Les Justes de Trémel -6

Marie-Yvonne Droniou Le Quéré (1872-1947), Juste parmi les Nations.

     Le Mémorial du Yad Vashem, à Jérusalem, a officiellement conféré, le 30 août 2016, le titre de « Justes parmi les nations » à Guillaume Louis et Marie Yvonne Le Quéré, de Trémel, « pour avoir aidé à leurs risques et périls, des Juifs pourchassés pendant l’Occupation ».

    Nous avons déjà relaté sur ce site les circonstances de ce fait de résistance et d’humanité qui a eu pour cadre la mission baptiste de Trémel (Côtes-d’Armor). La décision du Yad Vashem était attendue. Le comité de Jérusalem a dû, comme le plus souvent, faire des choix pour décerner la médaille des Justes. L’accueil et le sauvetage des Juifs ont été généralement des décisions collectives qui ont mobilisé des réseaux familiaux et associatifs bien plus larges que les seuls récipiendaires de l’honneur final.

    Le mémorial du Yad Vashem a voulu distinguer particulièrement deux personnes : celle de l’évangéliste Guillaume Le Quéré, figure bien connue du protestantisme en Basse Bretagne sous le surnom de « Tonton Tom », mais aussi son épouse, née Marie Yvonne Droniou.

le Quéré Trémel

La famille Le Quéré à Trémel aux environs de la dernière guerre. Assis au premier plan, Guillaume et Marie Yvonne (à droite).

    Marie Droniou, comme on continuait à l’appeler après son mariage, selon l’usage breton, a été toute sa vie la « compagne dans l’ombre » de son mari. Cette discrétion venait d’elle. Sur la plus connue des cartes postales de la voiture biblique de la mission baptiste, elle n’apparaît que dans l’embrasure de la porte… La décision du comité du Yad Vashem la tire fort justement de cet effacement.

    Nous n’aborderons pas ici le récit de la carrière de « Tonton Tom ». Ce sera pour une autre fois. Profitons simplement de l’opportunité pour présenter quelque peu celle qui sera associée à son mari sur le Mémorial des Justes.

    Elle était née le 25 avril 1872 à Plounévez-Moëdec (Côtes-d’Armor) dans le foyer d’un agriculteur exploitant la petite ferme de Kerabevan, non loin de la chapelle Saint-Tugdual. La famille s’agrandit et la terre ne peut la nourrir. Comme beaucoup d’ouvriers agricoles des Côtes-d’Armor, Jean-François Droniou s’expatrie au Havre ou grandit une importante colonie bretonne. Sa famille le suit : son épouse, Marie Perrine Morvan, sa fille, ses garçons… Ils s’entassent dans des logements insalubres du quartier Saint-François, mais ils ont au moins du travail.

    Les années passent. Jean-François décède en 1887, mais les enfants peuvent nourrir la famille. Jean-Marie Droniou, un des aînés, tourne mal. L’alcool fait des ravages au Havre. Jean-Marie devient bientôt, quoique encore jeune, une de ses victimes les plus voyantes.

    Marie Yvonne Droniou est devenue couturière. Très sage, elle vit avec sa mère, rue du Grand croissant (rue de Bretagne), tout près de la Manufacture des Tabacs du Havre.

    Ce qui va changer la vie de la famille, c’est la conversion éclatante de Jean-Marie Droniou, ce frère aîné.

    Le pasteur Guillaume Le Coat, directeur de la Mission baptiste de Trémel, avait confié en 1887 à son beau-frère devenu veuf, l’évangéliste François Le Quéré, la mission de commencer une œuvre annexe au Havre. Les évangéliques de la ville l’accueillent chaleureusement. Un financement est trouvé et la Mission aux Bretons connaît immédiatement un franc succès. Des centaines de personnes se pressent pour écouter le prédicateur dans la langue du pays. Parmi eux, Jean Droniou.

    C’est un ami de Plounérin qui l’invita. Pour le reste, laissons la plume au pasteur E. W. Bullinger dans son Histoire de la Mission Bretonne : « Le grand alcoolique lui répondit : « Allons-y, on va bien rire ! ». Mais le plaisir ne fut pas tout à fait ce qu’il espérait, parce que la Parole [de Dieu] le saisit et ne le quitta plus. Cet ivrogne est aujourd’hui un de nos meilleurs évangélistes et il est à la tête de notre œuvre importante à Brest« 1.

    Si la conversion et la délivrance de Jean Droniou prirent quelques mois, la transformation se montra définitive. Le jeune breton fut successivement colporteur, auteur de Gwerziou à ses heures, responsable d’un restaurant de tempérance, et finalement évangéliste et pasteur. Il clôtura sa carrière comme responsable de la communauté protestante de Douarnenez.

    La conversion retentissante de Jean Droniou ne pouvait laisser sa famille indifférente. Continuons encore avec E. W. Bullinger qui écrivait en 1910 : « Une jeune fille et sa mère allèrent à son invitation écouter Le Quéré et toutes les deux furent bénies ».

    On l’aura deviné, notre récit se clôt par un mariage. L’évangéliste François le Quéré, qui avait laissé provisoirement ses enfants à la garde de leur oncle, le pasteur Le Coat, leur proposa plus tard de venir quelque temps près de lui. L’aîné, Guillaume, le futur « Tonton Tom », tomba sous le charme de la jeune couturière devenue une protestante fervente.

    C’est ainsi que Guillaume Louis Le Quéré, une fois son service militaire accompli, épousa Marie Yvonne Droniou au Havre le 25 septembre 1897.

Jean-Yves Carluer

1 E.W. Bullinger, The Story of the Breton Mission, 1910, p. 44.