1560-1563 : une Église en expansion ?
L’incontournable pasteur Lenoir, sieur de Crevain, avait parfaitement posé, à propos de Guérande, le problème de la permanence d’une communauté réformée bretonne implantée dans une cité qui dépendait du roi. L’observation était encore plus vraie à Rennes qui était, de plus, résidence épiscopale : « Les Églises des villes royales étaient plus sujettes aux insultes des peuples et à la dissipation, et, par conséquent, à la pauvreté« . L’historien voulait montrer par là que les émeutes populaires, comme celles qui s’étaient déchaînées lors de l’été 1560, pouvaient se reproduire à l’infini et définitivement y affaiblir la dynamique de Réformation.
Nous ne savons que peu de choses sur la composition de l’Église protestante de Rennes entre 1560 et 1563, ainsi que les aléas de son quotidien. Mais les quelques documents dont nous disposons ouvrent des pistes.
La composante la plus populaire de la communauté semble avoir été la plus fragile. Du moins, elle n’apparaît plus dans les documents, ce qui n’est pas la même chose. Mais on peut avancer l’hypothèse qu’un certain nombre de huguenots rennais de condition modeste ont préféré se mettre à l’abri dans des villes présumées plus sûres comme Vitré. D’autres, nous le savons, ont été demandés comme agents (« officiers ») ou serviteurs par les seigneurs calvinistes bretons, qui, nous le savons, étaient déjà en nombre et manquaient de coreligionnaires pour la gestion de leur « maison ». Ce phénomène a concerné aussi des bourgeois, gens de justice et « robins », qui se sont recyclés dans l’administration des seigneuries huguenotes de la région.
Ce transfert était d’autant plus aisé que la communauté protestante rennaise était mixte, comme nous l’avons déjà vu. Elle associait un « quartier de la ville », composé de bourgeois, de petits nobles « de robe » ou d’artisans, et un « quartier de la campagne », en fait celui des châteaux. Tous se rejoignaient à l’occasion des prêches importants et surtout des services de Cène qui avaient lieu deux ou trois fois par an. Mais déjà une partie de ce « quartier » s’était organisée en assemblée autonome près du château du Bordage en Ercé-près-Liffré. Elle avait élu un ancien, Jacques de Roullée.
Les « robes rouges » des magistrats du Parlement
Au cours des années 1560 l’Église réformée de Rennes est encore en expansion, du fait de la conversion de membres éminents du Parlement de Bretagne. C’est justement l’époque ou cette chambre de justice prestigieuse et « souveraine » se fixait définitivement à Rennes. Nous savons, par Crevain (toujours lui !) que « même au [XVIIe] siècle, après l’Édit de Nantes, on a vu dans l’église de Rennes douze robes rouges, de compte fait, marcher à la tête du peuple pour faire la Cène »[1]. Nous connaissons le nom de quelques-uns de ces huguenots conseillers au Parlement. Ils s’appellaient Chamballan, Le Maitre de la Garlais, Fumée, Brie, Chateautro, Croc, Grasmenil, Du Han, Hay, Loisel, Le Limonnier, Melot, ou encore Pinart.
Leur origine géographique est très variable. Plusieurs possédaient des seigneuries dans les pays de la Basse-Vilaine, par exemple. Certains se sont fixés dans les environs de Rennes, comme Jean Pinart, seigneur de Kerglas, qui se proposait fin 1563 d’accueillir les prêches protestants dans la demeure qu’il possédait au bourg de Saint-Grégoire[2]. Leur présence est certainement de nature à renforcer la visibilité du calvinisme rennais. Là encore, elle augmente le poids de la composante noble au sein de la communauté. De plus, les sessions du Parlement de Bretagne étant de durée limitée, nombre de ces conseillers au Parlement n’ont pas acheté pour autant des hôtels particuliers dans la cité, préférant, comme Jean Pinart, des domaines dans la campagne proche.
Les documents dont nous disposons ne signalent pas de persécutions marquées à Rennes au moment même où les premières guerres de religion éclatent, tout particulièrement en Normandie. On ne parle pas en 1562 d’une expulsion des protestants de la ville de Rennes analogue à celle dont avaient souffert leurs coreligionnaires nantais. Au contraire, affirme Crevain, « leur consistoire et par conséquent leur troupeau y demeura fixe« [3]. Ce consistoire avait été doté d’un règlement, appelé police, lors du premier synode régional qui s’était tenu à La Roche-Bernard en septembre 1561[4]. Trois mois après, Rennes accueillait le second synode de la province.
Mais lorsque les protestants de la ville purent obtenir un temple au printemps 1563 à la suite de l’édit de pacification de Saint-Germain, ils décidèrent de choisir le bourg de Liffré, non loin du château huguenot du Bordage. Crevain se souvenait du local, sorte de grange établie à proximité du bourg. Une telle localisation intriguait à juste titre l’historien Vaurigaud car les Rennais auraient pu théoriquement obtenir un lieu de culte dans leur ville même, selon l’article 5 de l’édit. Était-ce une sorte de victoire du « quartier de la campagne »? Il faut plutôt y voir une mesure de prudence des Rennais qui étaient bien conscients de la menace des émeutes dans la ville. Ils souhaitaient éviter tout ce qui aurait pu passer pour une provocation dans une cité dominée par les tours de la cathédrale.
Ce qui est sûr, c’est que le choix de Liffré se révéla immédiatement contraignant pour les calvinistes rennais. Le temple choisi était distant de plus de deux lieues de la cité, reliée à elle par de mauvais chemins qui traversaient une vaste forêt.
[1] Crevain, Histoire ecclésiastique…, p. 222.
[2] Charles Lalande de Calan a rectifié dans son étude sur « la Bretagne au XVIe siècle » la mauvaise lecture du manuscrit de Crevain faite par Benjamin Vaurigaud. C’était bien Saint-Grégoire et non Saint-Georges (Revue de Bretagne et de Vendée, 1905, p. 400).
[3] Crevain, Histoire ecclésiastique…., p. 99.
[4] B. Vaurigaud, Essai sur l’histoire des Églises réformées…, p. 76.