Histoire des protestants nantais -3

L’histoire de l’Église réformée de Nantes, par Benjamin Vaurigaud (suite)

     Nous poursuivons la transcription de l’ouvrage du pasteur nantais, cette fois, les pages 149 à 153. La période est complexe aussi bien sur le plan de la politique intérieure du Royaume de France que sur le plan religieux. Retenons que les protestants nantais échappent cette fois définitivement aux guerres qui ensanglantent le Poitou. Ils bénéficient d’une tolérance restreinte, et qui sera, hélas, révocable, mais dont ils essaient de profiter au maximum.

Se résigner à une liberté réduite (1622-1629), tout en édifiant un temple…

     La paix de Montpellier (19 octobre 1622) donna lieu à un édit, en forme de pardon, qui confirmait les édits antérieurs et ceux des articles secrets qui avaient été enregistrés par les Parlements. Toutes les assemblées politiques furent interdites ; les assemblées ecclésiastiques, au contraire, furent permises, mais à la condition qu’on ne s’y occuperait que de questions ecclésiastiques. Peu de mois après (17 avril 1623), une déclaration du roi, rendue à Fontainebleau, décida qu’à l’avenir il y aurait dans les colloques et dans les synodes, un officier du roi professant la religion, pour voir s’il n’y serait traité que des affaires permises par les Édits. C’est ainsi qu’au lendemain des concessions faites par les édits, les interprétations, restrictions commençaient.

Ponthus Petit-Mars.

Le château actuel du Ponthus en Petit-Mars (Loire-Atlantique). Le bâtiment actuel date du XVIIIe siècle. Il a pris la place de l’édifice construit au XVIIe siècle à la place du château démoli en 1622. Au fond, l’Erdre.

    Le nouvel édit portait que nulle recherche ne devait être exercée contre ceux qui auraient assisté aux Assemblées générales ou provinciales, cercles ou abrégés, etc. Ainsi la Muce devenait innocent, mais son château était rasé: et ses bois de haute futaie coupés à hauteur d’homme. Cette perte n’ébranla point la fidélité de ce courageux confesseur de Jésus-Christ. L’édit portait encore que tout prisonnier de guerre devenait libre sans rançon. Ainsi furent délivrés des galères, quelques mois plus tard, les survivants de la défaite de Soubise, que nous avons vus détenus sur les galères royales devant Couëron.

    Les Réformés de Nantes voulurent profiter de la paix. Depuis vingt-cinq ans, nous l’avons vu, ils se réunissaient dans une grange à Sucé ; ils voulurent se construire un temple. Peut-être faut-il voir dans cette entreprise l’influence d’un nouveau pasteur. En effet, Oyseau, sieur de Trévecar, qui, avec de courtes interruptions, avait exercé son ministère dans cette Église pendant près de quarante-trois ans (1563-1606) s’en était retiré sans y avoir été autorisé par aucun synode.

    Le synode de La Rochelle (4 mars au 12 avril), tout en blâmant sa manière d’agir, lui avait permis de demeurer en Poitou où il était revenu, cette province, en retour, devait assister l’Église de Nantes pendant un an. Il est probable que, pendant ce temps, l’Église de Nantes fut irrégulièrement desservie. Oyseau ne vint pas à Nantes, mais exerça encore un ministère actif jusqu’en 1623, [date à laquelle] le Synode de Charenton (1er sept, au 4 oct.) lui permit de se retirer dans sa province, l’ayant déchargé de ses fonctions. En 1609, le Synode de Saint-Maixent lui avait assigné l’Église de Gien. En 1610, il présida le synode provincial de Sancerre. Il mourut le 25 février 1625, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

     Dans l’intervalle du départ de François Oyseau (1606) jusqu’au moment où l’on songea à construire un temple à Sucé (1626), quelle fut la situation de l’Église de Nantes ? Par quel pasteur Oyseau fut-il remplacé ? Nous n’avons pas de certitude à cet égard. Le synode d’Alais (novembre à décembre 1620), mentionne De La Cloche en cette qualité dans la liste générale des pasteurs qu’il dressa. Cette Assemblée eut à connaître en appel d’une réclamation du pasteur de La Cloche contre un décret du Synode provincial de Bretagne, qui n’avait pas admis la dette que, d’après son dire, l’Église de Nantes avait contractée envers lui. Il semble résulter de là que dès l’année 1649, tout au moins, La Cloche était à Nantes. Il est très probable que ce fut lui qui succéda le premier au pasteur Oyseau. Il n’y était plus en 1626, d’après la liste générale dressée par le Synode national de Castres qui mentionne à cette date Josué de la Place comme pasteur de Nantes depuis un an au moins.

     C’est donc ce dernier qui desservait cette Église quand on songea à construire un temple à Sucé au lieu de la grange dont on s’était servi jusqu’alors. Un procès-verbal de l’alloué de Nantes, qui était descendu à Sucé, le 3 août 1636, pour l’acquisition du fond sur lequel le temple devait être bâti et pour l’estimation des droits d’indemnité au seigneur de Procé, nous fournit sur cette affaire quelques renseignements précis. Ce procès-verbal rapporte positivement que les curé, prêtres et habitants s’opposèrent d’abord au cordage (mesurage), demandant qu’il fut fait à l’autre bout de la tenue, afin d’avoir l’espace qu’ils souhaitaient entre le temple projeté et la chapelle, moyennant quoi ils consentirent que l’établissement eut lieu. Ceux de la Religion [réformée] s’y opposèrent d’abord, disant qu’ils étaient eu possession actuelle de ce lieu depuis 25 ans sans aucun trouble ni empêchement de leur exercice qu’ils avaient toujours fait dans une grange, et qu’ainsi ils étaient en droit irrévocable du lieu adjugé par les commissaires en 1601. Néanmoins, ils y consentirent sur ce que cela ne leur portait préjudice, parce que le cordage se faisait toujours dans la tenue de Julien Bernard, et que par là ils levaient la difficulté faite par le curé et les habitants de Sucé.

     Josué de la Place était pasteur à Nantes depuis un an quand cette grande entreprise fut conçue et réalisée. Il était alors très jeune et déjà distingué. Car, à peine avait-il achevé, à Saumur, ses études de théologie qu’il fut nommé professeur de philosophie dans cette académie. II avait épousé Marie de Brissac, sœur du pasteur Jacques de Brissac. Lorsqu’en 1623 il reçut vocation de l’Église de Nantes, ce fut Jacques de Brissac qui occupa sa chaire à Saumur. Josué de la Place ne resta pas longtemps à Nantes. En 1633, le Synode de Charenton (1er sept, au 1er oct.), cédant aux instances de l’académie de Saumur, décida qu’il reviendrait dans cette ville en qualité de professeur de théologie, et qu’on chercherait pour Nantes un autre pasteur par qui elle pourrait être édifiée, comme elle l’avait été par lui. Il se rendit à son nouveau poste dans tes premiers mois de l’année suivante et il prit possession de sa chaire le 16 juin.

     C’est donc bien dans le cours de son ministère que le temple de Sucé fut construit. Cette substitution d’un temple plus décent et plus convenable à la grange dans laquelle on se réunissait fut, en somme, toute autre chose qu’un triomphe. On renonçait ainsi à l’espoir d’avoir un lieu de culte dans la ville et dans les faubourgs. Un changement s’opérait dans les esprits; on préférait à tout la liberté de se réunir en paix pour prier selon sa conscience, et cela accordé, on semblait disposé à s’en contenter.

     Les Églises, au nord de la Loire, n’avaient pris que bien peu de part an mouvement de Soubise. Elles n’en prirent pas davantage à la guerre de La Rochelle. Elles s’en tenaient à l’Édit qui, à Nantes, notamment, ne leur donnait qu’une mince satisfaction puisqu’il leur fallait faire trois lieues pour pouvoir assister au culte. Cette tendance s’accentuera toujours plus désormais ; on consentira à bien des fatigues, et même à une véritable inégalité religieuse, pourvu qu’on puisse jouir en paix du droit de réunion et de culte, dans les limites des édits. Aussi, quand après un siège prolongé, héroïquement soutenu, le dernier boulevard1 des Réformés, La Rochelle, fut obligée de se rendre à discrétion, la douleur en fut-elle adoucie en quelque mesure, parce que l’on conservait en religion ce que l’on perdait sous le rapport politique. On cessait d’être une sorte de corporation à part au sein de la nation ; on se rapprochait, on tendait sinon à se confondre, du moins à s’unir avec elle.

Jean-Yves Carluer

1Rempart