Le château de La Moussaye, en Plenée-Jugon
Cet édifice, protestant depuis sa construction jusqu’à la Révocation, se cache dans les bois, non loin de Broons.
D’après Charles Gouyon, les premières pierres furent posées le 23 mai 15831 dans un quadrilatère représenté par les fondations des tours d’une antique forteresse médiévale, sur un replat qui dominait le ruisseau et l’étang de la Rieulle. Même si Habasque voyait dans ce cadre « la situation la plus sauvage et en même temps la plus romantique 2», le site présentait quelques inconvénients, les eaux stagnantes favorisant les fièvres.
Le destin de la construction hésita longtemps et, à vrai dire, toujours. On estime aujourd’hui que l’édifice n’a jamais été achevé, et que ce qui en subsiste aujourd’hui est un assemblage assez ecclectique. On peut effectivement remarquer que la date de 1583 n’était pas la meilleure pour une entreprise à long terme. Les guerres de la Ligue commençaient. Charles Gouyon et Claude du Chastel préfèrèrent immédiatement la douceur et le relatif isolement du manoir du Val, avant que les combats leur fassent préférer les larges murailles de Tonquédec. De toutes façons la famille avait le choix des résidences, à commencer par le château de Plouër qui avait l’avantage de justifier l’exercice de fief de Saint-Malo-Dinan.
La fortune des La Moussaye s’accroissant, leurs terres de Sévignac furent élevées en marquisat en 1615. Mais alors qu’Amaury III (1603-1663) caressait le rêve grandiose d’un nouvel établissement à Quintin, les multiples chicaneries locales et l’obstination de l’évêque de Saint-Brieuc l’empêchèrent de vraiment profiter de ce nouvel édifice.
De tout cela, il ressort que l’édifice de La Moussaye est un château par défaut, sorte de repli obligé sur les terres éponymes.
C’est Amaury II (1577-1624), l’aîné de Charles Gouyon, qui se chargea de la poursuite des travaux. Il suivit les traces de sa pieuse mère huguenote et c’est lui qui dressa l’Église de La Moussaye, en Plénée-Jugon. Cette communauté qui se réunissait dans le château tout neuf des Gouyon était une assemblée essentiellement domestique, mais elle regroupait aussi plusieurs religionnaires jusque-là isolés comme les Gouyquet du Tertre et d’autres qui furent attirés par ce foyer de vie protestante. Nous ne savons pas la date exacte de sa fondation, mais dès 1611, l’Église était représentée par un de ses anciens au synode national de Privas : le baron Amaury II y est loué pour le « zèle qu’il témoigne avoir pour la gloire de Dieu et le rétablissement des Églises3« . Les biographes de l’aristocratie protestante, les frères Haag, s’appuyant sur une note secrète du fonds de Béthune, le décrivent comme « riche, bien voulu de ses amis, mais peu remuant« . Il avait, apparemment, hérité de la bonhomie de son père Charles Gouyon4.
Nous ne savons où se situaient les prêches. Peut-être, comme dans d’autres lieux, se tenaient-ils dans les communs de l’édifice. Le premier pasteur mentionné fut David de La Place. Il assura la charge de la communauté de 1619 jusqu’à son décès en 16545.
Le relatif isolement de l’édifice favorisa, comme le souligne Habasque, une certaine paix religieuse : point d’émeutes ni d’affrontements sanglants. Mais la Révocation de l’Édit de Nantes finit par atteindre les landes de Plenée-Jugon.
En 1701, la dernière descendante protestante de la lignée de La Moussaye, Elisabeth Gouyon, marquise du Bordage, s’éteignit au château, à l’âge de 63 ans. Elle avait été contrainte à l’abjuration peu auparavant, mais montra si peu d’enthousiame à le faire que le curé lui refusa des obsèques conformes à son rang…
1Charles Gouyon, Brief discours…, p. 137.
2François Habasque, Notions historiques… sur le littoral des Côtes-du-Nord, Guingamp, 1836.
3Quick, Synodicon, p. 414.
4Archives Nationales, Fonds de Béthune, N° 9344
5A. D. des Côtes-d’Armor, 1 M EC 6, B.M.S. de La Moussaye, 1618-1683. Microfilm d’après l’original conservé entre des mains privées (double aux Archives départementales de la Haute-Marne). Le registre a pu être communiqué au public grâce aux recherches de MM. Claude Onfray et Gildas Bernard, inspecteur-général des Archives de France.