Paimpol et ses premiers protestants

Paimpol et ses premiers protestants, observés par le pasteur Théophile Roux en 1908.

     Pasteur méthodiste à Saint-Brieuc au début du XXe siècle, Théophile Roux a laissé des lettres et des textes de belle qualité littéraire. Voici un de ses rapports de mission, paru dans le journal l’Évangéliste en 1908. Il y raconte sa découverte de l’oeuvre pionnière ouverte à Paimpol quelques années plus tôt par le pasteur quaker Charles Terrell (1865-1949). Après avoir été, au service de la Friends Mission, missionnaire en Inde puis chargé du Sailor’s home de La Rochelle, il avait créé en 1905 à Paimpol une oeuvre protestante qui est aujourd’hui rattachée à  la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes.

    On remarquera, à la lecture de ce texte, l’usage des « scènes de genre » qui abondent dans les récits protestants de l’époque sur la Bretagne : les ajoncs et les talus, la mer grandiose et menaçante, le « paganisme » catholique… Paimpol avait servi en 1886 de cadre au roman de Pierre Loti, Pêcheurs d’Islande. La mortalité des marins y était effrayante. En 1908, même si le catholicisme semble dominer la culture locale, la municipalité de Paimpol est passée à l’anticléricalisme.

     Jean-Yves Carluer

Lettre  de Bretagne

    Paimpol, que j’avais rapidement visité au printemps de l’an passé, m’avait laissé de vivants souvenirs. Etant allé, dans le courant de la soirée, frapper à la porte du dévoué missionnaire qui y est établi depuis quelques années, je tombai au milieu d’une petite réunion à laquelle les coiffes paimpolaises et les croix bleues[1] mettaient une note fort agréable. La prière d’un pauvre homme, se débattant entre sa passion de boire et son désir de devenir sobre, m’a touché. Et ce groupe de Bretons, adorant le Père en Esprit est en vérité, vrai îlot dans un océan d’erreur, s’était spontanément photographié sur mon esprit. Aussi, lorsque M. Terrell m’engagea récemment à y aller donner deux conférences de tempérance, je ne me fis point prier. D’ailleurs, nous sommes presque voisins, M. Terrell et nous, et son expérience d’évangéliste sur terre bretonne nous sera utile.

    J’avais vu le pays revêtu de sa parure printanière. Celle dont il se pare aujourd’hui est un peu plus sévère. Mais, grâce sans doute au beau temps dont nous avons été gratifiés, les prairies sont restées d’un vert charmant et le bétail pâture tout à son aise. A travers les rares ouvertures percées dans les hauts talus qui entourent chaque terrain, et sur lesquels fleurit l’ajonc, poussent les chênes aux troncs noueux, on voit la tendre verdure des blés et les interminables rangées de choux. Sans parler des fougères roussies qui semblent, en certains endroits, couvrir le sol d’une fourrure de fauve.

    Toutefois, lorsque le touriste va à Paimpol, c’est pour voir la mer et les intrépides pêcheurs de ce port qui vont pêcher la morue dans les parages d’Islande ou sur les bancs de Terre-Neuve. Et il ne nous sera pas défendu, entre deux réunions, d’aller jusqu’à tel promontoire rocheux, d’où la vue s’étend sur le littoral déchiqueté et des Côtes-du-Nord. Ailleurs, les rochers ont des formes plus extravagantes ; mais le panorama ne pouvait être plus grandiose que celui que l’oeil embrase de la Tour de la Vierge, par exemple. La marée était basse, et il était tout à fait là-bas l’océan, ce grand charmeur, dont les flots exercent une séduction irrésistible sur tant de Bretons, et qui les ensevelit si souvent dans une de ses terribles colères !

Le Pardon des Islandais à Paimpol au début du XXe siècle. A l’arrière plan, les goélettes en instance de départ pour les bancs.

   Nous pourrions nous attarder à ce tableau. D’autres choses intéressantes nous attirent. Sans l’avoir cherché, je suis tombé sur un jour de grand marché et de Pardon. Aussi, ai-je vu la petite ville, aux rues étroites et boueuses, tout endimanchée et en guirlandée. Ensuite c’est la procession : enfants de choeur, jeunes marins, riches et lourdes bannières, le bateau cher à tous les Paimpolais, les prêtres, et enfin, porté sur les vigoureux épaules de robuste gars, « la Mère de Dieu« . Sur le grand portail de l’église, en belles lettres de verdure : « Vierge immaculée, en toi nous croyons ! » Tout cela serait divertissant si ce n’était idolâtre ; et on s’amuserait de l’accoutrement du bedeau, si on ne devait s’apitoyer sur le malheur d’un peuple dont le sentiment religieux est si vivace et si dévoyé…

    Car le pays paraît religieux jusqu’à l’excès : les clochers de vastes et nombreuses églises de granit, vieilles et neuves, se dressent fièrement vers le ciel, la silhouette des prêtres et des soeurs s’aperçoit à chaque pas, des chapelles et des calvaires sont dressés aux carrefours des chemins, des niches où figure la statuette de la Vierge décorent la façade de beaucoup de maisons ; les saints adorés et vénérés abondent. Hélas ! Il arrive que la Vierge tutélaire protège des demeures sordides, que des buveurs invétérés cuvent leur cidre ou leur eau de vie au pied d’un calvaire, et que tout cet apparat religieux ne recouvre que la plus crasseuse  ignorance et les pires dérèglements. C’est donc là ce que le catholicisme a fait à ce peuple ! Et un catholicisme qui a régné sans rival, sur un peuple extrêmement doué de sentiments religieux ! Toutes ces raisons le condamnerait sans miséricorde en voyant son fruit.

    Combien il serait plus bienfaisant d’écouter les récits de conversions et de relèvements que M. Terrell peut raconter, avec la sobriété inhérente à un Quaker ! Lorsqu’il s’est établi dans la région, il y a quatre ans, il n’y avait pas d’autres protestants que lui ; et l’on peut s’imaginer les obstacles qu’il a dû surmonter. Il avait, auparavant, été pendant quelques années missionnaire dans une province centrale de l’Inde, et a conservé un souvenir attendri des lépreux qu’il a soignés et évangélisés. Il n’hésite pas à dire aujourd’hui que les Bretons sont autrement difficiles à gagner à Jésus-Christ que les hindous, et que le paganisme breton ressemble comme un frère à celui des masses païennes de l’immense péninsule asiatique.

    Le travail de notre frère et de ses collaborateurs n’a pas été sans succès. Je m’abstiens à dessein de tout détail. Mais un groupe de chrétiens est là, à Paimpol et à Lézardrieux, montrant, selon le mot de Saint-Paul, que « la grâce de Dieu salutaire pour tous les hommes, a été manifestée… » Beaucoup de ceux qui composent ce groupe sont « des tisons arrachés du feu« . Ah ! Quelles luttes, quelles colères, leurs conversions n’ont-elles pas soulevées ! C’est le pain, le lait, le travail qui leur a été refusé ; la calomnie, la tentation qui s’est attachée à leurs pas… Pourtant ils sont là. J’ai vu des enfants, aux voix fraîches et au visages épanouis, enrôlés sous le drapeau de l’Espoir[2] ; j’ai serré la main de braves Paimpolaises qui portent sous leurs coiffes quelque idée nouvelle, et à des matelots qui ont reçu un nouveau coeur. et si je dis ces choses, ou plutôt les fais pressentir, c’est pour que ces frères et soeurs, battus par tant de vents contraires, sentent arriver jusqu’à eux, avec les vents de l’Est et du Sud, la fraternelle sympathie et les prières du peuple de Dieu.

    Théophile Roux

[1] Insigne de la Croix Bleue, société d’abstinence de l’alcool fondée en 1877 par la pasteur suisse Louis Rochat. Elle a servi ce modèle à la Croix d’Or. Le combat anti-alcoolique est devenu dès cette époque en Bretagne un des thèmes clés de l’apologétique protestante. Aujourd’hui, deux institutions d’initiative protestante poursuivent en Bretagne le travail de relation d’aide aux hommes et femmes éthyliques : les centres post-cure Croix bleue de Lorient et AMAFE de Guidel.

[2] L’Espoir : branche cadette de la Croix Bleue. Ces enfants et ces jeunes s’engageaient à ne pas consommer d’alcool.

Une réponse à Paimpol et ses premiers protestants

  1. Damioli dit :

    Mes arrières-grands parents, de Pleudaniel, ont subi cet ostracisme. J’en ai eu connaissance par ma grand-mère, leur fille, qui en était resté farouchement « huguenote » tant elle en avait souffert et nous racontait les humiliations quotidiennes… Ses parents ont dû « émigrer » au Havre , où le travail ne leur a pas été refusé, et où leurs enfants ont pu aller à l’école publique sans dommage.

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