus de quelques seigneurs des environs de payer vers 1560 les dîmes à l’abbaye de Bon-Repos, toute proche, ne suffit pas à en faire des calvinistes. S’il y eut prédication protestante, ce fut lors des séjours occasionnels des vicomtes, accompagnés de leur « ministre domestique ».

 Une communauté vivante au milieu du XVIIe siècle

Le logis ruiné du château des Salles de Rohan en 1992.

Le logis ruiné du château des Salles de Rohan en 1992.

    La fondation en 1622 ou 1623 de la nouvelle forge des Salles de Rohan par le duc Henri de Rohan permit le rassemblement d’une communauté d’une douzaine de familles huguenotes comprenant le premier adjudicataire des forges, Geoffroy de Fineman, sieur d’Angicourt, venu des Ardennes, et quelques ouvriers et techniciens comme Jean Barbanson, originaire de Sedan. Le duc de Rohan, accaparé par les guerres de religion des années 1620, n’eut pas la possibilité d’y établir un ministre permanent. Pendant une vingtaine d’années, c’est David De la Place, le pasteur de l’Église de La Moussaye (en Plénée-Jugon), à quelque distance de là, qui célébra les mariages et les baptêmes pour les membres de la petite communauté qui se réunissait aux Salles de Rohan. Les registres paroissiaux de Perret mentionnent en 1630 les prêches d’un ministre en « la chapelle calviniste du château des Salles[1]« . La tradition raconte que le château abritait « une chapelle fortifiée » consacrée au culte protestant. Il n’en reste rien aujourd’hui. La qualification de fortifiée me semble peu crédible. Le lieu de culte était suffisamment défendu par son isolement au coeur d’une forêt et par les murailles de la place forte.

    En 1640, quand Marguerite, la fille d’Henri de Rohan, devenue épouse Chabot, prit possession du duché et y établit le droit d’exercice prévu par l’Édit de Nantes, l’Église de Pontivy eut un pasteur permanent, Ramet. Il fut remplacé dès 1647 par le pasteur Etienne Briant. Le Ministre de Pontivy assura désormais les prêches dans la chapelle des Salles, officiellement jusqu’en 1669, date à laquelle le culte fut interdit. Les huguenots de Perret purent ensuite se rendre à Pontivy au plus tard jusqu’en 1683, date de la mort de Marguerite de Rohan-Chabot, car le droit d’exercice s’éteignit avec elle.

 Jean-Yves Carluer

Pour plus d’information sur le site, voir : Andrieux (Jean-Yves), « L’Architecture préindustrielle, une image de la permanence au règne de l’éphémère : les forges des Salles et du Vaublanc », in Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. LXV, 1988, p. 147-175 [XIV U 9].


[1] Archives départementales des Côtes-d’Armor, 6 E 153, 1,7,8

3 réponses à Les Salles de Rohan

  1. LE COROLLER André dit :

    Bonjour,
    bravo pour votre site.
    une question : vous indiquez l’interdiction du culte aux forges des Salles en 1669, Jean Luc Thulot donne 1665, période où pendant deux mois l’église de Perret fut interdite, avez-vous des précisions ?
    une information : Denise Aupied a justement lu d’Angecourt comme le créatreur des Salles. Angecourt est une forge au S-SE de Sedan. Il était accompagné de compagnons de la région. Geoffroy était le beau-frère de Louis de Geer qui à la demande du roi de Suède avait construit des forges dans le pays. Geoffroy avait été maître des forges en Suède avant de s’intéresser aux Salles.
    Bien cordialement,
    André Le Coroller

    • Jean-Yves Carluer dit :

      Merci pour votre appréciation et vos informations ! Vous avez raison de signaler la petite divergence de date entre 1665 et 1665. Habituellement, mon ami Jean-Luc Tulot est très sûr. Mes sources parlent de 1665, mais cela peut être une erreur de lecture (le 5 ressemble beaucoup au 9 dans l’écriture du XVIIe siècle). Cela peut aussi être un doublet, car il y a souvent des délais entre le début des procédures et leur application définitive sous l’Ancien Régime.

  2. Pascal Lemercier dit :

    Bonjour, félicitations pour votre site, passionnant et très bien documenté. Descendant des familles Poulce et Des Gretz de Plénée-Jugon, j’ai entrepris des recherches sur cette famille protestante attachée au temple de la Moussaye. Je n’ai pas encore en l’état de mes recherches établi un lien formel entre Guillaume des Gretz, que vous commentez dans « Discours d’une Histoire et Miracle advenu en la ville de Montfort, cinq lieues près Rennes en Bretaigne » (1588) et Jehan des Gretz, valet de François 1er. J’ai récupéré aux Archives de Paris, le testament de ce dernier dâté de 1537, où l’on découvre sa « vraie foy » catholique… J’ai découvert l’existence d’un acte de bâpteme dâté de 1632 des Salles de Rohan, où sont mentionnés Anne Rady (future épouse de Charles des Gretz, sieur de Beauregard – Plénée-Jugon – probable fils de Guillaume) et Samuel Poulce, père du dernier pasteur de la Moussaye, Joseph. Tout ça ne m’avance guère dans mes recherches, sauf l’existence d’un parchemin aux Archives de Saint-Brieuc d’une transaction entre Jehan des Gretz (1535) et François de Rohan – parent d’Henri de Rohan dont vous parlez ? -, archevêque de Lyon. Ce document qui était en possession des descendants de Charles des Gretz n’apporte pas une preuve formelle du lien entre les Des Gretz de Plénée-Jugon et Jehan des Gretz, valet de François 1er, mais la question reste posée. Quoi qu’il en soit, merci pour vos recherches très intéressantes et qui me permettent de progresser.
    Bien cordialement

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