Histoire de l’Église réformée de Nantes ( ch 4)

L’histoire de l’Église réformée de Nantes, par B. Vaurigaud.

    Nous poursuivons ici la publication en ligne de l’ouvrage de Benjamin Vaurigaud consacré à L’histoire de l’Église réformée de Nantes.

   Le pasteur-historien s’attache dans ce chapitre à retracer le contexte assez complexe de la période qui court de la Saint-Barthélemy jusqu’au début de la période dite de la Ligue en Bretagne. Il s’agit des derniers temps d’une très relative tranquillité pour les protestants bretons, avant que la province ne soit frappée directement par les guerres de religion. Le Calvinisme y est presque éradiqué, sauf à Vitré.

   Nous avons du intervenir parfois sur le texte pour modifier la présentation et quelques expressions, ajouter des notes explicatives et quelques sous-titres. Benjamin Vaurigaud utilise beaucoup le manuscrit du pasteur Lenoir, sieur de Crevain, et le cite souvent sans moderniser la langue du XVIIe siècle, qui a beaucoup vieilli aujourd’hui.

Jean-Yves Carluer

 CHAPITRE IV

 DEPUIS LE MASSACRE JUSQU’A LA LIGUE

(1572 à 1585).

      “Puisque vous voulez la mort de l’amiral“, avait dit Charles IX à sa mère et au duc d’Anjou qui l’obsédaient de leurs insistances, jusqu’à ne lui en laisser de repos, ni le jour, ni la nuit,  “je le veux : donnez des ordres, mais qu’il ne reste plus aucun huguenot pour me reprocher cette mort“. C’est qu’en effet, à moins de les exterminer tous, le massacre était inutile. Si un seul des chefs échappait, c’était la guerre plus acharnée que jamais. Or, malgré tous leurs soins, les auteurs du massacre n’avaient pu si bien prendre leurs mesures, que tous les principaux des Réformés y fussent enveloppés. Quelques-uns d’entre eux, d’ailleurs, avaient conservé jusqu’à la fin leur défiance, et s’étaient logés loin du Louvre.

     Ce fut le cas de René de Rohan, baron de Frontenay, cadet du vicomte de Rohan ; du vidame de Chartres, du comte de Montgommery et de plusieurs autres. La nuit, ayant entendu le tocsin et le bruit de la ville, ils résolurent d’aller tous où le besoin était. Ils se rendirent sur les bords de la Seine, mais tandis qu’ils délibéraient pour savoir comment se procurer des bateaux, le jour vint, et ils virent une troupe armée courant aux portes, à cheval, pour sortir ; mais le portier, n’ayant pas les clefs, fut obligé d’aller les chercher. Dans l’intervalle, dit Crevain, le “roi, par impatience, leur ayant fait tirer quelques arquebusades, leur apprit qu’ils devaient penser à la retraite, non pas à l’entrée[1]. Le duc de Guise les poursuivit jusqu’à Montfort, mais sans pouvoir les atteindre.

 Le temps des hésitations

      À la nouvelle de ce qui s’était passé à Paris, le trouble fut extrême en Bretagne ; les troupeaux furent dispersés : les pasteurs se réfugièrent en Angleterre, en Écosse, à Jersey, à Guernesey et à La Rochelle. Le Pasteur de Nantes, François Oyseau, resta à son poste, visitant les Églises du voisinage qui n’osaient se réunir qu’en des endroits secrets et les soutenant par ses exhortations. C’est ce qu’il fit, notamment, pour les Églises de Guérande et de Piriac, où on le voit, en 1574, venir célébrer des baptêmes, aux mois de janvier et de mai. S’il allait jusqu’à Piriac pour fortifier cette Église dont le pasteur était absent, on peut être bien assuré qu’il visitait et assistait en secret les familles de son troupeau.

      Mais ce troupeau lui-même était alors peu nombreux. Il restait à Nantes bien peu de fidèles. Ils avaient, pour échapper à leurs ennemis, deux voies également ouvertes et faciles, celle de terre et celle de mer pour se sauver à La Rochelle, ou en Hollande et en Angleterre, sans parler de Blain, où quelques-uns avaient contracté des habitudes dans leurs retraites successives des dernières années. Ceux qui pouvaient rendre des services pendant la guerre se rendirent à La Rochelle. C’est ce que fit, en particulier, M. de la Muce, qui contribua à la défense de celle ville, lors du siège qu’en faisait le duc d’Anjou. La paix, qui fut la suite de la levée du siège, amena l’édit de mai 1576, le plus favorable de ceux qui avaient été accordés aux Réformés. Après les clauses ordinaires, le roi[2] accordait aux Réformés le libre exercice de leur religion dans toute l’étendue du royaume, sans aucune des restrictions qui avaient été mises aux précédents édits. Le roi déclarait en outre “que les désordres et excès, faits le 24 août et jours suivants à Paris et autres lieux, sont advenus à son très grand regret et déplaisisir”. Il réhabilitait la mémoire des principales victimes, abolissant la procession de la Saint-Barthélemy, etc., etc. Tels furent quelques-uns de ces articles « qui durent, dit Crevain, donner la joie aux uns, du chagrin aux autres, et de l’étonnement à tous». L’Université de Nantes n’en fut pas plus tôt informée qu’elle fit tous ses efforts pour en empêcher la publication. Elle provoqua dans ce but, le dimanche 27 mai, une assemblée publique, et, deux jours après, elle fit choix de procureurs pour soutenir son opposition partout où besoin serait. Il fallut néanmoins se soumettre. Voilà donc à quoi avaient abouti tant d’intrigues, tant de complots, tant de faussetés, tant de perfidies, tant de sang répandu, tant de milliers de victimes lâchement égorgées, tant d’autres chassées de France ; la monarchie faisait amende honorable, réhabilitait les principales victimes, désavouait hautement le massacre et reconnaissait le libre exercice du culte réformé. Tout cela, moins de quatre ans après la Saint-Barthélemy. Elle semblait enfin s’apercevoir que ses ennemis n’étaient pas les Réformés et que son vrai péril lui venait des Guise.

     De leur côté, les Guise, voyant, malgré tous leurs efforts et toute leur habileté, leur dessein d’anéantir les Réformés, échouer et se retourner contre eux malgré des succès d’un jour, s’en prirent ouvertement à ce qui faisait obstacle au triomphe de leur ambition, à la Royauté elle-même. Le but restant le même, ils changèrent le plan d’attaque. Le prétexte fut le péril du catholicisme menacé par les progrès de la Réforme ; de là, le devoir pour tout catholique de se défendre, et de tout sacrifier pour la religion. On s’y engageait par les serments les plus solennels.

     Il paraît que, dès le Concile de Trente, le cardinal de Lorraine en avait conçu et formulé la première idée. Ce fut d’abord une association plus ou moins secrète, mais qui prit bientôt le plus grand développement. Le roi s’en aperçut aux premiers états de Blois. Il crut que le meilleur moyen d’en prévenir ou d’en arrêter les suites funestes était de s’en déclarer le chef. II le fit donc jusqu’à déclarer incapable de lui succéder tout prince hérétique, désignant par là les Bourbons. Cependant, dit Crevain, “tout associé qu’il était aux ligués, il n’était de leur sentiment qu’en apparence et pour l’intérêt de religion, mais non pour l’intérêt d’Etat ; ses partisans s’appelant “royaux”, les autres “unis catholiques”, remplis de haine et de jalousie les uns et les autres, et ne s’accordant qu’à nous faire du mal à l’envi[3].

     Les Guises n’étaient pas satisfaits non plus d’une décision qui contrariait leurs plans, et à la sincérité de laquelle ils refusaient de croire. Ce qu’ils voulaient, c’était écarter à la fois le roi et son successeur légitime comme incapables d’hériter pour cause de religion. Nantes, ou plutôt son Chapitre, se prononça à l’unanimité pour la Ligue le 23 janvier 1577 et en devint bientôt la capitale dans notre province. A ce point de développement, elle rendait la paix purement nominale, précaire et même impossible. On eut de nouveau recours aux armes.

     La guerre dura peu et aboutit à l’édit de septembre (1577) qui nous retrancha une bonne partie des avantages de l’édit de mai. Les Réformés ne l’avaient accepté que sur les instances du roi de Navarre, mais il était trop peu favorable pour pouvoir durer. On essaya de prolonger la paix par les conférences de Nérac (1579) et de Fleix (1580), qui expliquèrent et élargirent un peu les clauses de l’édit de septembre (1577), La guerre n’eût donc que des intermittences, et, en réalité, elle dura depuis 1577 jusqu’en 1585, époque à laquelle elle redoubla d’intensité et de fureur.

     L’édit de juillet 1585 ne fut qu’un [simple] édit de pacification, [et en fait] une véritable déclaration de guerre au roi de Navarre et aux Réformés. Ce n’était que la répétition des clauses du traité de Nemours (7 juillet), que le roi avait été contraint de signer avec les Ligueurs et dont la reine-mère avait préparé les bases. Le roi s’engageait à proscrire, dans l’étendue de son royaume, l’exercice de toute religion autre que la religion romaine, sous peine de mort contre les contrevenants ; à ordonner aux Ministres de sortir du royaume dans un mois, et aux autres de la religion dans six mois ; à déclarer tous les hérétiques possédant des emplois publics, incapables de les remplir, et à casser les  chambres mi-partie. Il s’engageait en outre à leur redemander les places de sûreté qui leur avaient été accordées, sauf à leur faire la guerre s’ils refusaient. Par contre, il accordait aux Ligueurs des places de sûreté, et notamment à ceux de Bretagne, les places de Dinan et de Concarneau. Il avait, auparavant, fait circuler parmi les Réformés des lettres patentes pour leur donner avis qu’il se faisait des ligues, et pour les inviter à courir sus à ceux qu’on trouverait en armes.

     ” Sur ces entrefaites”, dit Crevain, “il courut des copies d’une lettre de M. de Montigny, pasteur de Paris, à M. Merlin, ministre de M. de Laval à Vitré, pour lui faire entendre, et à tous les frères, que le roi lui avait commandé d’avertir toutes les Églises qu’il se faisait une grosse Ligue de la part du pape, du roi d’Espagne, et des ducs de Savoie et de Lorraine, que cela même pourrait bien tomber sur lui, et que pour s’en garantir il faisait renforcer toutes ses compagnies d’ordonnances, appelant à son service des Suisses et des Reîtres[4] : et, partant, que chacun se tint sur ses gardes[5]“.

     Quand les réformés virent, peu de mois après, le roi signer l’édit de Juillet et consentir aux sanglantes ordonnances contre eux, ils l’accusèrent de mauvaise foi. « Par ces rigueurs excessives”, dit encore Crevain, “le roi fit bien voir que les avis qu’il avait donnés en ami n’étaient que des feintes pour endormir les Protestants, comme Charles IX, son frère, avait fait avant les massacres, et pour les faire mieux donner dans le panneau mortel qu’on avait caché pour les exterminer[6] ».

 Le funeste édit de juillet 1585

      Les déclarations sanguinaires de l’édit de juillet trouvèrent en Bretagne, et à Nantes en particulier, les esprits disposés a s’y conformer. Certains indices le faisaient d’avance pressentir. Ainsi, le 7 juin 1582, une assemblée générale avait eu lieu dans l’hôtel commun de la ville de Nantes, “pour faire à [Sa Majesté] des doléances et remontrances la part des maire, échevins, manans et habitants de ladite ville, des comportements de M. de la Hunaudais, lieutenant général pour [Sa Majesté] au pays de Bretagne, en l’absence de leurs seigneurs les ducs de Monpensier et le prince de Dombes[7]. On l’accusait “d’avoir souvent offensé les plus affectionnés serviteurs du roi, et, au contraire, montré une familiarité particulière à ceux de la religion [prétendue Réformée[8]] suspects à ladite ville, et de leur avoir, eu outre, permis d’aller et venir librement en cette ville contrairement aux ordonnances précédemment faites, avec défense aux capitaines et gardes de les fouiller ni rechercher“. On ajoutait que les alliances qu’il avait prises dans les familles de Rohan et de Laval étaient une preuve de l’affection qu’il portait aux Réformés, et que c’était la cause du support qu’il avait eu pour les sieurs de Vieillevigne et de Saint-Etienne, son fils, dont il avait épargné les maisons pendant le siège de Montaigu. C’était-là, disait-on, la cause de la suspicion légitime dans laquelle le tenaient les habitants.

      Comme pour les encourager dans celle voie et surexciter encore leurs mauvaises dispositions, le roi, « qui prodiguait ses faveurs à ceux qui en étaient indignes, > dit Dom Morice, donna le gouvernement de Bretagne à son beau-frère, le duc de Mercœur, à l’exclusion du duc de Montpensier qui en était titulaire, et du prince de Dombes, son petit-fils, à qui la survivance en avait été assurée. On se fait aisément l’idée des persécutions de toutes sortes que cette nomination réservait aux Réformés de Nantes.

      Dans le même temps, une épreuve d’une autre nature vint fondre sur les Églises de Bretagne, et sur celle de Nantes en particulier. Louveau, dans son histoire manuscrite que Crevain avait pu consulter à la fin du XVIIe siècle, mais qui s’est probablement perdue depuis, en parle en ces termes :  “Nous fûmes frappés d’une plaie qui a autant et plus fatigué nos pauvres Églises qu’une violente persécution, pour le paiement des Allemands, qui étaient plus venus pour le profil de Monsieur, frère du roi Henri III, que pour notre avantage, vu que la liberté qui nous avait été octroyée par leur venue (1576), ne nous dura que six mois environ, ce qui surchargea nos Églises et leur fut un faix commun insupportable. »

       Voici quelle était cette affaire : Le roi Henri III, par lettres patentes de 1577, avait permis que 240.400 écus fussent levés “sur tous ceux de la Religion[9] du royaume et autres, qui, dans les dernières guerres, avaient suivi leur parti ; et ce, pour le paiement des dettes créées par eux durant ce temps-là”. Le roi de Navarre, qui avait obtenu cette levée, suivant le pouvoir à lui octroyé, en avait fait le département[10], à Montauban, en août 1573, sur chaque province, cotisant celle de Bretagne à plus de 22.000 écus, qui était environ la dixième partie de la somme totale. Pour procéder à la levée de cette prodigieuse taxe, Jacques Monsire, procureur ou commis de Nicolas Pajot, receveur général à Paris, invita toutes les Églises de la province à envoyer des députés à Blain, pour fixer la part afférente à chacune d’elles. La réunion eut lieu en août 1585. La résolution de celle assemblée, purement politique, fut de refuser de se cotiser, étant absolument impossible de payer une pareille taxe. Celte décision fut envoyée au présidial de Nantes, que des lettres du roi avaient désigné pour faire ce règlement.

     Le 1er mars de l’année suivante (1584), l’Alloué[11] de Nantes rendit la sentence suivante :

     ” Que ceux de la religion de Bretagne assemblés à Blain en août 1583, ayant témoigné leur impuissance, se pourvoiraient comme ils verraient bon être pour le rabais de la somme à eux imposée, dans trois mois. Que cependant, et par provision, ils paieraient 6.660 écus, qui font prés de 20.000 livres, égales pour les quatre sénéchaussées : Nantes, Rennes, Vannes et Quimper-Corentin, sur les Églises de leur étendue ; que pour faire ce département particulier, ils enverraient au Présidial le nombre de leurs Eglises, le nom et la faculté des particuliers ; si mieux ils n’eussent aimé faire le régail[12] entre eux, pour le faire ensuite contrôler et valider, ou envoyer des députés par l’avis desquels le tout eut été réglé : faute de quoi, le Présidial procéderait, dans quinzaine, au département de chacune des quatre sénéchaussées, sauf leur recours sur les redevables“.

     L’exécution de celte rigoureuse sentence “se fit à la chaude”, dit Crevain. On essaya, pour le surplus, d’obtenir des conditions plus douces. Les Églises envoyèrent à M. de la Muce et à MM. Duplessix et Dolé, un pouvoir de représenter au roi de Navarre leur faiblesse et leur petit nombre, pour obtenir de lui, à l’assemblée de Montauban, un rabais notable de la somme qui leur avait été imposée. Ce pouvoir était du 25 juillet 1584. Pour le régulariser et en augmenter encore le poids, on réunit à Nantes les députés de toutes les Églises qui dressèrent et signèrent, le 17 août, d’amples mémoires. On fit aussi des rôles de tous ceux des chefs de famille en état de contribuer. Ils étaient peu nombreux et peu aisés.

      Arrivés à Montauban, les députés présentèrent leur requête au roi et à l’assemblée générale, faisant valoir le petit nombre des Églises (on n’en comptait en ce moment que douze dans la province) et leur pauvreté. Ils demandèrent une réduction de la taxe. Elle leur fut accordée. Ils eurent un rabais de neuf mille écus, c’est-à-dire d’environ la moitié de la taxe.

     “Il est à croire”, dit Crevain, “qu’avant l’explosion de la Ligue et l’édit de juillet 1585, nos pauvres Eglises furent contraintes au paiement de ces 26.000 livres, ou qu’elles se saignèrent volontairement, et que les seigneurs se cotisèrent eux-mêmes, comme Rohan, Laval, Bordage, La Roche-Giffard, Vieillevigne, La Muce, Cargrois, Tournemine, Baulac et autres encore au-dessous, car le peuple des villes et bourgades n’était pas assez nombreux et assez opulent pour payer seul cette grosse somme sans l’assistance des grands et des riches”. Dans ce nombre, l’Église de Nantes ne pouvait revendiquer que MM. de La Muce et de Cargrois.

 Des huguenots fidèles…

      Plus les temps étaient agités et troublés, et plus il importe de relever le courage avec lequel quelques-uns des pasteurs demeurés à leur poste s’acquittèrent de leur charge, visitant, encourageant, consolant les restes dispersés des troupeaux. De ce nombre, et peut-être parmi les premiers, il faut citer Oyseau, de Nantes. La plus grande partie de son Église s’était réfugiée, ou aux îles anglaises, ou en Hollande, ou à La Rochelle. Ceux qui n’avaient pas fui ne l’avaient pas pu : c’étaient les plus pauvres. Néanmoins, il refusa de s’en séparer aussi longtemps du moins qu’il fut possible de le faire.

Le château de Lauvergnac en La Turballe. S'articulant autour d'un logis Renaissance, il a été entièrement restauré. Le château accueille aujourd'hui des événements (http://www.chateau-de-lauvergnac.fr/).

    D’un autre côté, comme ce petit nombre de personnes ne pouvait se réunir qu’en secret et en tremblant, ce n’était point assez pour son activité et pour son zèle. Il visitait les Églises voisines, parfois à de grandes distances, et sans paraître s’inquiéter des périls. C’est ainsi que, dans l’année 1575, en février, mai, juin, juillet, septembre et décembre, il administra, à différents voyages, des baptêmes à Piriac, toujours en assemblées secrètes, comme à Lauvergnac, situé entre Piriac et Guérande, et au château de Campzillon ou de Piriac, auquel se trouvèrent, sur la fin de l’année 1575, le seigneur et la dame de Campzilllon, retournés des îles[13].

     Nous avons vu qu’il le faisait déjà en 1574 et que, par ses voyages à Piriac, il soutenait l’Église tremblante, qui n’osait se trouver qu’en des lieux secrets. En 1581, on le voit encore faire un baptême à Sion. Cette conduite, à la fois courageuse et pleine d’abnégation, paraît avoir été appréciée par les Églises. Ainsi, au synode provincial de Vitré le 26 décembre 1576, il fut député par son Église avec un ancien du consistoire nommé Michel Tarn. La composition de celle députation est une preuve que l’Église de Nantes, bien que réduite en nombre, n’avait pas été abandonnée après le massacre et qu’elle s’était soutenue malgré les guerres. Mais il ne faut pas se la figurer dans un état paisible, car les Églises des villes royales ne purent se soutenir aussi bien que les Églises de campagne, protégées par des seigneurs, et dans leurs châteaux, comme Blain. Vieillevigne, le Bordage et autres.

     Les magistrats de Nantes harcelèrent tes fidèles de La Roche-Bernard par des ajournements, prises de corps et annotations de biens. On peut juger par là de ce qu’ils firent à leurs propres concitoyens, dont ils eussent voulu se défaire par de tels moyens s’il leur eût été possible. “Je ne doute pas“, dit Crevain, “qu’en ce temps-là et en de pareils, ils n’aient eu beaucoup à souffrir, mais comme une nacelle agitée qui a son pilote expert et qui n’est point abîmée“.

     Oyseau ne fut pas seulement un des députés du Synode, il siégea en outre à la Table ou, comme on dirait aujourd’hui, au Bureau, en qualité de secrétaire ou de rapporteur des actes. Il fut encore chargé par le Synode d’une mission de confiance.

      On avait décidé qu’une Église serait vivement censurée du mauvais devoir qu’elle faisait à l’égard d’un de ses pasteurs , M. de la Bougonnière (Philippe de Saint-Hilaire), leur premier pasteur, qui en avait jeté les premiers fondements et les avait comme engendrés en Christ ; “que, pour cet effet, M. Oyseau descendrait sur les lieux avec des lettres du Synode pour les exhorter de corriger ce défaut et pourvoir désormais à la subvention, tant dudit Bougonnière que de M. de la Teillaye (dit Loyseau), leurs pasteurs ; et s’ils alléguaient que leurs moyens ne pouvaient porter l’entretien de deux ministres, d’autant que ledit de la Tellaye ou Teillaye ne leur avait été envoyé que comme un secours pour la moitié du ministère ; qu’en ce cas-la, Bougonnière leur demeurerait pour seul pasteur, et que la Teillaye serait répété[14] et employé ailleurs par la classe de Nantes, après trois mois, sans préjudicie à l”appel de Châteaubriant“.

     Ces termes : classe de Nantes, employés ici , demandent incidemment quelques mots d’explication. Ou appelait classe l’ensemble des Églises soumises à la juridiction d’un colloque, et l’Église la plus importante du groupe lui donnait son nom. Ainsi, l’on disait : la classe de Rennes, la classe de Nantes. Les Églises Réformées de Bretagne formaient quatre classes. Voici leur nom et celui des Églises dont se composait chacune d’elles : La classe de Morlaix, ou classe de la Basse-Bretagne, se composait des Eglises de Morlaix, Pont-L’Abbé, Pontivy, Josselin et peut être Vannes, qui pouvait aussi bien faire partie de celle de La Roche-Bernard. Cette dernière était une classe maritime, qui renfermait les Églises de La Roche-Bernard, de Guérande, du Croisic, de Piriac, de Muzillac et de Hennebont, tant qu’elles ont subsisté. La classe de Rennes, qui était septentrionale, comprenait Rennes, Vitré, Sion, Ercé, Dinan, La Gravelle. La classe de Nantes, qui était méridionale, était composée de Nantes, Blain, Chàteaubriant, Nort, Vieillevigne et Frossay.

     Le Pasteur Oyseau fut encore député pour la Bretagne, comme pasteur de Nantes, avec Guineau, pasteur de Sion. François Oyseau fut encore élu secrétaire. C’était au mois de février de l’année 1578.

     Il y eut à Josselin, en juillet 1583, un Synode provincial, au sujet duquel Crevain fait cette remarque que personne de Nantes n’y comparut, ou parce que l’Église n’avait pas été convoquée, ou pour ne pas l’avoir été à temps. Il ajoute que cette Église était en état de députer, aussi bien que neuf autres qui y envoyèrent, car elle avait toujours M. Oyseau pour pasteur. Mais de dire, continue-t-il, la condition dans laquelle elle était en ce rude temps, sa liberté et sa multitude, sa force-, c’est ce qu’on ne sait point. II mentionne, néanmoins, un délail intéressant pour cette Église, c’est que dans les années 1583, 1584, 1585, il se fit cinq enterrements, soit au cimetière de l’hôpital de la ville, dont on se servait avant l’édit, par tolérance ou par établissement.

      On ignore quels furent, depuis le massacre et après les différents édits de rétablissement, les lieux d’exercice et de culte. Ce qui est certain, c’est le séjour et la fidélité de François Oyseau dans son Église jusqu’après l’édit de juillet 1585, puisqu’on le voit, même aux mois de juin, juillet et août de cette année, faire quelques voyages à Piriac, malgré la distance de quinze lieues.



[1] Crevain, Histoire ecclésiastique.., p. 175.

[2] Depuis la mort de Charles IX, en 1574, la couronne était passée à son frère Henri III.

[3] Idem, p. 188.

[4] Reîtres : mercenaires de cavalerie, d’origine allemande. Armés de pistolets, ils étaient renommés pour leur efficacité, mais aussi, hélas, pour leur férocité pendant les guerres de religion (note du webmaster)..

[5] Crevain, op.cit, p. 265

[6] Idem, p. 267. Nous avons écarté de cette publication sur internet  un paragraphe de l’édition originale, probablement placé à cet endroit par erreur : ” Henri III était assurément un homme sans droiture et sans sincérité ; mais dans la circonstance particulière, il cherchait a provoquer des animosités contre les ligués, quand il voulait se faire contre eux des auxiliaires des Réformés eux-mêmes, son intérêt et sa haine garantissaient sa sincérité. S’il chercha à tromper quelqu’un, ce fut les ligueurs, dont il subissait avec une sourde colère l’autorité et l’influence, et auxquels il ne s’unissait que pour mieux connaître leurs desseins, cherchant l’occasion de les frapper plus sûrement. Les événements ne tardèrent pas à le montrer”.

[7] Les gouverneurs successifs de la province (note du webmaster)

[8] Le calvinisme (note du webmaster)

[9] ” de la religion (protestante)”

[10] La répartition (note du webmaster)

[11] juge royal (note du webmaster)

[12] La répartition (note du webmaster)

[13] Le château de Kerjean, en Piriac, étaient une des principales places de la baronnie de Campzillon. Cette grande seigneurie de Bretagne appartenait en 1575 à la maison de Tournemine, passée à la Réforme. Pierre de Tournemine, son seigneur de 1547 à 1580, avait épousé successivement Renée de Rieux, fille du seigneur d’Assérac, puis Marie de Kermarec. Le château de Lauvergnac, en La Turballe, non loin de là,  était le siège de la seigneurie des Le Pennec, également huguenots (note du webmaster).

[14] réaffecté (note du webmaster)

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