Louis Rossel, protestant breton
Il peut sembler étonnant de revendiquer comme breton ce descendant de huguenots cévenols par son père et de presbytériens écossais par sa mère. Et pourtant, le fait est incontournable : Louis Nathaniel Rossel est « né à Saint-Brieuc le 9 novembre 1844 à 8 heures du matin, fils de Louis Rossel, 38 ans, lieutenant au 4e régiment d’infanterie légère, et de dame Sarah Campbell, 23 ans, propriétaire ». Les deux témoins sont de jeunes officiers du 4ème léger. C’est ainsi débute un court et tragique destin qui s’achèvera devant un peloton d’exécution au camp de Satory, le 28 novembre 1871.
Louis Nathaniel Rossel s’était entre temps rendu célèbre comme délégué à la guerre, c’est-à-dire chef des armées au drapeau rouge de la Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871), dans le cadre de cette implacable guerre civile qui déchira une France envahie par les Prussiens. Son sort est devenu un des symboles de la répression qui suivit. Notre propos ici n’est pas dévaluer l’engagement politique de l’homme, encensé ou haï selon les cas. Retenons seulement sa très forte personnalité, à laquelle le Général de Gaulle rendit un vibrant hommage en 1932 dans son ouvrage Le Fil de l’Épée. Le futur chef de la France Libre saluait en Rossel l’archétype du Résistant : « Face à l’événement, c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère. Son mouvement est d’imposer à l’action sa marque, de la prendre à son compte, d’en faire son affaire. Et loin de s’abriter sous la hiérarchie, de se cacher dans les textes, de se couvrir des comptes-rendus, le voilà qui se dresse, se campe et fait front« …
C’est l’apparent hasard des affectations militaires qui conduisit le couple des parents Rossel à Saint-Brieuc. Ils étaient alors à peu près les seuls Réformés dans une ville qu’Hervé Di Nocéra décrit alors comme un « désert protestant[1]« . Le jeune Louis Nathaniel grandit et commença ses études à Saint-Brieuc, il suivit ensuite ses parents à Mâcon et à Nîmes, le berceau de la famille, avant de rejoindre le Prytanée militaire de La Flèche et d’intégrer l’École polytechnique.
Lorsque la Guerre de 1870 éclate, il est capitaine du Génie à Metz, où il peut observer à loisir l’incompétence et l’ambiguïté du Maréchal Bazaine. Il réussit à s’enfuir lors de la capitulation de la place pour rejoindre Léon Gambetta à Tours. Farouche patriote, il entend proposer au gouvernement un plan de résistance aux Allemands sous forme d’une guerre que l’on appellerait aujourd’hui asymétrique. Les capacités de Louis Nathaniel Rossel sont reconnues : il est nommé colonel à 27 ans, mais son plan est refusé.
Lorsque Paris se soulève pour refuser la capitulation que négocie le nouveau gouvernement d’Adolphe Thiers, Louis Rossel rejoint alors la capitale le 19 mars 1871 car seuls les Parisiens veulent poursuivre la guerre.
Seul officier d’active à avoir rejoint la Commune de Paris, notre homme y devient chef de légion puis chef d’état-major. Mais le tempérament de Louis Rossel s’accorde mal avec les Communards, qu’il ne peut former selon ses vues sur le plan militaire ; de vifs désaccords se font jour. Il démissionne et doit se cacher de ses anciens amis.
Louis Rossel est arrêté et emprisonné après la chute de la Commune. Thiers, doté de tous les pouvoirs comme « chef du pouvoir exécutif de la République française », veut faire un exemple et le condamner. La Cour martiale prononça la peine capitale.
Théodore Passa, pasteur de Versailles, était chargé de l’aumônerie protestante du camp de Satory. Il noua une relation privilégiée avec Louis Rossel.
La presse de l’époque mentionna les circonstances de son exécution. La Semaine Religieuse de Genève, reprise plus tard par le journal L’Évangéliste, les résume ainsi :
« M. Thiers fit offrir la vie à Rossel s’il préférait la honte d’une dégradation publique à la mort. Rossel choisit la mort, et quand M. Passa, croyant être le premier à lui annoncer cette nouvelle, entra dans sa cellule, la veille de l’exécution, en lui disant : « Du moins vous ne subirez pas la dégradation militaire ». Rossel répondit en souriant : « Je le sais, car on m’a offert le choix ». Il paraît que Rossel mourut dans les sentiments de la piété la plus édifiante, avec la repentance d’un pécheur qui se sent coupable, et l’espérance d’un chrétien qui se sent pardonné[2]« .
[1] Hervé Di Nocéra, Le protestantisme en Haute-Bretagne au XIXe siècle, mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de Michel Denis, Rennes, 1986, p. 114.
[2] L’Évangéliste, 23 octobre 1885, p. 346.