Un nouveau protestantisme à Rennes -1

1832 : des protestants très discrets…

     La restauration du culte réformé à Rennes est intervenue finalement assez rapidement si l’on considère les multiples obstacles qui s’y opposaient.

     En ce début de Monarchie de Juillet, bien des villes importantes et des préfectures n’ont toujours pas de temple. Mais les divers responsables du « Réveil » parisien et genevois mettent en place une stratégie d’extension de la carte protestante à l’occasion de la venue au pouvoir d’un régime politique plus favorable. Les acteurs essentiels en Bretagne sont alors l’agence parisienne de la Société Continentale britannique, puis la Société Évangélique de France qui lui succède en 1833[1].

Rennes église Saint-Germain

Rennes. Le quartier saint-Germain autrefois

     Les obstacles se montraient nombreux : Rennes était une cité épiscopale où le clergé catholique était omniprésent et l’opinion volontiers conservatrice. Toute tradition réformée semblait y être oubliée. Quelques protestants, certes, s’y étaient établis depuis les années de la Révolution et de l’Empire. Ils n’étaient officiellement qu’une poignée en 1819 d’après l’enquête ministérielle commanditée cette année-là : 7 individus isolés ou familles. La consonance des patronymes évoque les migrations helvétiques des cantons des Grisons dont nous parlons ailleurs sur ce site : Boedel, Frugg, Jegen, Muller, Sarratz, Wuichet… Cette hypothèse est confirmée par la mention de leurs professions : pâtissiers, aubergistes ou confiseurs. Ces familles sont probablement à la base du groupe de 21 Suisses naturalisés mentionné par une autre enquête, datant cette fois de 1838[2].

     Les recensements officiels rennais de l’époque ne comptabilisaient pas les sujets britanniques. Or des Anglicans de la ville ont demandé, conformément à la loi, l’autorisation de se réunir officiellement dès le 15 février 1826. Cela suppose donc qu’ils pouvaient être plus de 20. Mais les Archives municipales n’ont pas conservé la trace d’un lieu de culte anglican autorisé, ce qui semble indiquer que ces rassemblements n’ont été qu’occasionnels ou plus ou moins clandestins. Comme à Saint-Servan, la présence de Britanniques était surtout saisonnière.

    Ce qui frappe dans ces premières enquêtes, c’est l’absence de Réformés français. Cela semble étonnant car le courant migratoire inter-provincial avait commencé depuis longtemps. Le mouvements national des commerçants et des fonctionnaires était bien établi depuis le Premier Empire. L’absence des protestants français des enquêtes rennaises ne peut provenir que de leur discrétion sur le plan local. Cela n’augurait rien de bon sur le plan religieux !

     Un peu plus tard, quatre années après qu’un pasteur ne s’était établi à Rennes en 1834, les protestants se montrèrent sensiblement plus nombreux. Un rapport de commissaire de police conservé aux Archives départementales mentionne cette fois une centaine de personnes. Nous avons déjà cité les Suisses, qui ont été alors naturalisés. Il faut y ajouter 55 Britanniques et une vingtaine de Réformés locaux. Un d’entre eux, le sieur Ruelle, est même membre du conseil municipal, tandis que son coreligionnaire Plantal est directeur de la maison centrale, que le capitaine Vivier sert au 19e Régiment d’Infanterie et Duparc est un ancien juge de paix. On retrouve bien, cette fois, trace du mouvement national. Le commissaire de police note que quelques protestants nationaux sont des convertis de fraîche date et insinue que c’est la cas des plus pauvres. C’est sans doute la situation d’un certain Launay qui deviendra colporteur biblique.

     Telle qu’elle existe au début des années 1830, la petite collectivité protestante rennaise souffre de plusieurs handicaps. Sa taille est limitée. Elle est, de plus, très hétérogène sur le plan social : un détenu de la maison centrale est mentionné dans le rapport du commissaire à la suite du directeur de l’établissement ! Les protestants sont fragmentés sur le plan linguistique en trois groupes : les nationaux, les Suisses des Grisons, les anglophones. Leurs attentes religieuses sont diverses. Beaucoup ne désirent qu’une reconnaissance identitaire et la possibilité d’actes pastoraux pour leurs baptêmes, mariages et enterrements. Par contre, les Britanniques, issus d’un pays il est vrai déjà touché par le Réveil, sont, aux dires des premiers pasteurs, les plus désireux de participer à des cultes réguliers.

    Et pourtant… C’est de ce tableau fait de grisaille que va émerger la paroisse protestante de Rennes.

(A suivre…)

Jean-Yves Carluer

[1] Les archives de la Société Continentale n’ont hélas pas été conservées, ce qui réduit nos informations sur la période 1830-1833.

[2] Archives municipales de Rennes, Px 4.