Le synode de Ploermel (4)

Mésententes à La Roche-Bernard…

(suite de la publication des actes du synode réformé de février 1565)

      Nous poursuivons la publication des actes du synode de Ploërmel. Après avoir traité les affaires générales, l’assemblée poursuivit l’examen des cas particuliers :

      « Sur ce que monseigneur d’Andelot avait demandé conseil et advis pour remédier aux divisions qui accroissent d’heure en heure en l’église de la Roche Bernard, a esté advisé que le plus expédient estait de adjoindre au ministère dudit lieu un autre ministre pour y prescher alternatiffement lequel se enquereroit de la source de ses troubles et toucheroit à les appaiser, et pour cette affaire a esté trouvé propre Sylo Le Clercy [          ] ministre de l’église de Blain, lequel il a esté envoyé attendant le concille général auquel l’affaire est dévolue par un appel ou que lesdites divisions soient assoupies et pour ne laisser son église dépourvue a esté envoyé en sa place le ministre de Mesuillac, l’église duquel soit [    ] assistée toutes le sepmaines de l’un des deux qui seront à la Roche et divissement aux dimanches ».

La Roche-Bernard

Une maison de l’ancien « quartier protestant » de La Roche-Bernard

      La querelle qui opposait les pasteurs successifs de La Roche-Bernard et leurs partisans respectifs ne s’était visiblement pas apaisée dans les mois qui suivirent le synode de 1563, tenu dans cette ville-même. Chacun campait sur ses positions. Le désaccord touchait, semble-t-il, à des enjeux importants : le pasteur Louveau avait la réputation de faire respecter de façon intransigeante l’austère « discipline » calviniste, tandis que son collègue se montrait plus conciliant. C’est sans doute ce dernier qui avait fait appel des décisions qui le désavouaient devant le prochain synode national, comme c’était son droit. En attendant, la situation était totalement bloquée dans la petite cité. Cette division devenait très dangereuse pour l’avenir de la Réforme dans les pays de la Basse-Vilaine, et l’on comprend que d’Andelot, seigneur du lieu et protecteur de l’Église, s’en soit inquiété. Le synode de Ploërmel proposa donc la solution qui lui parut la plus convenable : transférer provisoirement une partie de la responsabilité locale à un troisième pasteur, chargé d’apaiser les tensions et d’essayer de mettre les affaires au clair. Son choix se porta sur Silo le Cercler, sieur de Chambrisé, pasteur de Blain. Ce dernier était originaire des environs de La Rochelle et avait rejoint la Bretagne en 1562. Selon Benjamin Vaurigaud, c’était un « homme de foi et de mérites, estimé de ses collègues »[1]. Durant ses voyages à La Roche-Bernard, Silo Le Cercler devait être remplacé dans sa propre Église de Blain par son collègue de Muzillac, moins chargé d’âmes.

     Relatant la querelle au siècle suivant, à partir d’autres sources, l’historien Philippe Le Noir, sieur de Crevain, racontait ainsi ce qu’il savait de la suite de l’affaire : « La commission que le synode de Ploërmel avait donnée pour arracher dès la racine les divisions à la Roche-Bernard, fut exécutée quelques temps après: ce ne fut pas avec succès ni de la manière qui avait été projetée, parce que l’église de Blain empêcha que son ministre Silo Le Cercler n’allât résider en ce troupeau divisé, et qu’à son défaut celui de Muzillac, dont le nom s’est perdu, y fût appelé »[2].

 [suite des actes du synode]

     Sur ce que a esté proposé que la séparation du seigneur de la Chastaigneraye et sa femme, de laquelle a esté faict mention aux précédants sinodes, aporte grand scandal à l’église et que plus fait ont requis que on y donnast quelque bon ordre, a esté advisé que Messieurs Ollivier, ministre de la maison de Monseigneur d’Andelot, et de la Garlaye, conseiller du Roy en sa cour de Parlement de Bretagne, antien de l’église de Syon, se transporteroit au lieu de la Roche Bernard le lundy vingt sixiesme jour de Febvrier pour ouïr les deux partyes et se informer de la cause de ladite séparation pour thesmoignage qui par eux soient nommés [A ? ? sic] pour passé de ce en faire rapport aux ministres de Mesuillac, Pihiriac, Croysic, Guérande, Nantes, Blain et Ploërmel avec le ministre consistorial (?) dudit lieu commis par cette assemblée pour tascher de y donner ordre, et pour ce faire sont chargés de se trouver audit lieu de la Roche le premier jour de Mars pour le second audit mois y pourvoir comme ils voiront estre bon.

     Ce paragraphe est de compréhension difficile et semble avoir été corrompu lors des transcriptions successives. Le problème abordé est visiblement une autre mésentente, cette fois au sein d’un couple de notables protestants, qui a entraîné la séparation de corps des conjoints. Cette situation de quasi divorce jette un opprobre supplémentaire sur l’Église de La Roche-Bernard, décidément bien peu épargnée dans ce domaine ! Il est difficile d’identifier le « seigneur de la Châtaigneraie » concerné. Ce patronyme est proche de celui de Chasteigner, dont une branche était protestante à cette époque. Daniel Chasteigner, sieur de la Grollière, peut-être un de ses descendants, fut député de Bretagne au synode national de 1634.

    Les problèmes conjugaux du seigneur de la Châtaigneraie furent pris très au sérieux, et une commission de pasteurs spécialement mis en place pour en juger. En attendant, une mission d’enquête et de conciliation était confiée conjointement au chapelain particulier de François d’Andelot, suzerain du domaine, et à Jacques Le Maistre, seigneur de la Garelais[3]. Le choix de ces deux hommes était habile : ils associaient la légitimité morale d’un pasteur, le poids social d’un délégué du puissant suzerain de la baronnie et l’expertise d’un juriste éminent du Parlement. Mais on ne sait si leur mission fut couronnée de succès…

(A suivre)

Jean-Yves Carluer

 [1] B. Vaurigaud, Histoire…t.1, XXXV.

[2] Crevain, Histoire… p. 138. A noter que Crevain avait fait une erreur dans sa lecture des actes du synode de Ploërmel, puisqu’il le datait de 1563.

[3] Jacques Le Maistre, seigneur de la Garelais près de Derval, sur les bords de la Vilaine, vit son office supprimé en 1570, sur dénonciation de sa religion. Il était cousin de La Noue.

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