Le duc de Mercoeur, gouverneur rebelle de Bretagne, pouvait-il gagner le conflit qui l’opposait à Henri IV ? L’historien Hervé le Goff, un des meilleurs spécialistes de la question, estime que la lutte était trop inégale entre le Béarnais et son adversaire, un « factieux d’occasion » qui « ne se révéla ni un stratège, ni une tête politique, et subit les événements plus qu’on ne l’a dit et se trouva vite dépassé par les implications internationales de sa rebellion 1».
Dès 1594, il apparut que la situation de Mercoeur était de plus en plus compromise. L’abjuration d’Henri IV, la réconciliation du roi de France avec le pape ôtaient aux derniers ligueurs toute justification à leur action. Par ailleurs leurs alliés espagnols étaient de plus en plus mal supportés par des populations qui subissaient leurs excès et leurs revendications croissantes. La Bretagne, épuisée par dix années de guerres et de pillages aspirait à la paix. Le duc, par ses manoeuvres, ses négociations et ses volte-face réussit à faire durer le conflit jusqu’en 1598.
Le roi chargea le huguenot Le Maistre de La Garelaye de le représenter dans ces tractations. Dès 1595, Guillaume Le Maistre avait reçu un sauf-conduit de Mercoeur pour des négociations qui eurent lieu au château de Fougeray.
D’année en année, la situation sur le terrain était de plus en plus défavorable à l’ancien gouverneur de Bretagne. Même si en 1595 encore, la mort du maréchal d’Aumont devant le château de Comper parut donner un dernier espoir au duc ligueur, ce n’était qu’un bref répit. Le château de Comper, près de la forêt de Paimpont était un domaine des Laval. Anne d’Alègre, en jouant la coquette près du maréchal et de Monsieur de Saint-Luc, le lieutenant général, avait obtenu que les forces royales placent sa reconquête comme objectif principal. C’est là que le vieux maréchal d’Aumont fut blessé mortellement d’un coup d’arquebuse. L’armée royale leva le siège. Ce que la force ne réussit pas, la ruse le réussit, puisque une opération de « commando » de 15 hommes, montée par deux huguenots de Blain, les frères de La Tousche de Malaguet et du Verger permit de s’emparer de la forteresse. Les deux frères et leurs hommes s’étaient déguisés en paysans et entrèrent par surprise. Petit à petit, villes et seigneuries faisaient leur soumission et le duc était de plus en plus isolé. Ce lent processus de décomposition du camp ligueur fut très défavorable à la Réforme, car au cours des négociations les anciens partisans de Mercoeur demandaient des garanties religieuses locales qui visaient en fait à éliminer tous les exercices du culte protestant.
Gouverneurs comme lieutenants généraux étaient d’autant plus prêts à les accepter que ces concessions ne coûtaient pas cher eu égard aux avantages militaires obtenus par les « réductions » progressives des anciens partisans de Mercoeur. On sait le piteux état des finances d’Henri IV à la fin du siècle. Les droits d’exercice de quelques religionnaires isolés ne pesaient pas lourd quand il s’agissait de négocier le ralliement d’un diocèse entier comme ceux de Cornouaille ou du Léon ! Les huguenots bretons, malgré leur engagement total aux côtés du roi, n’avaient plus un poids politique qui leur aurait permis d’imposer le refus de ces clauses et risquaient gros de se voir sacrifiés à leurs adversaires. Le temps des puissantes maisons de Rohan ou de Laval était bien loin. En fait il n’y avait pas d’alternative : tout dépendrait du bon vouloir de Henri IV d’accepter ou non dans un futur traité ces exclusions locales. Les protestants de la province trouvèrent certes un défenseur zélé dans la personne de Duplessis-Mornay, mais en fin de compte le roi était souverain.
Comme l’écrit fort bien R. Joxe, « obligés de se défier à la fois de leurs alliés Royaux et de leurs ennemis Ligueurs, les Protestants avaient du moins cette chance que leur maintien dans la province y concordât avec les exigences du rétablissement de l’autorité monarchique 2».
L’acte ultime se joua au printemps 1598. l’armée royale s’ébranla et descendit la Loire en direction de Nantes. Désormais il n’était plus question pour Mercoeur de retarder l’échéance : abandonné du roi d’Espagne et du pape lui-même, l’ancien gouverneur saisit comme une chance les conditions somme toute très favorables que le Béarnais lui offrait : il remettait la province contre le pardon royal et une solide compensation financière. De plus sa fille unique de 4 ans, la jeune Françoise de Lorraine, épouserait César de Vendôme, le plus illustre des bâtards du Béarnais, né depuis deux ans de Gabrielle d’Estrées et déjà retenu comme futur gouverneur de Bretagne !
La longue guerre qui avait tant affaibli la province, coûté tant de morts et d’incendies, se terminait par une comédie matrimoniale. Les huguenots avaient tremblé jusqu’au bout : les dernières propositions de Mercoeur ne visaient-elles pas à ce que dans l’évêché de Nantes aussi « il n’y soit souffert aucun exercice de la religion prétendue réformée, soit en public ou en privé, par quelque personne que ce soit ?3 »
La victoire du roi Henri IV a pour conséquence une application résolue de la contre-Réforme catholique en Bretagne, qui accentue ses caractéristiques les plus éloignées du protestantisme, le recours aux intermédiaires religieux, le poids des saints locaux et le rôle de la hiérarchie religieuse.
L’historiographie contemporaine estime que l’Édit de Nantes, qui met fin au conflit, est une édit de tolérance très imparfait, mais aussi qu’il marque une étape décisive dans le processus de marche vers l’absolutisme royal. La noblesse bretonne qui soutenait le gouverneur a perdu son dernier combat contre la monarchie absolue. Mais la noblesse huguenote qui a combattu pour le roi de France a également perdu, en cette occasion, l’essentiel de son pouvoir.
Cet effacement de la noblesse calviniste locale se manifeste de bien des façons. Les places fortes des Réformés bretons sont en ruine, à l’exception de Tonquédec et Vitré. Les officiers du roi n’auront guère de mal à achever leur démantèlement. Et s’il est vrai, comme disait un contemporain, qu’il n’est de richesses que d’hommes, que de vides dans les rangs réformés ! Que de filles de l’aristocratie calviniste privées de possibilité de mariage et donc de descendance…
Une génération sacrifiée
Les chefs de l’armée royale dans la province, le prince de Dombes puis le maréchal d’Aumont, s’étaient appuyés sur les capitaines huguenots locaux qui avaient d’autant plus de coeur à combattre qu’ils voulaient délivrer leurs biens et parfois leur famille. Ils payèrent leur engagement d’un lourd tribut sur les champs de bataille.
Vieux comme jeunes se trouvèrent happés par la mort, depuis César du Lac, les jambes emportées par un boulet lors du siège de Vitré, Adrien du Boispéan, décédé en 1588 aux combats de Saint-Florent4, Pierre de La Courbejollière, tué en 1597 au siège de la Flocellière, La Noue expirant à Moncontour et jusqu’aux plus jeunes, comme David de La Muce. Notons que Charles et René, les deux frères aînés de David de La Muce, étaient morts au service du parti réformé, le premier en 1577 à Brouage, le second en 1590 à Vendôme. Leur père décéda le 3 mars 1591 à Vitré, où il était gouverneur en l’absence de Jean du Matz de Montmartin, son neveu. En 1594, alors que se déroulait la bataille décisive de Crozon qui chassait les Espagnols de la pointe de Bretagne, l’héritier des la Muce-Ponthus mourait de dysenterie au camp. Nous avons vu aussi que Louis de La Chapelle expira en tentant de reprendre sa forteresse de Fougeray. Si l’on y ajoute encore Yves du Liscouet, occis à Crozon, le bilan des guerres de la Ligue en Bretagne était particulièrement lourd pour les religionnaires ! On pourrait multiplier les exemples.
Une nouvelle ère s’ouvrait, où les Calvinistes ne dépendraient que de la bonne volonté du souverain.
1 Hervé Le Goff, La Ligue en Bretagne. Guerre civile et conflit international (1588-1598), Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 145.
2 Crevain, histoire ecclésiastique, p. 295, et de Bellevue, Aperçu historique sur le Protestantisme et les guerres de la Ligue], p. 145.
2 R. Joxe, Les Protestants du Comté de Nantes, p. 220.
3 Archives municipales de Nantes, registre.
4 D’après les archives familiales, transcrites par J. L. Tulot : « Généalogie abrégée de la famille du Boispéan (XVIe-XVIIe siècles) », Cahiers du Centre de généalogie protestante, S.H.P.F., 1990, N° 31, p. 133-139.