Le protestantisme en Sud Finistère, raconté par William Jenkyn Jones

     Le missionnaire gallois William Jenkyn-Jones (1852-1925) est bien connu pour avoir suscité et organisé le « Réveil protestant bigouden » dans les années 1880-1890. Il est également évoqué dans d’autres documents de ce site.

     Nous proposons au lecteur un texte que le pasteur Jones rédigea en 1921 pour le mensuel L’Action Missionnaire en France, qui venait de succéder à la Revue de l’Évangélisation[1]. Il y fait le bilan de plus de 40 ans de ministère en Bretagne. Ce texte, écrit peu avant son décès, peut apparaître également comme une sorte de testament spirituel. Autre source d’intérêt, le pasteur essaie de mesurer l’impact de la première guerre mondiale sur l’oeuvre bretonne.

 Jean-Yves Carluer

  L’oeuvre missionnaire de Quimper et des environs

     La Mission que je représente et qui a son centre à Quimper, date de  l’année 1842. Elle fut fondée par l’Église Presbytérienne du Pays-de-Galles par sympathie pour les Bretons qui étaient de même origine celtique et parlaient une langue similaire. Les Baptistes gallois avaient déjà leur mission en Bretagne depuis 1834 ; c’est alors qu’arriva le premier missionnaire, le pasteur John Jenkins, qui, après avoir séjourné dans plusieurs localités des Côtes-du-Nord, finit par se fixer Morlaix, qui devint le centre de l’œuvre. Il y travailla pendant 38 ans ; son fils, le pasteur Alfred Jenkins y consacra aussi 48 ans.

     La Mission de Morlaix et celle de Quimper furent fondées sous le patronage de l’Église de Brest, dont le premier pasteur, le vénérable M. Le Fourdrey (1832-1854), fit tout pour leur épargner les tracasseries administratives : ayant fait des études de droit, il eut même l’occasion de les défendre devant les tribunaux.

     Le premier pasteur de l’Église de Quimper fut M. James Williams qui, pendant 27 ans, se consacra à la Bretagne. Les obstacles étaient nombreux, l’ennemi fort et vigilant ; il fallait que chaque livre offert à la vente fut estampillé, et quelquefois même un préfet, protestant, ne voulait pas estampiller des exemplaires des Saintes Écritures ! Le nombre des assistants aux réunions d’évangélisation ne devait pas dépasser 20 ; aussi arriva-t-il que des gens mal intentionnés y venaient pour faire dresser un procès-verbal au pasteur. La Société fondée par les Baptistes gallois, qui plus tard remit son oeuvre  à la Société Missionnaire, The London Baptist Missionary Society, s’est occupée d’évangéliser le Nord de la Bretagne. Notre Société galloise s’est occupée de la Cornouaille (le Sud du Finistère) et d’une partie du Morbihan, car l’œuvre de Lorient, commencée par elle et poursuivie jusqu’en 1882, fut alors cédée à la Société Centrale[2] avec le temple, la Société galloise voulant se consacrer spécialement à l’évangélisation de la Bretagne bretonnante

      A mon arrivée en janvier 1882, il n’y avait dans le Sud du Finistère que l’œuvre du temple de Quimper ; le protestantisme était inconnu en dehors, les lois mettaient des entraves à toute propagande, et pourtant un esprit de liberté soufflait depuis le Seize Mai[3]. On commençait à laisser tomber en désuétude certaines lois tracassières, et enfin la liberté des réunions fut votée en 1881, mais il nous est arrivé d’avoir à dire à certain maire que son horloge retardait de onze ans, ce qui, du reste, suffit, pour qu’il nous donnât un récépissé. […]

     Dans la première période notre œuvre visait surtout l’édification des protestants, dont beaucoup étaient Suisses ; elle ne fut pourtant pas inutile au point de vue de l’évangélisation, car à la longue un fidèle témoignage ne peut que porter du fruit.

     A Rosporden, où je commençai notre œuvre d’évangélisation, j’eus la joie de tenir les réunions dans une auberge (les bouteilles étaient enlevées pour la soirée) et de voir les aubergistes, frère et sœur, se convertir — et bientôt aussi transformer leur commerce. D’autres conversions y eurent lieu par la suite, et je les regardai comme prémices et gage d’une abondante moisson.

     Plus tard, nous avons entrepris une œuvre à Pont-l’Abbé, Douarnenez, Audierne, Concarneau, Lesconil, Guilvinec, Saint-Guénolé, Léchiagat et enfin Kerity. Ce ne sont que des noms pour vous, mais chaque endroit a pour nous son histoire. Pour ne citer qu’un de ces lieux, Lesconil nous a causé beaucoup de soucis, mais aussi beaucoup de joie. Ce port de pêche mal noté, s’est relevé par l’influence de l’Évangile ; toute la population fut touchée, l’ivrognerie disparut, cl auberges furent fermées, faute de clients. Nous y avons fait construire un temple, qui fut inauguré en 1911. Hélas ! la maudite guerre a apporté la dévastation morale dans ce coin retiré de la côte bretonne, comme partout ailleurs ; la jeunesse s’est dévoyée et ressemble à une barque désemparée qui n’a ni gouvernail, ni boussole, ni ancre, et qui se laisse aller au gré des vents. L’immigration y a amené d’ailleurs des éléments peu recommandables.

« Hélas ! l’or a perdu son éclat ! L’or pur s’est altéré !

« Les pierres du sanctuaire se trouvent dispersées au coin toutes les rues[4] ! »

      Mais nous ne perdons pas courage, l’or qui a perdu son éclat est encore l’or, la scorie peut en être séparée par l’Esprit de Dieu. Le bras de l’Eternel n’est point raccourci. C’est la prédication de l’Evangile de l’amour de Dieu qui autrefois avait fait sentir aux âmes dans ce lieu leur dignité morale et qui avait fait naître le désir de vivre une vie plus élevée. L’Evangile est toujours la puissance de Dieu et son œuvre s’accomplira dans le cœur de la nouvelle génération.. Seulement, il faut que notre attente soit en l’Éternel.

« Ne te désole point, Sion, sèche tes larmes.

« Il te relèvera du sein de tes ruines

« Tout sera rétabli comme en tes plus beaux jours[5]. »

      Au début de notre activité en Bretagne nous nous sommes mis à faire une large distribution de feuilles et de traités, les répandant par dizaines de milliers tous les ans, en compagnie d’un fidèle colporteur, M. Le Groignec. Nous avons parcouru le pays ensemble, vendant les Écritures et distribuant des feuilles, cherchant aussi à connaître les endroits les plus favorables à une œuvre d’évangélisation, et c’est pour répondre à l’invitation des habitants, comme autrefois Paul aux Macédoniens, que nous avons ouvert nos premières salles.

     Nous avons des difficultés particulières : le Breton est routinier, récalcitrant à toute idée nouvelle, quoique ayant un fond de scepticisme. La Bretagne est souvent appelée la terre classique de la Foi ; le prêtre y a toujours régné en maître, ayant pu garder le peuple dans l’ignorance et la superstition, grâce surtout à la langue bretonne, qui formait une barrière contre les idées nouvelles. Certains littérateurs ont prêté à l’âme bretonne un fond de mysticisme, mais ce mysticisme est bien matériel et terre-à-terre, et n’a pas de hautes envolées. Ainsi l’on nous dit que le Breton voit dans une mouette venant de la mer une âme de noyé qui vient demander des prières. C’est l’Évangile seul qui donnera au peuple breton l’idéal élevé qui lui manque. Le Breton est méfiant, on ne peut guère l’atteindre sans lui parler sa langue, et encore faut-il savoir attendre. Mon collègue, M. Williams, de Pont-L’abbé, qui avait passé douze ans aux Indes avant de venir en Bretagne, déclare qu’il y autant de superstition en Bretagne qu’aux Indes, et qu’il est bien plus facile d’obtenir des résultats là-bas qu’ici. Il y a beaucoup de religiosité en Bretagne, plus de religiosité que de religion ; le sentiment religieux demeure pourtant là à l’état latent. attendant le réveil de l’Esprit. En Bretagne on ne se moque pas de la religion du Christ.

 

Le pasteur Jones (barbe blanche, au centre), prenant la parole en plein air, à Lesconil, au début des années 1920.

Le pasteur Jones (barbe blanche, au centre), prenant la parole en plein air, à Lesconil, au début des années 1920.

    Le peuple est plus difficile à atteindre depuis la guerre, la plainte est générale. II est plus difficile d’attirer les auditeurs dans les salles et dans les temples. Une œuvre organisée paraît faire peur, les conversions ont éloigné de nos réunions certaines personnes ; le contraire est vrai aussi pour les âmes droites avides de lumière et de vérité. L’incrédulité est un danger, mais nous savons où la rencontrer et comment la combattre ; l’indifférence est un danger plus grand, elle est la suite du formalisme insensé du passé; les prêtres ayant fait de la religion un jeu, le nombre de ceux qui ne croient plus à leur sincérité augmente tous les jours au profit de l’indifférence. Pourtant il faut atteindre le peuple, et voilà déjà des années que nous avons commencé à tenir des réunions en plein air. Pendant la guerre, nous avons vu 400 ou 500 personnes quelquefois assister à nos réunions. Le Christianisme fut inauguré en plein air, notre Maître prêchait sur la montagne et au bord de la mer. La méthode n’est donc pas nouvelle, et nous l’avons trouvé bonne pour atteindre les foules ; nous n’entendons presque jamais une parole discordante, ce qui suffit à montrer que nous avons gagné le respect et l’estime de la population qui se charge de maintenir l’ordre. Les prêtres n’oseraient pas en faire autant. C’est ainsi que nous comptons gagner la campagne, car jusqu’ici nous avons surtout travaillé sur la côte. Dans ces réunions plusieurs prennent la parole. – les pasteurs, un scieur de long, un tailleur-brodeur, un sabotier, et quelquefois d’autres encore, comme notre ami, M. Sampoil, colporteur biblique, délégué à cette assemblée. Nous y chantons des cantiques bretons, – nous en avons un recueil de 166 – et le chant accompagné d’un petit harmonium portatif et pliant sert pour rallier les auditeurs. Les discours se font aussi généralement en breton.

     Mais de plus en plus, s’impose la nécessité du contact personnel. Le vénérable Dr. Clifford, de Londres, après avoir évangélisé les foules pendant de longues années (il a dépassé 81 ans), se fait aujourd’hui l’apôtre de l’évangélisation d’âme à âme, méthode qu’il recommande avec ferveur. Cette méthode est nécessaire surtout en Bretagne pour atteindre le Breton, froid et difficile à émouvoir. Il faudra des rapports personnels, gagner les cœurs qui une fois gagnés resteront fidèles et fermes, comme le granit de Bretagne.

     Pour cela, il faudra aussi revenir à notre méthode d’avant-guerre et faire une abondante distribution de feuilles populaires, dont la valeur ne consiste pas toujours dans leur mérite intrinsèque, mais dans le fait que la feuille ouvre la porte à un entretien intime et sérieux. Il faudra aussi inonder le pays d’Évangiles et de Bibles, et notre ami M. Sampoil trouve qu’il est beaucoup plus facile de les placer là où nous avons travaillé ; là il est sûr de recevoir un bon accueil ».

     Nous avons parlé du peu de résultats obtenus, mais il ne faut pas que nous oubliions, ce serait une ingratitude envers Dieu, que nous avons reçu des centaines de membres dans l’Église; d’autres églises, même celle de Nantes, en ont profité, et j’ai devant les yeux un de mes fils en la foi, qui a consacré 34 ans de sa vie à répandre la parole de Dieu dans ce pays. Certains prêtres rendent témoignage à notre œuvre, même du haut de la chaire. Mais le meilleur témoignage vient de ceux qui sont esclaves du mal, et qui déclarent qu’il faut « qu’ils nous suivent, afin que nous fassions d’eux des hommes », et que nous nous efforçons d’amener au Christ.

     Nous n’avons pas à cacher notre drapeau, nous devons déclarer hautement que nous sommes protestants, nous rappelant le sens positif de ce titre et non seulement le sens négatif. Nous protestons contre l’erreur, c’est notre devoir ; mais aussi nous témoignons pour Jésus-Christ, nous sommes les témoins […] de la vérité, c’est notre privilège et notre honneur. De plus, appelons l’Église romaine de son vrai nom ; c’est l’Église de la Réforme qui est l’Église catholique (universelle), nous n’excommunions personne, nous reconnaissons au contraire que tous ceux qui croient au Christ, à quelque Église qu’ils appartiennent, en font partie. Nous somme donc des « catholiques protestants ». Les noms ont plus d’importance qu’on on ne croit, les noms sont un drapeau ; notre drapeau nous vient de nos ancêtres, en lambeaux, mais couvert d’honneur.

     M’approchant de la fin de ma carrière, après 39 ans de service en Bretagne. je me réjouis à la pensée que nos efforts n’ont pas été, ne sont pas vains ; Dieu fera fructifier la semence. Celui qui a semé et qui sera appelé à moissonner se réjouiront ensemble.

 La tâche est immense, Et dur le terrain,

Mais bonne espérance, Nul travail n’est vain ;

De Dieu la puissance fait germer le grain[6].

 

W. JENKYN JONES, Pasteur à Quimper.


[1] L’Action Missionnaire en France, 1921, pp 189-193.
[2] La Société Centrale Protestante d’Évangélisation
[3] La « crise du 16 mai 1877 » entraîne la démission du président de la République Mac-Mahon et l’établissement d’un gouvernement ouvrant le pays aux libertés d’opinion et d’expression.
[4] Lamentations de Jérémie, 4, 1.
[5] Jérémie 30, 18.

[6] Cantique Semons dès l’aurore, Recueil « Sur les ailes de la Foi », N° 615. Traduction par Auguste Decoppet du célèbre gospel Bringing in the sheaves.

4 réponses à Le protestantisme en Sud Finistère, raconté par William Jenkyn Jones

  1. CALVEZ Yves dit :

    Bonjour.

    En août 1940, chaque maire est tenu de fournir aux autorités allemandes ne nom des étrangers résidant dans sa commune.
    Pour Pont l’Abbé, figure en tête de liste WILLIAMS John 12-10-1870 Anglais Pasteur Route de Plomeur. Qu’est-il devenu ?

    Merci.

    • Jean-Yves Carluer dit :

      Bonjour !
      je n’ai hélas pas la réponse. Je sais qu’un certain nombre de pasteurs britanniques bretons ont été internés par les Allemands puis libérés à la fin de la guerre. Mais d’autres avaient pu passer en Grande Bretagne en 1940.
      Amicalement.

  2. Ca c’est le pasteur Gallois, John Gerlan Williams (1870-1941), né à Bethesda (le nord du Pays de Galles). Il est venu en Bretagne en 1911, après avoir travaillé comme missionnaire dans le nord-est de l’Inde (Assam).

    NB. Il était pas Anglais!!

    • Jean-Yves Carluer dit :

      Un grand merci pour cette précision ! Je ne connaissais pas la date du décès de John Gerlan Williams, qui était effectivement gallois et non anglais ! Mais l’administration française ne rentrait pas dans ces considérations et qualifiait d’anglais tout britannique. Savez-vous où est décédé John Gerlan Williams ? J’espère qu’il avait pu rentrer dans son pays et n’avait pas été interné.

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