La rencontre
(suite à « Étre juif à Morlaix en 1943 »)
En ce jour tragique du 21 octobre, Bohor (Robert) Levy, son épouse Prossiadi (Berthe) et leur enfant Jacques errent quelque temps à la recherche d’un abri. Ils sont terrorisés et bientôt affamés. Ils se souviennent alors d’une agricultrice des environs de Morlaix qu’ils croisaient régulièrement quand elle allait vendre ses produits en ville. Ils se dirigent donc vers sa ferme à Plourin. Comme l’écrit Marie-Noëlle Postic, « l’accueil, sans être chaleureux, leur permet de souffler« [1]. Ils se restaurent et peuvent dormir dans la grange en échange de quelques travaux. Mais les fermiers s’affolent les jours suivants. Plusieurs visiteurs les mettent en garde : ils risquent eux-aussi la ruine et la déportation s’ils sont découverts ou dénoncés. Les Levy sont sommés de partir. Bohor Levy se met fébrilement à la recherche d’un nouvel havre, mais il chute bientôt de son vélo et se démet l’épaule.
Jacques, âgé alors de 14 ans raconte la suite : « On m’a alors envoyé à Morlaix demander l’aide de notre médecin de famille, le Docteur Quiniou. Quand je lui ai expliqué notre situation, il m’a dit de ne pas m’en faire. Il allait s’occuper de nous. Il faisait partie d’un réseau de résistants[2]« . Le médecin se rend à Plourin et soigne Bohor Levy. Il faut d’urgence lui procurer de faux papiers et trouver un hébergement durable à la famille.
On ne sait qui pensa en premier à la mission baptiste de Trémel, à 20 km de là. Les protestants sont bien connus à Morlaix, et leur engagement patriote ne fait aucun doute. Le premier Résistant fusillé du Finistère, André Guéziec, cousin à la mode de Bretagne du pasteur Alfred Somerville et de l’évangéliste Guillaume Le Quéré, avait suivi le catéchisme de la mission de Trémel avant de militer au parti communiste. Membre de l’Organisation Spéciale dès l’automne 1940, il avait été passé par les armes à Brest dès le 12 mai 1941, à l’âge de 19 ans, pour « intelligence avec l’ennemi ». Autre résistant, Alfred-Benjamin Jenkins, l’un des responsables du réseau « Johnny » spécialisé dans l’évasion des aviateurs anglais, est le petit-fils du fondateur du temple de Morlaix.
Les deux ouvrages qui relatent le sauvetage de la famille Levy, ceux de Marie-Noëlle Postic et de Marthe Le Clech[3], s’appuient sur le seul témoignage du jeune Jacques et passent ensuite directement au voyage qui les mène à Trémel.
Le dossier qui vient d’être déposé aux services du Mémorial de la Shoah complète le récit en faisant appel à d’autres sources, en particulier à la déposition de Rachel Le Quéré qui confirme ce que j’avais entendu personnellement de la bouche de sa sœur Hélène, en 1999. Le petit groupe qui prend en charge Bohor Levy lui conseille de se mettre en relation avec Guillaume Patrice Le Quéré qui réside non loin de là, au lieu-dit Val Pinard, avec son épouse et ses filles Hélène et Rachel. Bon photographe, il pourra à la fois tirer des portraits d’identité et opérer le lien avec son père, Guillaume Louis Le Quéré, dit « Tonton Tom », colporteur-évangéliste à Trémel.
Rachel Le Quéré témoigne : « Un dimanche matin, vers 10 heures, un homme avec le bras en écharpe est arrivé chez nous, au Val Pinard, à Morlaix […] Il a demandé à mon père Guillaume Le Quéré de lui faire des photos d’identité pour de faux papiers, ce que mon père a accepté[4]« .
Cette réponse n’allait pas de soi pour l’intéressé, protestant à la morale austère. Mais la vie d’une famille était en jeu. Il n’hésita pas et prit son appareil photo. Bohor Levy devenait Robert Leroy.
Restait à préparer l’accueil de la famille Lévy à Trémel. Guillaume Patrice Le Quéré contacta son père et ses soeurs, ainsi que la direction de la mission protestante. Ils donnèrent leur accord.
Dans un premier temps, Hélène Le Quéré (1925-2000), lycéenne de 17 ans, conduit Bohor Levy pour un premier voyage à la mission de Trémel : « Elle accompagne « Monsieur Leroy » à vélo par des chemins détournés qu’elle connaît bien. Passant par Guerlesquin, ils arrivent sans encombre jusqu’à Trémel« , raconte encore sa sœur.
Le deuxième trajet, celui qui mène toute la famille vers la mission baptiste, est plus épique. Les Levy-Leroy sont véhiculés par François Le Lay, boulanger à Plourin, cachés dans sa carriole à cheval sous une fournée de gros pains. Jacques, qui n’a pas besoin de papiers d’identité, est assis à côté du conducteur. Ils sont arrêtés en chemin par un barrage allemand. Le boulanger tend en souriant un pain à la patrouille qui remercie et les laisse passer…
Les Levy entament ce soir-là leur première nuit à Trémel. Ils resteront un an dans les bâtiments de la mission, au lieu-dit Uzel.
(A suivre)
[1] Marie-Noëlle Postic, Des Juifs du Finistère pendant l’Occupation…, Coop Breizh, 2013, p. 269.
[2] Dossier pour le Mémorial de la Shoah, témoignage de Jacques Levy, 24 mars 2015.
[3] Marthe Le Clech, De l’hôtel des Oriot à l’hôtel et au restaurant de l’Europe, Éditions Bretagne d’hier, 2009.
[4] Dossier pour le Mémorial de la Shoah , témoignage de Rachel Le Quéré, épouse Tarassenko, recueilli le 13 avril 2015.