Le Gonidec et la première Bible en breton
Trois choix s’offraient à la Société Biblique Britannique et Étrangère (SBBE) quand elle décida de financer puis d’éditer une Bible en langue bretonne.
– La première option était de retrouver une version oubliée, datant par exemple de la Réforme, et conservée quelque part dans une bibliothèque. Les pasteurs gallois, s’appuyant sur les érudits bretons de l’Académie Celtique cherchèrent mais ne trouvèrent rien.
– La deuxième option était de confier le travail à un théologien protestant du Pays-de-Galles qui aurait eu assez de connaissance de la langue bretonne pour réussir une traduction. Cela fut tenté, mais les obstacles étaient insurmontables : le breton se déclinait en variantes régionales trop complexes. De plus, la structure grammaticale même de la langue écrite n’était pas encore alors fixée.
– La troisième option était de faire appel à un érudit breton de grande valeur, seul à même de démêler l’écheveau linguistique. Cette solution, la plus sage, fut finalement retenue[1].
Jean-François Le Gonidec correspondait exactement aux besoins de la Société Biblique. C’était un ancien séminariste. Le texte biblique lui était familier dans la version latine, la Vulgate, qu’il avait pratiquée à Saint-Pol-de-Léon. Devenu lettré, il venait de se faire remarquer comme auteur d’une grammaire qui faisait déjà autorité. Celui qui était déjà considéré comme le « restaurateur de la langue bretonne » était donc à même de fournir une traduction à la fois précise et correcte du texte ancien.
La Société Biblique britannique proposa donc de financer son travail, ce qui intéressa doublement l’érudit : la traduction de la Bible est une des oeuvres qui fondent le mieux un langage, et Le Gonidec s’y était autrefois essayé avant de capituler devant la masse énorme de travail nécessaire. D’un autre côté, le grammairien breton connaissait un besoin financier pressant : il venait de perdre son emploi de fonctionnaire dans l’administration des forêts pour la Marine et était chargé de famille.
Mais la réalisation de ce grand projet était complexe et pouvait achopper à tout moment sur de nombreuses difficultés. Les écueils étaient d’abord théologiques :
– Jean-François Le Gonidec était catholique et entendait bien réaliser une œuvre compatible avec sa religion qui estimait à l’époque que seule la traduction latine de Saint-Jérôme, la fameuse Vulgate, pouvait être considérée comme normative. L’œuvre de Le Gonidec serait donc une traduction en breton d’une traduction en latin de la Bible. La société biblique britannique accepta ce choix avec réticence, considérant qu’elle n’avait pas d’autre alternative. Certainement estima-t-elle aussi que c’était la condition nécessaire pour que la nouvelle Bible soit diffusée et lue dans une province à peu près entièrement catholique. Les sociétés bibliques tenaient à juste titre à des traductions sur les textes originaux, plus fiables que la version de Saint-Jérôme. Pourtant l’argumentation de l’érudit en faveur de la Vulgate était justifiée à partir du moment ou aucun protestant bretonnant n’était connu et où l’Église catholique, ne reconnaissant que le texte latin, s’opposerait à tout autre travail. De toute façon, Le Gonidec ne pratiquant ni le grec ni l’hébreu, un autre choix était impossible.
– De son côté Le Gonidec s’insérait dans le programme éditorial de la Société Britannique qui avait comme principe de faire imprimer seulement des Bibles sans notes ni commentaires. Il acceptait d’être corrigé par les pasteurs gallois chargés de veiller à ce que la traduction ne reflète pas des positions contraires à la foi protestante. Ce fut la tâche de Thomas Price puis de David Jones. La traduction française de Lemaistre de Sacy devait faire autorité en cas de désaccord.
– De façon à débuter par l’essentiel et le plus simple, le contrat initial prévoyait simplement une traduction du Nouveau Testament. La Société Biblique Britannique (SBBE) promettait à Le Gonidec 1200 francs pour un tirage de 1000 exemplaires, auxquels s’ajouterait en 1827 une somme égale en échange de la cession de l’intégralité de ses droits d’auteur. La relation entre Le Gonidec et la société biblique serait coordonnée par un maître d’ouvrage, le directeur de l’agence parisienne de la SBBE, Jean-Daniel Kieffer[2].
Le travail de l’érudit breton fut achevé dans les délais voulus. En novembre 1827, Le Gonidec put annoncer à Jean-Daniel Kieffer que le texte du Nouveau Testament était prêt.
A suivre…
[1] Pour plus de détails se reporter à l’ouvrage de référence sur la question : Louis Dujardin, La vie et les oeuvres de Jean-François-Marie-Maurice-Agathe Le Gonidec, grammairien et lexicographe breton, 1775-1838, Brest, 1949
[2] Laïque luthérien, professeur au collège de France, interprète pour les langues orientales au ministère des Affaires Etrangères, traducteur de la Bible en langue turque, il était l’un des plus éminents linguistes du temps (D. Lortsch, Histoire de la Bible française, rééd. Perle, Paris, 1984). La Société Biblique Britannique et Étrangère avait voulu fonder dès 1820 un dépôt des Saintes Écritures à Paris, dont elle confia la responsabilité au professeur. Cette agence française de la B.F.B.S. eut ensuite comme directeur Victor de Pressensé. Elle n’était pas en concurrence avec la Société Biblique Protestante de Paris car leurs champs d’action étaient sensiblement différents : cette dernière s’adressait aux réformés tandis que la SBBE entendait faire oeuvre de prosélytisme et s’en donna les moyens, en particulier en embauchant des colporteurs. La politique globale en France de la Société britannique a été méconnue par les biographes de Le Gonidec.