Guillaume Le Coat, d’après « The Gospel Magazine »

Près d’un demi-siècle après son décès, l’itinéraire spirituel du pasteur Guillaume Le Coat intriguait toujours autant le monde chrétien anglo-saxon : comment un jeune bas-Breton, élevé dans une culture catholique particulièrement traditionnelle, avait-il pu se convertir et devenir le fondateur d’une importante œuvre évangélique dans son village natal ? Une revue protestante britannique à grand tirage, The Gospel Magazine (février 1957, pp. 66-69), voulut alors rappeler l’histoire du fondateur de la Mission Évangélique Bretonne :

Par un beau matin de l’année 1862, un jeune breton d’environ 17 ans, marchait le long de la route qui relie le village de Trémel, en Basse-Bretagne, à la ville commerçante de Morlaix, à 20 km de là. Il était habillé très simplement et marchait pieds nus, car, comme tous les Bretons qui parcourent de longues distances, il portait ses sabots sur le bras. Tout en cheminant, il réfléchissait à sa destinée et s’interrogeait jusqu’où elle le mènerait.

Cela faisait maintenant près de trois ans qu’il effectuait cette longue route (45 km, aller et retour), d’abord une, puis deux, et maintenant trois fois par semaine, dans son ardent désir d’accroître ses connaissances. Son grand-père paternel avait été percepteur jusqu’à l’avènement de Napoléon Ier, mais avait perdu tout ce qu’il possédait pendant la Révolution Française, ce qui fait que les plus anciens souvenirs du garçon étaient plutôt une petite chaumière de pierre au cœur d’un vallon, près de la chapelle Saint-Nicolas, le saint protecteur des écoliers. C’est là qu’il avait vu son père, un pauvre sabotier, fabriquer des socques de bois pour les paysans des alentours, et sa mère réaliser les tâches ménagères.

Il frémissait également en se remémorant combien de fois même, en ces temps anciens, il avait dû souvent glisser un sou dans le tronc à la porte de la chapelle, dans le ferme espoir que Saint-Nicolas puisse l’aider à réaliser son désir d’instruction. Bon catholique romain, il avait persévéré, et, à l’âge de 15 ans, il suivait quotidiennement les leçons en latin d’un prêtre, avec l’objectif de devenir un jour prêtre lui-même et de consacrer sa vie à l’Église romaine.

Sa conversion

Mais il était né pour remplir un dessein différent. Ses pas s’accélérèrent en se remémorant du jour où, revenant à la maison de son cours quotidien chez le prêtre, il avait entendu la voix de quelqu’un qui faisait la lecture à sa mère. Apprenant qu’il s’agissait d’un protestant, il refusa d’entrer et resta au dehors. Cela arriva encore en une autre occasion, mais, cette fois, il écouta. La curiosité, tout autant que son désir d’apprendre, l’amenèrent à demander à cet homme quel était le livre qu’il était en train de lire. Cet homme lui répondit que c’était la Bible, et lui promit de lui en fournir une. Il tint sa promesse, et pour la première fois de sa vie, Guillaume Le Coat posséda la Bible en français, dont la lecture le conduisit à sa propre conversion ainsi qu’à celle de sa mère. « La révélation de tes paroles éclaire, elle donne de l’intelligence aux simples1 », s’écria-t-il, quand il réalisa à quel point son coeur et sa vie avaient été changés, et comment il avait abandonné toute perspective de devenir un prêtre catholique pour entreprendre ses voyages à Morlaix en vue d’une formation protestante.

Ce garçon allait devenir le pasteur Le Coat, dont le nom remue le cœur de tous ceux qui le connaissent, ainsi son merveilleux travail pour la mission bretonne. Mais le jeune-homme ne savait pas encore, alors que son regard se posait sur le paysage bleuté ou perçaient les douces taches rosées des cerises mûrissantes, qu’il était aussi proche d’un tournant de sa vie.

Mais c’était bien le cas, car le pasteur Guillaume Monod2, de Paris, passait ses vacances en Bretagne cette année-là. Il avait entendu parlé du jeune Le Coat, il le vit alors et il retourna avec lui dans la capitale. Il étudia là pendant trois ans dans un collège de l’Église Réformée, puis, après été diplômé en lettre et en droit par la Sorbonne, à Paris, il retourna dans son village natal, Trémel, pour prêcher l’Évangile.

Une religion païenne

Comme le Docteur Bullinger3 le remarque pertinemment dans son livre, The story of the Breton Mission4, M. Le Coat était revenu sur une terre de religion corrompue, un endroit où, à la manière des Samaritains, « le peuple craint le Seigneur mais sert ses propres Dieux ».

Les Bretons sont des descendants des Celtes, chez qui l’on trouve partout dans le pays, spécialement en Basse-Bretagne, les prêtres et les monuments druidiques, les menhirs (pierres levées) et les dolmens (tables de pierre). Les druides adoraient les forces de la nature. Ils avaient de nombreux divinités, avec une particulière vénération pour le dieu-soleil, les dieux de la guerre, les dieux du vent et du tonnerre, tout comme pour ceux de la poésie, de l’art et de l’éloquence. Les forteresses de leur religion étaient réellement puissantes, si puissantes même que jusqu’au XVIIe siècle, la contrée était encore pratiquement païenne.

Mais, alors même que ces populations originelles dominaient la Bretagne, Rome avait été à l’œuvre. Dès le 12e siècle, ses émissaires parcoururent le pays, et, quand au 17e siècle, la Bretagne perdit son indépendance pour devenir française, on organisa des missions pour greffer la religion catholique sur celle des druides. Beaucoup de pierres levées furent transformées en croix, et quand la roche était trop dure pour le ciseau du maçon, on fixa sur eux des croix ou des crucifix.

Le Dr Bullinger raconte qu’en même pas une année, pas moins de 5.000 d’entre elles furent ainsi modifiées par l’évêque de Saint-Pol-de-Léon d’alors. Les amis protestants qui ont visité Trémel peuvent témoigner de la réalité de beaucoup de ces monuments dans tous les coins de ce district.

Les dolmens, ou tables de pierre, furent transportés dans les églises et transformés en autels. Les sources et les fontaines reçurent le nom de la Madone ou de quelque saint, tandis que l’on découvrit un beau jour que les feux de joie, qui étaient habituellement associés au culte du soleil, pouvaient être une commémoration de Saint-Jean-Baptiste.

C’est ainsi qu’au cours de trois générations, on transforma la population originelle en catholiques romains sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte. Après avoir vénéré les pierres selon les rites païens, elle en arriva à adorer les symboles de Rome. Il est vraiment très triste de constater aujourd’hui l’expression et la condition de ce pauvre peuple dupé qui vit dans un tel état de superstition et d’erreur

Les commencements de l’œuvre en Bretagne

En 1834, le Révérend John Jenkins avait été détaché depuis Bethany Chapel, à Cardiff, vers la Bretagne. Lui-même et une petite équipe de chrétiens gallois ont vécu et travaillé pendant quelques années à Morlaix. Puis, en 1844, l’œuvre a été prise en charge par la Baptist Missionary Society. En 1861, l’année suivante de la conversion du jeune Le Coat, l’Évangile fut prêché dans une petite maisonnette de Trémel. En 1866, à son retour de Paris, Le Coat devint l’assistant de John Jenkins, et bientôt ils réussirent à bâtir une chapelle. Puis les difficultés survinrent. La loi française défendait à un étranger protestant de prêcher dans un bâtiment ouvert au public.

Mais Le Coat était un Breton de souche. Il obtint l’autorisation des autorités et, en dépit d’une opposition acharnée et sous protection militaire, il enfonça la porte et continua à utiliser la chapelle jusqu’à la fin de l’année 1868, date à laquelle il fut consacré par le président du consistoire réformé de Brest, comme le pasteur de l’Église alors en formation à Trémel. Il y eut encore des difficultés et beaucoup d’opposition, et ce n’est qu’en 1873 que l’église fut formellement ouverte à tous les exercices du culte.

Guillaume Lecoat, son épouse et ses nièces

C’est une des dernières photos de Lecoat, debout en veste claire. Son épouse, en robe sombre est à son côté. Ses nièces et collaboratrices, Emilie, directrice de l’orphelinat, à gauche et Anna, gestionnaire, sont assises devant un couple d’amis britanniques.

Pendant ce temps, le pasteur, que le Seigneur avait appelé si jeune à être son serviteur, s’était marié à une aide efficace5 : ils débutèrent ensemble l’œuvre de toute une vie en faveur de la mission.

La Bible en breton

Un des besoins les plus grands et urgents était de disposer d’une Bible complète en breton, un livre qui pourrait être mis entre les mains de la population et compréhensible par tous dans sa langue maternelle. On fit appel à la Trinitarian Bible Society, avec comme résultat qu’on demanda au pasteur Le Coat, qui était éminemment qualifié pour une telle œuvre, de traduire la Bible entière en langue bretonne.

La traduction du Nouveau-Testament débuta en 1883, celle de la Bible en 1884, année pendant laquelle 80.000 exemplaires des Évangiles furent imprimés et distribués à travers la Bretagne.

La Mission Évangélique Bretonne

Une grave crise survint alors : la société missionnaire baptiste qui avait financé l’œuvre abandonna ses petites missions en Europe de manière à concentrer ses efforts sur l’évangélisation de l’Afrique centrale. Ce fut un rude coup pour le pasteur Le Coat, mais, par la grâce et la direction du Dieu tout-puissant, on forma un comité, et une nouvelle société se créa : La Mission Évangélique Bretonne.

Cette mission est totalement inter-dénominationelle, son seul objet et but est de faire connaître la Parole de Dieu et de glorifier Christ par le pouvoir de l’Esprit-Saint.

La traduction de la Bible en langue bretonne fut publiée en 1889 et reçue avec beaucoup de joie. Mais, là encore, il s’en suivit une opposition sérieuse et organisée. Les gens furent menacés par les prêtres au cas où une Bible protestante se trouverait chez eux. Mais l’œuvre se poursuivit en dépit de tout, comme on peut le constater par les nombreuses réunions annexes en différents lieux de Bretagne, par les écoles pour garçons et filles, par l’importante nouvelle chapelle qui a été construite à Trémel, et, par dessus tout, par le travail généreux et l’abnégation de tous les équipiers.

Quand s’acheva la destinée de toute une vie du pasteur et de Mme Le Coat, la responsabilité de la mission de Trémel passa largement entre les mains de Mlle Le Quéré6, sous les conseils du pasteur Somerville7, aidée par son frère8, le colporteur9, de sa sœur10 et de divers aides. Elle nous confia souvent à quel point elle était heureuse et encouragée dans son travail, et combien elle se réjouissait de la liberté obtenue en 1906 de prêcher et d’enseigner l’Évangile et la puissance du Salut pour tous ceux qui croiraient, de l’empressement avec lequel les pauvres paysans buvaient aux bons flots qui leur étaient proclamés dans leur langue maternelle, et de l’assurance solennelle que l’Esprit-Saint était à l’œuvre dans leurs cœurs, et de la façon, remplie de foi, avec laquelle la mission avait rempli ses desseins divins.

(Traduction et notes de Jean-Yves Carluer)

1Psaume 119, verset 130.

2Il s’agissait du pasteur Guillaume Monod (1800-1896).

3Ethelbert William Bullinger (1837 – 1913), pasteur et universitaire anglican, secrétaire exécutif de la Trinitarian Bible Society, était également l’éditeur de la version bretonne de la Bible, traduite par son ami de longue date de Guillaume Le Coat.

4Ouvrage de 81 pages édité en 1910. Un exemplaire est consultable à la Bibliothèque de Protestantisme Français, à Paris.

5Gertrude Shaw Arthur, née en 1840.

6Émilie Gertrude Le Quéré, fille de Morvine Augustine Shaw Arthur, sœur de Gertrude, et donc nièce de Guillaume Le Coat. Elle était née en 1874, responsable de l’orphelinat.

7Georges Somerville (1868-1945), neveu du pasteur Le Coat. Le professeur Pierre Prigent, son petit-fils, lui a consacré une biographie : Mon grand-père Le pasteur Georges Somerville (1868-1945), Éditions Les bergers et les mages, 1999. Georges fut le père d’Alfred Somerville (1899-1975), pasteur baptiste à Morlaix, Paris et Trémel. Ce dernier célébra, entre autres, le mariage de mes parents dans la chapelle baptiste de Morlaix en 1947 et présida l’année suivante la cérémonie de la présentation à Dieu du nourrisson qui deviendra l’auteur de cet article !

8En réalité, son cousin.

9Guillaume Louis Le Quéré, fils de François le Quéré et de Morvine Augustine Shaw Arthur, colporteur, né en 1873, déclaré Juste parmi les nations en 2016 pour avoir hébergé à Trémel, dans les locaux de la mission baptiste, deux familles juives durant la Dernière Guerre (dossier JPN 13266). Son fils Guillaume épousa ma grand-tante, Eulalie Le Morvan.

10Anna Le Quéré, sœur de Guillaume Louis, née en 1878, gestionnaire de la mission.