Évangéliser en milieu urbain…
Tout porte à croire que Jacques Berthe fut bien accueilli à Brest. Son épouse retrouvait l’Église de sa jeunesse où elle avait acquis une solide réputation de charité et de piété sous le nom de « Tante Rose ».
L’axe d’action majeur du pasteur était clairement l’évangélisation de la ville. L’époque s’y prêtait en ces premières années de la Troisième République. Le gouvernement et l’administration ne cachaient pas leur sympathie pour le protestantisme. C’était l’heure où les pasteurs de tendance évangélique comme Jacques Berthe envisageaient un réel bon en avant de leurs Églises.
Le pasteur devint un collaborateur de la Mission Mc-All, dite aussi Mission Populaire Évangélique, qui ouvrait alors des salles d’évangélisation dans les grandes villes
Faute de pourvoir consulter les documents internes à l’Église réformée locale, qui ont disparu dans les bombardements et les incendies ultérieurs de 1944, nous disposons des rapports de cette société :
« Nous avons été heureux de pouvoir aider le pasteur Berthe à fonder une station évangélique à Recouvrance, en nous chargeant des dépenses du loyer et de l’installation », relate celui de l’année 1883 « Malgré un temps à ne pas mettre un chien dehors, notre première réunion à Recouvrance […] le 23 novembre 1882, a réussi au delà de toute attente. 150 personnes environ se pressaient dans les deux chambres, le corridor et l’escalier ; l’attention, le respect et la sympathie sont allés en augmentant jusqu’à la fin ; et les traités distribués ont été insuffisants. Nous voilà donc établis au coeur de la population catholique des ouvriers du port (7 à 8000), la plus indépendante qui existe en Bretagne. Les deux salles ont été tellement remplies qu’il a fallu refuser l’entrée à des auditeurs1 ».
Le pasteur visait là un public de marins et d’ouvriers de l’Arsenal. Le succès fut au rendez-vous, du moins dans un premier temps.
Recouvrance n’était pas le seul objectif du pasteur. Un autre quartier se développait très vite sur la commune de Lambézellec, dans la paroisse Saint-Martin. Le pasteur y patronna une tentative d’évangélisation au lieu-dit Messidou. C’était en fait, à l’origine, une initiative d’un laïc baptiste, dont nous parlons ailleurs sur ce site, le peintre Louis Caradec. La Mission Populaire accepta également, dans un premier temps, de financer l’entreprise. « M. Berthe a une autre station, à Messidou, un faubourg de Brest extra-muros », reprend le même rapport pour l’année 1883 : « Il est très encouragé, ainsi que M. Cavrais, son agent missionnaire […] Depuis le 15 octobre, 1000 personnes ont assisté aux réunions, et plus de 1000 traités ont été distribués 2».
Le problème récurrent de l’évangélisation populaire, à cette époque, est l’extrême volatilité des auditoires après les succès initiaux. C’était particulièrement le cas à Recouvrance où le poids du clergé catholique était le plus fort.
Fort opportunément, l’intérêt du public brestois fut relancé par les escales des navires d’évangélisation britanniques de la Mission des Marins de Gosport, qui venaient d’être armés par l’évangéliste méthodiste Henry Cook. L’Annie puis le Mystery relâchèrent le long des quais de Brest pratiquement tous les étés autour des années 1885-1890. Leurs tournées des ports de la Manche étaient co-organisées par la Société Centrale Protestante d’Évangélisation et par la Mission Populaire Évangélique. Voici ce qu’en dit cette dernière dans son rapport pour l’année 1888 :
« Je suis parti pour Brest, nous écrit notre délégué, M Vignal, le 22 juin dernier, et, en arrivant, j’ai reçu l’accueil le plus chaleureux de M le pasteur Berthe.
Le 24 nous montâmes à bord de l’Annie et nous débutâmes par une réunion de 140 personnes, sans compter celles qui se tenaient sur le quai. Malgré le présence de cette foule, la réunion a été on ne peut plus tranquille. M. Berthe et moi étions étonnés et réjouis. A partir de cette date, nos réunions se continuèrent chaque jour avec des auditoires variant de 25 à 100 personnes. J’ai tenu aussi cinq réunions d’enfants qui ont compta en moyenne de 40 à 50 présents.
Quelques résultats appréciables ; les réunions, à mesure qu’elles se succédaient, devenaient de plus en plus sérieuses ; il s’était formé un groupe de personnes assez nombreuses, et très bien disposées. Quelques-unes ont, de suite, pris le chemin du temple où je les voyais avec plaisir le dimanche. Parmi elles se trouvait un jeune matelot qui était d’abord très abattu moralement et tout à fait découragé. Après avoir assisté à quelques réunions et à quelques entretiens religieux avec nous, il s’est trouvé relevé. « Oh ! me disait-il un jour, quel bonheur que le bateau missionnaire soit venu à Brest et que nous y soyons venus aussi ! » Ce brave garçon s’est mis à fréquenter le temple, et y a conduit un ami à lui »
Le pasteur Berthe écrivait en conclusion :
« L’Église de Brest gagne sur toute la ligne ; et, parmi les causes multiples qui y ont contribué, votre mission tient une grande place. Le nombre des auditeurs, à Recouvrance, après avoir baissé se relève, et aujourd’hui, il en est chaque semaine de 40 à 50 et quelquefois d’avantage3.»
L’intensité et la persévérance de l’évangélisation protestante ne pouvait que produire du fruit à terme. Le 17 avril 1885, le journal méthodiste L’Évangéliste notait parmi ses informations diverses : « M. le pasteur Berthe, de Brest, a reçu à la Sainte-Cène, le jour de Pâques, une trentaine de catholiques convertis4 ».
(à suivre)
1Mission Populaire Évangélique, Rapport de 1883, p. 28.
2Idem, p. 28.
3Mission Populaire Évangélique, Rapport de 1886, p. 40.
4L’Évangéliste, 1885, p. 130.