Rennes huguenote : les origines (2)

1558-1559 : l’Église protestante s’organise sous la persécution.

    En cette année 1558, les huguenots de Rennes et leurs sympathisants sont assez nombreux pour demander un pasteur. Dans un premier temps, les ministres du culte affectés à Rennes sont en fait ceux de toute la province. Outre leur rôle local, ils ont une tâche véritablement apostolique : convaincre les hésitants, rassembler les premières communautés, les structurer et les mettre en état d’accueillir leurs premiers pasteurs, le tout dans un climat de persécutions qui peuvent être très dures. La fin du règne du roi Henri II est marqué par une recrudescence des condamnations à mort (Édits de Compiègne puis d’Écouen). Son décès accidentelle à l’âge de quarante ans, le 10 juillet 1559, ouvre une régence, période de flottement du pouvoir qui représente une réelle opportunité pour les calvinistes, déjà bien représentés dans les plus hautes sphères de la noblesse.

    Le premier pasteur à avoir exercé son ministère à Rennes est d’origine bretonne. Pierre Legendre, dit Dufossé, aurait été momentanément détaché de l’Église de Paris. C’était, dit Crevain, « un digne personnage dont le Seigneur s’est grandement servi pour faire son oeuvre en sa propre patrie où il a été comme un évangéliste, contre la maxime que nul n’est prophète en son pays« .

    Il fut assez vite rejoint, le 5 février 1559 exactement, par son collègue Mathurin L’Houmeau, qui se faisait appeler également Duvivier ou Dugravier, peut-être le nom de propriétés familiales en Poitou, certainement une opportunité pour brouiller les pistes en un temps où sa sécurité était plus que précaire. Il était chargé de préparer la succession de Pierre Legendre qui s’apprêtait à retourner à Paris.

    La croissance de la communauté protestante était lente dans la ville proprement dite. outre Vitré, dont nous reparlerons, plusieurs maisons nobles se prononçaient par contre pour la Réforme dans les alentours. Nous avons cité au sud-est de Rennes le comte de Maure qui résidait au Theil. Il faut y ajouter bientôt le baron Jean d’Acigné, à Châteaugiron, et les familles alliées entre elles des Montbourcher, l’une au Bordage en Ercé-près-Liffré, l’autre à La Magnanne en Andouillé-Neuvillle, sans compter d’autres nobles de moindre importance. Ces maisons étaient accompagnées d’un certain nombre de serviteurs et d’obligés. Le tout représenta bientôt la partie majoritaire de la communauté naissante, surtout à la fin de l’année 1559 quand une partie de la noblesse espéra que la Réformation allait l’emporter dans le Royaume.

Le temps des menaces

    Les protestants urbains bretons, en particulier ceux qui vivaient dans des cités épiscopales comme Rennes ou Nantes, ont été très tôt pris au piège. Car la réaction du clergé catholique local est devenue rapidement violente. Au cours de cette phase, ni le gouverneur de Bretagne, ni ses subordonnés, ni la plupart des municipalités de la province n’ont voulu appliquer une répression sanglante. Mais il était toujours possible de provoquer des émeutes populaires dirigées contre les hérétiques. Cette stratégie était à double tranchant car les autorités de la province avaient en horreur tout désordre. Il n’est pas sûr, non plus, que l’initiative des émeutes ait été toujours prise par les plus hauts responsables du clergé. On sait que l’évêque de Nantes avait fait personnellement donner du canon au Croisic contre les Réformés, et la responsabilités de certains chanoines de Rennes dans les troubles de cette ville semble acquise. Mais l’initiative pouvait venir directement de moines prédicateurs des ordres mendiants urbains fréquemment cités dans ce type d’affaire.

    Ces émeutes avaient des victimes désignées : des bourgeois et des commerçants connus comme huguenots, encore en très petit nombre. Ils étaient beaucoup plus vulnérables que les gentilshommes protégés par leurs épées ou les murailles de leurs châteaux. Ce phénomène a largement contribué à la surreprésentation des nobles dans le protestantisme breton. Le cas des bourgeois protestants de Vitré est l’exception qui confirme la règle, justement parce qu’ils ont été vite protégés par le château.

Le manoir de La Motte au Chancelier. La deuxième cène rennaise y fut célébrée à la Pentecôte 1559. Gravure ancienne. Les bâtiments ont été démolis lors de la construction de la rocade de Rennes, au niveau de la route de Lorient.

Le manoir de La Motte au Chancelier. La deuxième cène rennaise y fut célébrée à la Pentecôte 1559. Gravure ancienne. Les bâtiments ont été démolis lors de la construction de la rocade de Rennes, au niveau de la route de Lorient.

    Venons en maintenant à quelques faits concernant Rennes. Les phases critiques concernent les célébrations des services de la Cène protestante, qui n’avaient lieu que de rares fois dans l’année. La violence religieuse catholique que Denis Crouzet a définie comme « extirpatrice de l’hérésie » s’exerçait de préférence en ces occasions[1]. La célébration d’une Cène est essentielle pour la communauté calviniste. Outre son sens chrétien, elle atteste que l’Église locale a été « dressée » à la façon de Genève, avec ministères, consistoire local, élection d’anciens et tenue de registres.

    La première Cène se passa sans heurts à la veille de Pâques 1559. Elle se fit de nuit, dans la maison de la Prévalaye. Crevain était persuadé que ce lieu était situé à l’intérieur des murs. L’assemblée était encore restreinte et les participants s’arrangèrent pour ne pas faire de bruit. Ils rentèrent à leur logis avant le passage du guet. Il me semble plus probable que la Cène se tint au manoir de la Prévalaye, à une lieue de la cité, mais dans la paroisse de Toussaints. Le château appartenait à Julien Thierry, seigneur du domaine, lié au réseau des Acigné.

    Le pasteur L’Houmeau organisa un nouveau service de Cène pour la Pentecôte. On ne se pressait pas pour accueillir la cérémonie qui allait rassembler cette fois nombre de seigneurs des environs. Le choix se porta finalement sur le manoir de la Motte au Chancelier, propriété du seigneur de La Roussière en La-Chapelle-sur-Erdre, un des premiers huguenots de Nantes, et le service eut lieu de nuit. « Il se trouva belle et grande compagnie en cette assemblée, tant de la ville que de la campagne« , nous dit Crevain. Tout se passa bien encore, sauf que quelques huguenots de Rennes, « personnes de basse condition« , nous dit encore le paosteur de Blain, furent arrêtées en voulant regagner la ville au petit matin. Ils n’avaient pas été assez discrets en attendant l’ouverture des portes. Ils restèrent incarcérés peu de temps, « jusqu’à ce que des gens d’autorité parlèrent aux juges pour eux« . Mais l’alerte était donnée, et le pasteur L’Houmeau, dit Dugravier, préféra désormais résider à l’abri des murs du château du Bordage, en Ercé-près-Liffré.

 (A suivre)

 Jean-Yves Carluer

  [1] Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu. la violence au temps des troubles de religion, Seyssel, Champ Vallon, 2005.

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