Le texte biblique vient de réapparaître sur ses murs !
Il y a peu encore, je n’envisageai pas d’ajouter cet édifice à la liste des lieux de mémoire huguenots bretons. Le château initial, avec ses fortifications et ses douves, avait été transformé au début du XIXe siècle en une belle maison de maître qui ne laissait à peu près rien voir de son passé protestant. De plus, cet ensemble faisait l’objet d’une ultime mutation. La mairie de Saffré avait acquis le corps de logis qui menaçait ruine pour le transformer en une médiathèque intercommunale, claire et moderne. Que resterait-il de la mémoire réformée du lieu ?
J’ai été alerté dernièrement par Jean-Claude Raux, maire adjoint de Saffré, d’une découverte décisive. Je l’en remercie vivement, car la nouvelle est d’importance. Les travaux de démolition et de réaffectation ont fait réapparaître dans leur état initial des salles basses de l’ancien château, tout particulièrement un local qui semble avoir accueilli les anciens prêches. On y a découvert, cachés derrière les enduits et badigeons, des éléments décoratifs sous forme de versets bibliques On peut les dater très exactement de 1570, puisque les archives du château, le fameux Dial de Saffré, en conservent la trace en comptabilité ! Ce sont des versets des livres des Psaumes et des Proverbes, transcrits d’anciennes versions protestantes.
Il a été décidé de conserver et consolider ces inscriptions murales exceptionnelles qui couvrent tout un mur de ce qui était devenu une ancienne cuisine ! La découverte de 2014 fait de Saffré un lieu de mémoire protestant rare et émouvant : on s’y retrouve projeté quatre siècles et demi dans le temps, à la place de René d’Avaugour, de Renée de Plouër, son épouse, de leurs enfants et de leurs serviteurs, devant les enseignements de la Bible. Le lecteur intéressé pourra trouver des photographies plus précises et suivre les étapes de la restauration murale par Brice Moulinier sur le site memoires-de-saffre.over-blog.com.
La châtellenie de Saffré appartint à partir de 1542 à la famille Kergrois d’Avaugour qui embrassa la Réforme dès la fin des années 1550. Il ne faut pas confondre les bannerets Kergrois d’Avaugour avec les barons d’Avaugour qui restèrent catholiques sous l’Ancien Régime. Saffré devint à partir de 1560 un lieu de rassemblement huguenot, rameau de la grande Église huguenote de Blain. Le fils de René, Charles d’Avaugour, demeura fidèle au protestantisme, ainsi que son petit-fils, Samuel. La terre passa alors par mariage dans d’autres familles protestantes bretonnes comme les La Chapelle ou les Machecoul. Lors de la Révocation, les derniers seigneurs calvinistes du lieu passèrent à l’étranger dans le Refuge. Mais le témoignage protestant se maintint cependant à Saffré puisqu’en 1715 encore un descendant des Avaugour, Jean-Antoine de Crux, marquis de Touvois, fut dénoncé par un de ses serviteurs parce qu’il présidait un culte domestique au château.
1560-1715 : l’exercice protestant s’est prolongé sur trois siècles à Saffré, ce qui représente une sorte de record pour la Bretagne huguenote. C’est cette mémoire qui ressurgit aujourd’hui sur les murs d’une des seules pièces conservées de l’ancien logis.
Dernier clin d’œil de l’histoire : nous savons, toujours d’après un inventaire conservé dans le dial de Saffré, que Samuel d’Avaugour possédait en 1625 une des plus belles bibliothèques seigneuriales du temps. Un érudit avait fait autrefois l’analyse des 300 volumes cités, qui comprenaient, bien sûr, la Bible et de nombreux ouvrages de Calvin ou d’autres auteurs protestants, en sus d’œuvres classiques comme celles de Sénèque, Plutarque et d’Ovide ou plus modernes comme les Mémoires de Du Bellay.[1]
La mutation de l’antique forteresse en médiathèque d’aujourd’hui s’inscrit idéalement dans la continuation de l’esprit d’analyse et de curiosité de ses propriétaires d’autrefois. Les versets de la Bible, inscrits depuis des siècles sur la muraille, apportent au lieu une autre dimension : celle de l’éternité…
[1] Régis de l’Estourbeillon, Inventaire des archives des châteaux bretons. Archives du château de Saffré, Saint-Brieuc, 1893.