Les actes du synode de Ploërmel (20-24 février 1565) – 2
Nous abordons ici le début de la transcription des actes du synode réformé de Ploërmel. Nous avons conservé la graphie des notaires royaux qui ont déchiffré le manuscrit original au XVIIe siècle, ainsi que leurs annotations qui apparaissent entre crochets.
Rappelons que la langue du XVIe n’a pas encore l’orthographe contemporaine et qu’il faut parfois la lire de façon phonétique. Au prix d’un léger effort de concentration, ce texte nous replonge au cœur des interrogations quotidiennes des premiers huguenots.
Contrairement aux actes du synode de la Roche-Bernard, ceux de Ploërmel ne sont pas présentés dans l’ordre chronologique des sessions, mais selon une logique thématique. Le début du texte est consacré à quatre courts « articles » qui traitent de problèmes généraux communs aux Églises. Nous les présentons ici en commentant successivement chaque alinéa. La suite des actes du synode discute de cas individuels tout aussi intéressants car révélateurs des problèmes concrets des protestants bretons. Nous les publierons bientôt.
Articles
« Sur ce qu’il a esté proposé comme on se doibt porter envers ceux qui tendent ou font tendre devant leurs maison au jour que les papistent appellent le sacre : a esté advisé qu’ils sont participans de idollastrie et pour tant ne doibvent estre admis à la Cène sans faire recognoissance publique de telle faute au paravant« .
La procession catholique du Saint-Sacrement, dite aussi Fête-Dieu, 60 jours après Pâques, était un thème d’affrontement récurrent entre « papistes » et huguenots. Cette célébration, née au Moyen Âge, voulait affirmer et célébrer sur la voie publique la doctrine de transsubstantiation dans l’Eucharistie. C’était le cœur même de ce qui opposait les catholiques et les protestants ! La doctrine de la transsubstantiation sert en effet à légitimer la messe et la médiation du prêtre. Pour Calvin, c’était une pure idolâtrie.
Lors de la Fête-Dieu, ici « le sacre », l’ostensoir était porté solennellement sous un dais à travers les rues des bourgs et des cités. Les catholiques se devaient de tendre des draps blancs sur la façade de leurs maisons. Cette coutume a perduré dans les régions les plus catholiques de France jusque vers 1950.
La « tenture » lors de la fête du Saint-Sacrement a été une continuelle source de heurts entre catholiques et huguenots. Le clergé catholique entendait imposer à tous, au besoin par la force, la « tenture ». La tache de couleur représentée par une maison « hérétique » sans draps blancs traduisait pour les catholiques un grave échec de l’unanimité et de la contrainte religieuse locale qui ne pouvait amener que la malédiction sur la collectivité. Inversement, pour la discipline réformée du XVIe siècle, se soumettre à cette contrainte, c’était pactiser avec un acte idolâtre. La sanction en était l’excommunication, qui pouvait cependant être levée après un acte public de repentance au sein de l’assemblée calviniste.
La radicalisation de ces deux positions a alimenté des siècles de conflits religieux, nationaux et locaux. La position exprimée par le synode de Ploërmel, parfaitement conforme à la confession de foi réformée, mettait dans l’embarras les protestants de Bretagne comme tous ceux qui résidaient dans des provinces où ils étaient nettement minoritaires. Ils étaient pris au piège de mesures qui allaient contribuer à matérialiser des espaces confessionnels distincts.
« Sur la proposition faicte si on doibt reffuser le baptesme aux enfants des mariés tous deux excommuniés pour un mesme faict ou pour divers, a esté advisé que non, attendu que l’excommunication présuppose que les parents ont esté de la communion et pour tant que la promesse qu’ils avoient recette s’estend aussi à leurs enfants« .
Là encore, la position du synode de Ploërmel était parfaitement conforme à la doctrine calviniste du baptême des enfants, un des deux sacrements reconnus par Genève. Mais la question posée ici était redoutable : comment légitimer l’administration du baptême à un enfant dont les parents sont excommuniés mais apparemment demandeurs de cet acte pour leur descendant ?
« Le fidelle ne peult prandre dispense du pape ny des siens en quelque cas que ce soit«
Là encore, les huguenots étaient écartelés entre des impératifs contradictoires. On comprend très bien la position de principe qui interdisait au huguenot d’avoir recours aux tribunaux ecclésiastiques catholiques. Mais, au XVIe siècle dans une province comme la Bretagne, toute la vie sociale exigeait à comparaître à un moment ou à un autre devant une juridiction ecclésiastique catholique, que ce soit pour des actes commerciaux ou civils. La souplesse nécessaire à l’observation des règles très strictes édictées par l’Église catholique ne pouvait venir que de dispenses accordées par le clergé. Prenons un exemple dans le domaine de l’État civil : lorsque la très huguenote Claude du Chastel voulut épouser son cousin Charles Gouyon de La Moussaye en 1572, elle se trouva frappée par l’article 14 de l’édit de Saint-Germain qui appliquait aux protestants l’interdit catholique des mariages entre collatéraux jusqu’au 6e degré. Seuls les « papistes » pouvait recevoir la dispense traditionnelle. Voilà pourquoi, elle se résolut, la mort dans l’âme, « à épouser à la messe » !
« Sur ce qu’il a esté proposé comme on se doibt porter envers ceux qui vont aux devins, consentent ou aident à ceux qui y envoyent, a esté respondu que tels seront tenus de faire réparation publicque si la faute est publicque, ce que sera jugé par le consistoire selon les circonstances du faict« .
La décision du synode réaffirme l’hostilité générale du christianisme aux diverses formes de l’occultisme. Sans doute faut-il noter que la dénonciation protestante est particulièrement marquée, à une époque où, d’un autre côté, Nostradamus avait porte ouverte à la cour de France !
(A suivre)