C’est une des plus belles cartes postales du département des Côtes-d’Armor : le château de La Roche-Jagu surplombant la vallée du Trieux, à quelques kilomètres de Tréguier.
En dépit de son allure massive, La Roche-Jagu est moins une forteresse qu’une élégante résidence. C’est ainsi que pouvait la concevoir au début du XVe siècle Catherine de Troguindy quant elle reçut permission du duc de Bretagne de reconstruire une place forte ruinée par la guerre. Le nouveau château devint le siège d’une baronnie en 1487, juste avant que son titulaire ne meure à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier. Le domaine passa ensuite à la branche dite de Grandbois de la famille des Acigné.
Louis d’Acigné, neveu d’un évêque de Nantes, était seigneur de la Roche-Jagu au début de la propagation des idées de la Réforme en Bretagne. On ne sait rien de sa conversion, sinon qu’il était proche de ses cousins huguenots François et Jean d’Acigné. Il était également en relation avec Claude de Rieux, avec laquelle il avait passé un acte d’échange de seigneurie en 1554. La ville de Tréguier, toute proche, fut fort agitée par des partisans du calvinisme en 1562. Il y a tout lieu de croire que Louis d’Acigné était déjà devenu protestant à cette date. Divers témoignages attestent que Louis d’Acigné « était de la religion prétendue réformée et avait ordinairement des ministres à faire le prêche en ses maisons »[1], qui comprenaient la Roche-Jagu et le manoir de la Ville-Mario en Saint-Quay.
Si le château est bien une « huguenotière », rien n’indique qu’une communauté protestante s’y soit établie de façon durable et surtout officielle. Aucune Église n’y fut « dressée », d’après les registres synodaux dont nous disposons. De toutes façons, la proximité de Tréguier, cité épiscopale, l’aurait mise en contravention avec les Édits royaux successifs. Mais l’on sait aussi que des protestants disséminés résidèrent sur les littoraux du Trégor jusqu’au premier tiers du XVIIe siècle. Peut-être quelques-uns d’entre eux purent-ils se réunir à La roche-Jagu à l’occasion de la venue d’un pasteur, probablement celui de Plouër.
Dans une situation aussi isolée, Louis d’Acigné ne pouvait guère que mener profil bas dès que survenaient des périodes aiguës de persécution. Il ne faisait qu’imiter en cela la plupart de ses coreligionnaires, comme Yves du Liscouët ou Charles Gouyon de La Moussaye. On le voit ainsi abjurer du bout des lèvres en réponse à l’édit très rigoureux donné par Henri III le 10 juillet 1585, qui imposait aux pasteurs de quitter le royaume et aux réformés d’abjurer. Louis d’Acigné se conforme au désir du roi le 12 janvier 1586 à la Ville-Mario, « gisant au lit malade et grièvement détenu et tourmenté de ses gouttes et des crises catarreuses ». Mais cet acte ne semble par avoir convaincu les contemporains, si l’on en croit la tradition qui désignait les gisants du tombeau familial sous le nom des « huguenots de la Ville-Mario »[2].
Louis d’Acigné étant décédé en 1591, son fils aîné, Jean, lui succéda. Ce dernier fit désormais profession de foi catholique. C’est ainsi que se referma une séquence de trente ans où l’on chanta les psaumes dans une des plus belles demeures du Trégor.
[1] Témoignage de Jean Keremarch, marchand de Pontrieux, cité par R. Couffon, « Le Château de La Roche-Jagu », Mémoires de la Société d’Emulation des Côtes-du-Nord, 1968, p. 8.
[2] Idem, p. 42.