« Après la tempête du siège de Vitré et l’Édit de Nantes de 1598, il fallut se résigner à vivre ensemble ». Ainsi peut-on résumer le nouveau contexte qui s’ouvre au début du XVIIe siècle dans la ville qui est, pour quelques mois encore, un fief des Laval. Vitré avait été, pendant les guerres de la Ligue, un cas tout à fait particulier en Bretagne, car les Huguenots y étaient en force, imposant leur volonté à leurs voisins et cousins catholiques.
Tout change, par la volonté du roi, au lendemain de l’Édit. Les calvinistes de la ville doivent rendre à la religion romaine, les lieux de culte qu’ils s’étaient un temps appropriés. Sous la surveillance des commissaires de l’Édit, ils doivent donc rétrocéder les lieux de culte dont ils s’étaient emparés, tandis que le clergé « rebénit » les cimetières municipaux où se trouvaient les dépouilles des huguenots qui en sont désormais exclus. Ce sera d’ailleurs une des premières mesures prises en l’an 1600 par la municipalité de la ville : acheter pour 400 Livres un terrain qui servira désormais de lieu d’inhumation pour « ceux de la Religion ». C’est à la fois une mesure de séparation, une forme de décohabitation confessionnelle, et une conséquence logique de la fragile paix religieuse qui s’instaure en France pour trois quarts de siècle.
La ville se vide également d’une grande partie des Réformés qui s’y étaient réfugiés pendant les troubles, quand la cité des Laval était devenue une autre La Rochelle pour les Bretons et les bas-Normands. Arthur de la Borderie pouvait écrire : « Une fois les guerres de religion finies, la majeure partie de cette population calviniste étrangère à la ville, qui n’y était venue que pour y chercher refuge, se retira1 ».
L’affiliation religieuse indécise des barons de Vitré n’était pas spécialement rassurante non plus. La bourgeoisie protestante commence à nourrir un flux migratoire séculaire des élites huguenotes vers les communautés rurales de la province où leurs qualifications administratives et commerciales étaient demandées. Peut-être à dessein, les forces vives de la réaction catholique commencent à réinvestir la ville, surtout après que le jeune baron François de Coligny a manifesté sa conversion à la foi romaine.
Un petit mouvement venu du Maine et de Normandie ne suffit pas à compenser les pertes, même si les Réformés de la ville furent néanmoins renforcés par quelques familles éminentes, comme les Collot d’Escury2. Au total, avec un total de 547 naissances pour la première décennie du XVIIe siècle, la population réformée est en net retrait par rapport à 1591-1600.
Tout au long du siècle, l’emprise du catholicisme tridentin se renforce dans la région, comme nous l’avions déjà remarqué à Rennes ou Nantes. Aux ordres les plus anciens, comme les Augustins de Sainte-Croix, se sont ajoutés les dominicains en 1620. Selon l’ historique de cet établissement établi dans une ville « mi-partie en religion », les pionniers gardent longtemps le secret de leur projet, car « les catholiques et les huguenots estant tous parents [entre eux] l’affaire eût esté découverte et, par l’entremise des huguenots, l’on ses feut opposé à notre installation 3». Du coup, également, l’établissement se montre très discret et vit de peu au départ. Les Dominicains en sont réduits à subsister grâce à la mendicité, retrouvant les gestes d’origine de leur ordre. Mais leur essor ne tarde pas trop : Un des moines meurt en odeur de sainteté en 1629. Dès lors, les donations affluent. Parallèlement, les Dominicains développent dans le Vitréais des Confréries du Rosaire qui tissent un tissu serré dans les campagnes environnantes.
En 1625, c’est l’heure des femmes. Les Bénédictines s’installent à Vitré. Elles seront suivies en 1655 par les religieuses Hospitalières de la Miséricorde.
La situation des Réformés devint donc un peu plus inconfortable. Le vieux pasteur Merlin, devenu aveugle, était revenu de Guernesey après l’Édit. Il rendit l’âme le 27 juillet 1603. Son inhumation fut suivie de loin par nombre de catholiques curieux : C’était une figure du passé de la ville qui s’en allait. Mais l’intérêt manifesté en cette occasion était un signe que tout contact n’était pas rompu entre les deux religions. Le Réformés n’avaient plus de temple, mais pouvaient disposer de la halle de la ville pour les prêches du pasteur Jean Parent, sieur de Préau. Plus inquiétante était la multiplication de diverses chicanes à propos des processions catholiques ou des inhumations réformées.
(A suivre)
1Arthur Lemoyne de la Borderie, Le Calvinisme à Vitré, Catel, 1851, p. 59.
2 . Th.de La Fournière : Une communauté protestante en Bretagne : Vitré 1560-1685, Université de Rennes II, Mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de MM. Nières et Lebrun, 1982.
3Archives départementales d’ Ille-et-Vilaine, 1 F 925.